En bon père de famille je me dois de trouver pour cet été un lieu de villégiature qui convienne à tout le monde. Si pour ma part je suis plutôt nature et tranquillité, les enfants attendent autre chose, activités, animations et surtout copains, ce qui écarte d’emblée le gite rural.
L’Espagne ? Pourquoi ne pas louer un mobil home au bord de la mer… m’oui pourquoi pas, comme en Bretagne il y a deux ans… un rapide tour d’horizon … beaucoup de chose déjà complètes, rien de transcendant, rien d’original, sauf le prix… 1200 € la semaine pour un mobil home ringard, dans un camping écrasé de soleil et d’odeur de frite… pas très emballant… d’autant que les gamins partent souvent à la mer avec leurs grands-parents…
Et la montagne ? Oui la montagne ! J’y avais songé l’an passé, mais pour diverses raisons, j’avais ajourné ce projet, pour l’oublier complètement. Et puis les enfants ne connaissent pas la montagne, en voilà une chouette idée !
Bon allez … internet… je cherche, location montagne août … clic ! Et la page s’affiche, plusieurs centaines de propositions. Ouille !
N’oublions pas le parc phénoménal de logements en montagne, essentiellement prévu pour l’hiver, recherchant désespérément des locataires l’été. Il faut dire que je ne sais où m’orienter, des dizaines de stations, avec à chaque fois des dizaines d’appartements.
Et tout de même cette appréhension liée à l’esthétique de ces pentes en été, hérissées de pylônes entre lesquels s’entremêlent câbles, poulies, nacelles …
Pentes herbeuses, balafrées à coup de bulldozer pour les besoins de l’aménagement des pistes de ski alpin.
Appréhension aussi les logements de montagne, prévus pour l’hiver, pas pour l’été.
Le studio-cabine l’été … peut mieux faire, Madame n’apprécierait pas.
Qu’à cela ne tienne … beaucoup de choix, je vais pouvoir être exigeant.
Affiner la recherche… je coche : club enfants (on aura la paix), piscine, appartement T3. Clic ! De plusieurs centaines de propositions, je passe à cinq… voilà qui va faciliter mon choix.
Des choses intéressantes, le style chalet savoyard avec piscine, certaines imposent la demi-pension je les écarte.
Et puis l’une d’elle attire mon regard, une très belle résidence avec des toits pentus, des soubassements en pierre, des balcons en bois, implantée en demi cercle autour d’une piscine, cela à l’air neuf, avec l’appartement T3 rêvé, et bon marché en plus. Cela s’appelle les Alpages… du Corbier.
Stupeur !
Le Corbier ? Souvenirs … souvenirs…
En un éclair me voilà rendu 25 ans en arrière, au tournant de l’adolescence.
A la fin des années 80, nos parents nous ont emmenés au Corbier pour les sports d’hiver, 3 ou 4 années de suite.
Cette station est située au dessus de Saint-Jean de Maurienne, à côté de la Toussuire.
Station atypique, haïe ou adorée, elle ne laisse personne indifférent.
Ma pauvre mère, avec trois gosses à trainer aux cours de ski, était lassée des expériences éreintantes dans ces stations traditionnelles, sans doute très chics et très jolies, mais dans lesquelles vous logiez à plusieurs kilomètres des pistes.
En 1987, elle découvre dans une brochure cette station de moyenne altitude, qui avait le mérite d’être une station « ski aux pieds ».
Non pas que vous pouviez dormir avec vos skis aux pieds mais presque.
Sarcelles des Neiges
C’est en 1937 que Gabriel Juillard a le premier l’idée d’équiper le Mont Corbier de remontes pentes, à l’instar du village voisin de la Toussuire. Mais il a tôt fait de replier ses plans, le conseil municipal de Villarembert ne voulant pas en entendre parler.
Il faudra attendre encore 25 ans pour qu’un projet d’aménagement entre en gestation, sous l’égide de la famille Guérin. Une nouvelle station baptisée « le Corbier » va naître.
En ce début 1967, tous les financements sont réunis. L’architecte J.-C. Bouillon (ne cherchez pas vous ne trouverez rien à son sujet sur internet) peut lancer la construction des premiers édifices en un temps record : l’immeuble Agena, et l’hôtel Galaxie, sont ouverts 183 jours plus tard, représentant 250 lits. 17 km de pistes sont à la disposition des skieurs.
Inaugurée en fanfare, en présence de Monsieur le Ministre, la station devient même pendant quelques années une attraction mondaine.
Elle bâtira sa renommée autour du champion de ski Jean-Noël Augert.
Les travaux se poursuivent pendant la décennie 70. La station, longiligne, posée sur une terrasse naturelle, s’étend en englobant les principaux bâtiments sur 800 mètres.
1967 Immeuble Agena et Hôtel le Galaxie, ainsi que l’élégant Tripode emblème de la station, rénové en 2009, qui héberge l’office de tourisme.
1969 Immeubles Cosmos et Baïkonour, les deux cubes situés au nord
Puis les quatre colosses de 20 étages au sud
1972 Vostok-Zodiaque
1974 Soyouz-Vanguard
1976 Pégase-Phénix
1977 Lunik-Orion
L’essentiel de la station est achevé en 1977, avec l’inauguration de l’immeuble de 19 étages Lunik-Orion, dernier des « quatre colosses » qui donnent à la station son aspect actuel de base spatiale.
Lunik-Orion et Pégase-Phénix, deux des quatre "colosses"
D’ailleurs, les dénominations des immeubles, mystérieuses, exotiques à leur manière, rappellent à elles seules l’histoire de la conquête spatiale et contribuent à l’identité de la station. Je vous laisse faire vos propres recherches.
Des immeubles rectangulaires, en hauteur ou en longueur, des grands, des petits, mais tous recouverts de bois, avec, quoiqu’on en dise une vraie recherche et une harmonie architecturale.
Une galerie marchande, souterraine, relie tous les immeubles entre eux. Point fort ou point faible ? J’y reviendrai.
D’autres petites résidences se sont nichées entre les tours profitant aussi de l’accès à la galerie : Sirius, Véga etc…
En parallèle, le domaine skiable, relativement modeste jusqu’à la fin de années 80, s’est agrandi, avec une amélioration des liaisons avec Saint Sorlin d’Arves, La Toussuire etc… pour devenir en 2003 le 4ème domaine skiable français, baptisé « les Sybelles ».
Dans les années 80, les pylônes des remontées étaient peints en bleu ciel, pour les distinguer de ceux de la Toussuire, peints en orange.
Cette pratique semble avoir disparu.
IGH mon amour
Nous logions au 18ème étage de l’immeuble Lunik-Orion.
Résidence Lunik-Orion
Oh ! Je garde un excellent souvenir de cet appartement. Ce qui suit ne concerne que cet immeuble, je n’ai pas visité d’autres bâtiments de la station. Je parle au passé, mais j’imagine, j’espère en tous cas, que mes souvenirs restent d’actualité.
Rien à voir avec un HLM.
Il y a 25 ans l’immeuble était encore relativement récent (une dizaine d’années), et de mon point de vue, il présentait des prestations d’un standing supérieur aux logements équivalents proposés alors ailleurs.
L’appartement était grand et bien agencé. Une immense baie vitrée, avec une solide huisserie en bois, aisément manœuvrable au moyen d’un énorme levier donnait sur la vallée.
Contrairement à ses trois aînés, chaque appartement du Lunik-Orion disposait d’un balcon (sur les autres immeubles, seules les façades côté pistes en sont dotées). La façade était recouverte de bois.
Appartement de la résidence Lunik-Orion avec son mobilier d'origine
La kitchenette, nichée tant bien que mal dans un recoin pouvait être fermée au moyen d’une porte coulissante. Par contre au-delà du plat de nouilles, pas question d’y faire de la grande cuisine.
La salle de bains et les WC étaient séparés.
L’isolation phonique était parfaite, le chauffage aussi. Une ventilation mécanique centralisée tournait en permanence pour aérer l’appartement, chasser l’humidité, générant la nuit un ronronnement chaleureux et rassurant.
Les parties communes étaient impeccables, et généreuses. Les couloirs et paliers avaient de la moquette (de mémoire de couleur verte) et l’éclairage tamisé était étudié.
A chaque étage, un vide-ordure.
Deux batteries de trois ascenseurs permettaient la desserte des étages, les étages pairs pour l’une, les étages impairs pour l’autre.
Si vous aviez des amis logeant à un étage de l’autre parité, il vous fallait monter ou descendre un étage par l’escalier pour rejoindre les bons ascenseurs.
Les paliers devant les ascenseurs avaient de longues fenêtres donnant sur les pistes. Un beau panorama du 18ème étage, dont nous profitions de longues minutes, en heure de pointe, lorsque l’ascenseur, un peu lent, tardait à arriver.
Pour aller skier, il fallait simplement rejoindre l’ascenseur, descendre au rez-de-chaussée (rez-de neige en réalité) et rejoindre le local à skis (casiers un peu petits).
Il suffisait une fois équipé de rejoindre la porte donnant sur l’extérieur, franchir un petit pont, et vous étiez sur la piste, à cinquante mètres du télésiège du Grand Crozat.
Pas de navette routière, pas de skis à porter sur l’épaule ! Un luxe !
Lunik-Orion est le seul immeuble à ne pas être relié à la galerie, épine dorsale de la station.
Le soir, pour sortir, il nous fallait donc rechausser les moon-boots, mettre les anoraks, les bonnets et affronter une éventuelle tempête de neige pour parcourir les cent mètres qui nous séparaient du hall de la résidence Pégase-Phénix le colosse voisin, dans lequel, passé quelques portes coupe-feu, un escalier banal, descendant comme dans le métro donnait accès à la fameuse galerie.
C’est l’autre point fort… vous pouviez aller faire vos courses, faire un billard, manger une fondue, aller au cinéma, à la piscine… en chaussures de ville ou en pantoufles, sans manteau !
Sauf les habitants de Lunik-Orion que les habitués reconnaissaient à leurs moon-boots !
Il fallait pourtant parler davantage de coursive que de galerie, un vrai dédale…
Elle n’était pas large la galerie et son aménagement assez rudimentaire, le sol en carrelage grossier, les murs en crépi blanc un peu défraichi.
Un long couloir, éclairé par des néons.
Des portions avec commerces, d’autre sans rien, un boyau en ligne droite, une porte coupe-feu, une autre… non ce n’est pas par là, un hall d’immeuble, un local à ski… demi tour … un angle, quelques marches à monter… pas cette porte ! C’est un appartement !
On continue… quelques marches à redescendre … nous sommes perdus… des portes encore … ah une pancarte : Soyouz-Vanguard, Sirius, Vostock-Zodiaque... sauvés…par ici...
A nouveau un commerce, location de skis ou salle de jeux vidéos… la halte garderie, reconnaissable à la gigantesque fresque de Watoo-Watoo, cet oiseau noir et blanc en forme d’œuf, aux pattes filiformes et extensibles, sur le mur, en lieu et place du crépi.
A quinze ans, ce dédale où nous avions toute liberté était un bonheur. Les esprits chagrins la trouveront triste, ringarde, pas digne. Moi je l’aimais bien.
La galerie...
C'est par là...
On continue...
25 ans après…
Qu’est devenu le Corbier ? Je n’y suis jamais retourné… en fait je ne suis retourné qu’une fois aux sports d’hiver au milieu des années 90.
Sarcelles des Neiges ! Voilà le surnom donné par les snobs à la station dès les années 80, passé la période des mondanités.
Il faut dire que dans les années 70-80 les aménageurs n’y sont pas allé de main morte en matière de bétonnage de la montagne, et plusieurs voix se sont élevées, à juste titre, contre cette folie.
A la fin des années 80, l’offre étant arrivée à saturation, plusieurs stations ont fait faillite, et les programmes d’aménagements se sont réduits à peau de chagrin.
Sybelle ou si moche ?
25 ans après, cet ensemble immobilier, qui montrait déjà des signes de fatigue, a dû bien mal vieillir.
La bourgeoisie-bohémienne vomit cet endroit.
Les standards architecturaux datent des années 60-70, et, le moins que l’on puisse dire, certaines expériences de villes nouvelles ont été un véritable échec.
Cette station de taille modeste n’a pas été conçue pour y vivre à l’année, y travailler, y élever ses enfants ! Elle a été conçue pour skier une semaine par an, en famille, en s’affranchissant des complications inhérentes à cette activité. Et à l’époque, cela fonctionnait bien.
Usine à ski ? Oui, mais une PME alors… qui n’a rien à voir avec les stations vedettes des Alpes françaises, et leur dizaines de milliers de lits.
Certes la clientèle familiale du Corbier, en général peu fortunée, n’habite pas le Marais ou Oberkampf et ne contribue donc pas à améliorer l’image de la station auprès des élites parisiennes (qui s’y bousculaient pourtant en 1970).
Et je ne doute pas que démocratisation aidant, une certaine faune fréquente désormais les coursives lugubres de la station.
Mais pas d’hypocrisie… personne ne critique l’architecture des Arcs, de la Plagne ou d’Avoriaz. Le Corbier n’a pourtant rien à leur envier…
Certains voient dans le choix du nom de la station (en accord pourtant avec la toponymie) une allusion au CORBusIER.
Certains pourraient voir dans la silhouette élancée du célèbre Tripode une symbolique maçonnique…
Le Tripode
Ou encore dans la dénomination des immeubles un hymne à la conquête spatiale soviétique…
Le Corbier reste un souffre douleur, une sorte de bouc-émissaire de l’architecture, qui permet d’excuser et d’exorciser tous les autres excès qui ont contribué à défigurer les Alpes au profit de l’industrie touristique.
Pourtant au final, la station est compacte, les grands bâtiments du Corbier occupent une superficie réduite. Il n’y a pas eu, contrairement à la Toussuire ou ailleurs de phénomène de mitage de la montagne. En cela, le concept répond parfaitement aux critères de développement durable, rendant inutile la circulation automobile.
Le Corbier est une petite station, un village, où durant votre séjour vous croiserez les mêmes personnes.
L’architecture est décriée. Pourtant contrairement à ce qu’on lit souvent, la plupart des immeubles ont des finitions très soignées.
Je reconnais que les quatre tours, par leur taille et leur volume peuvent déconcerter. Mais toutes sont habillées de bois (sauf le noyau central resté en béton brut de décoffrage).
Et de son côté, la barre Galaxie-Agena ne présente t-elle pas une certaine élégance architecturale ?
Galaxie (détail)
Agena et le Tripode
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Mais je m’égare… retour sur mon écran internet.
Cette sympathique résidence, récente, à l’écart des grands immeubles, semble parfaitement répondre aux attentes familiales… mais la station ? En été ? Cela va-t-il nous plaire ?
Elle redouble apparemment d’efforts pour proposer des activités variées aux enfants… sans doute une volonté de rattraper son handicap architectural…
Je jette un œil sur les propositions alentours ou beaucoup plus loin, Saint Sorlin, Valmeinier… rien de mieux…
Alors… je prends le risque…
Fascination pour cette architecture à la fois brutale et raffinée ? Anti-conformisme ?