Rapa Nui ou L’Ile de Paques


A l’Ile de Pâques.
En dépit de son éloignement, Rapa Nui, la pascuane, n’échappe pas à cette mode revendicative : 3000 habitants ont protesté récemment contre l’invasion des touristes et des immigrés.
En 2007 et en 2008, au mois de novembre, j’y ai passé 15 jours au total.
La première fois, me trouvant à Santiago pour une raison professionnelle, j’avais saisi cette occasion pour m’évader en plein Pacifique et aller saluer les moaïs. Une chilienne de la bonne bourgeoisie, à côté de laquelle je me trouvais lors d’un dîner officiel s’était esclaffée de la longueur du séjour que je projetais là-bas – 8 jours – et m’avait affirmé qu’en 24 heures j’aurais tout vu, et que de toute façon ce bout de caillou volcanique, râpé et pelé, à 3400 km de la capitale ne présentait aucun intérêt.
Mon seul regret fut de n’avoir pas prévu un plus long séjour, mais les dieux de l’Ile étaient pour moi.
A l’embarquement pour le retour sur Santiago, le responsable de Lan Chile, confronté à un problème de sur-booking, me demanda si j’acceptais de rester trois jours de plus aux frais de la compagnie. N’étant soumis à aucune contrainte de calendrier, j’acquiesçai sur le champ. Je devais me présenter le lendemain à l’agence pour régulariser mon billet. Grande dame, pour récompenser ma bonne volonté, la compagnie m’offrit, valable un an, un billet A/R Francfort/Santiago. D’où, mon second séjour.
Qu’en ai-je ramené, à une époque où les voyageurs débarquaient dans une amicale cohue à l’intérieur d’une aérogare qui tenait de la cabane ?
Le touriste, noyé dans le paysage, était quasiment invisible : les groupes, qui séjournaient un court temps ( 2 à 3 jours) étaient véhiculés en petits cars sur les sites, avec un bref arrêt aux endroits fléchés sur les guides, photos, et hop ! redémarrage. Autant dire que les moaïs recouvraient vite leur solitude venteuse et ensoleillée.
Je ne vais pas recopier les pages du Lonely Planet, ni traduire les brochures du Comité local du tourisme. Sur quinze jours, j’ai traîné mes semelles et les roues d’un vélo loué dans pas mal d’endroits, sans oublier d’inclure une promenade à cheval d’une journée, guidé, je vous l’avoue, par ma monture qui connaissait le parcours comme sa poche mais provoquée par un groupe de médecins de Santiago qui ont essayé, en vain, me faire vider les étriers.
Inventaire de quelques spécimens d’humanité rencontrés à Rapa Nui. Deux jeunes japonais, accompagnés de leur vélo et d’un bagage minimum, qui ont parcouru l’Ile pendant huit jours, en couchant sous la tente. Je les ai croisés à trois reprises, affrontant un terrible vent debout ou gravissant de rudes pentes du Rana Kau et du Puna Pau.
Un français, ancien mécanicien de la marine, marié avec une pascuane ethnologue, qui, toutes amarres larguées, avait coupé les ponts avec le pays natal et sa famille et ne regrettait pas ce choix d’une vie rien moins que bourgeoise.
C’est lui qui m’aiguilla sur un autre compatriote.
Ce sedanais d’origine, marié lui aussi à une pascuane, tenait un restaurant, La Taverne du Pêcheur, considéré comme le meilleur de l’Ile.
En ma qualité d’ardennais, je trouvai séant d’aller lui présenter mes civilités, en fin de soirée, un fois partis les derniers clients, congestionnés et repus de crustacés. Bien que la salle fût, à cette heure, vide, l’entretien ne dura guère. D’un ton rogue, il me chargea de saluer son vieux père et, aussi amène qu’une laie environnée de ses marcassins et dérangée dans sa bauge, me congédia sans même m’offrir un verre d’eau…
Son épouse, qui était juridiquement la responsable de l’établissement, en application du code de commerce chilien, était d’un abord plus cordial.
Enfin, le tenancier de l’hôtel Vai Moana où je descendis.
Hôtel ? En fait quelques cabanes de chantier, posées sur des parpaings pour rattraper la déclivité du terrain, sobrement aménagées, mais avec vue imprenable sur le cimetière en contrebas, avec ses tombes aux croix blanchies à la chaux, très cimetière marin tel que le décrit Paul Valéry, avec « la mer toujours recommencée » et l’incessant fracas des vagues sur les rochers noirs, déchiquetés et façonnés par l’érosion.
Il se désespérait que l’Ile ne fût pas rattachée à la Polynésie française, et à son régime de protection sociale et d’enseignement, estimant qu’elle était traitée en parent pauvre et victime du désintérêt que le gouvernement de Santiago lui témoignait depuis des lustres.
En sus de ces souvenirs, il en est un, tout aussi pérenne mais plus tangible. Un morceau de tronc d’eucalyptus, que Julien Gracq décrit comme un « arbre momie dont tombe partout en lambeaux autour du tronc la charpie des dentelles rongées ».
1,30 mètre. 30 kilos. 24 heures dans un caisson avec fumigation au bromure de méthyle , afin de satisfaire aux sévères contrôles phyto-sanitaires avant l’importation sur le continent.
Cette sculpture, roulée et barattée par les flots, polie par le sable au gré des marées et des vents, m’apparut alors que je cheminais sur le rivage, un peu au nord de Hanga Roa. Je sus, alors, que la ramènerais chez moi, tant sa forme me parlait : on eût dit un gros poisson, à tête de dauphin, cabré, la queue sur le dernier tiers de la longueur se soulevant à 45°.
En 2007, je la laissai en dépôt chez mon hôtelier, en lui disant que je reviendrais l’année suivante. Ce que je fis.
Depuis, nous faisons bon ménage et nous nous comprenons sans mot dire, ce bout de bois flotté et moi.
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