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Au szimpla Kert (photo par Axel) |
Implantés dans l’ancien quartier juif de Pest, les «
Ruin bars » sont l’incontournable underground de la capitale hongroise.
S’ils ne figurent en général pas (encore) dans tous les guides touristiques, il n’est pas rare, l’après-midi, d’y croiser un groupe de touriste chinois, serrés autour de leur interprète – cela fait aussi partie du folklore. Mais c’est le soir évidement qu’il convient de hanter ces lieux interlopes. En novembre le crépuscule arrive vite et la pinte de bière locale plafonne aux environs de 700 florins (2,2 €). Quoi de mieux donc, après une journée de balade, ou un «
free walking tour » dans les rues de la ville, que d’aller y soigner son vague à l’âme ? A ces heures-là, il sera loisible de déambuler tranquille dans les salles parfois vides, d’y soigner ses photographies, se caler dans un reposoir pour lire quelques pages d’un auteur choisi, ou s’étonner encore qu’un tel fatras puisse offrir un tel bouquet de saveurs psychédéliques. Quant à ceux pris d’envies festives, nous leur conseilleront plutôt de revenir hanter les lieux vers 22/23h.
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Il existe à Budapest une bonne quinzaine de ces Ruin bars. Implantés dans d’anciens immeubles plus ou moins abandonnés lors de la période soviétique à la fin de la seconde guerre mondiale, on y pénètre en général par un porche d’entrée qui se signale par une banale pancarte. A vu de nez cela ne paye pas de mine. Mais fois entré c’est tout un univers qui se dévoile. Un dédale de pièces et de couloirs, d’escaliers et de recoins, de sous-sol, d’étages saturés de mobilier hétéroclites agencés d’une manière désinvolte ; œuvres plus ou moins éphémères, fugitives, inachevée ou modulaire à souhait. Des ambiances d’apocalypse à la Mad-Max aux néons mauves jouxteront ainsi des décors tout droits sortis de Cartoon burlesques ; des antres saturés d’objets de consommation des années 70, 80 ou 90 abriteront des recoins à la Walking Dead donnant sur des escaliers d’acier suspendus à des patios dégoulinant d’une jungle tropicale…
Car ces dépotoirs organisés signent leur époque… Et si on connait ses classiques, avec l’évocation par exemple ici
[1] d’Alice au pays des merveilles, on trouvera là
[2] une un énorme cétacé flottant sous le plafond… La constante de ces tanières vouées aux plaisirs noctambules est le graffiti (il est bon d’avoir son marqueur en poche). Il s’en trouve partout, du plus subtil au plus grossier, de l’artistique au kitch approximatif. L’essentiel est d’y laisser sa trace !
Parmi les objets de récupération on trouvera de vieux mannequins plantés derrière des bars factices, des vélos déglingués accrochés aux murs, des miroirs troubles chargés de perles, une baignoire (culte) transformée en fauteuil, des guirlandes assorties de couronnes colorées, des reliques vintages de toutes sortes : vinyles, radiocassettes, affiches. Que sais-je encore…
La clientèle des Ruin bars est aussi cosmopolite que bigarrée. Des naufragés, des badauds, des curieux, des bohèmes, des BCBG, des étudiants en nombre. Une faune de jeunes, de moins jeunes, de franchement vieux, tous venus des 4 coins du globe assouvir leur fantasme d’un monde alternatif et étancher leur soif sur fond de brouhaha polyglotte ou domine l’anglais – sur lit de hongrois naturellement, mais d’espagnol aussi, d’italien ou de français parfois… On s’enivre, on médite, on se recroqueville, on rit, on se jauge on s’aime ou s’affronte en joute oratoire sur le fil d’heures livrées à elles-mêmes – Tapissés de rêves et de l’esprit informulé de déviances en devenir…
Parmi les établissements du genre ou relèvera l’
Instant, ses dédales à n’en plus finir et sa cour piste de danse ; ou encore le
Kuplung avec sa salle de concert ou transpirent les humeurs hongroises… Il s’en trouve pour tous les goûts. Mais s’il fallait, faute de temps, n’hanter qu’un seul
Ruin bar, alors rendez-vous au plus fameux d’entre eux, le premier à avoir vu le jour en 2002, je veux dire le
Szimpla Kert. Et si une seule virée ne suffit pas à étancher votre soif d’étrangeté enchantée, retournez y. Si cela ne changera rien au fait que «
le monde n’est pas là pour nous faire plaisir », au moins cela enfoncera un coin dans la monotonie des choses comme elles vont.
[1] Salle pas très loin de l’entrée du Szimpla Kert.
[2] De mémoire dans la salle de concert du Kunplung.