Saint-Pétersbourg ou le songe de Pierre
Surgie des brumes féeriques de ses canaux, Saint-Pétersbourg est née de l’imagination débridée d’un homme épris de beauté et de grandeur. Quand Pierre le Grand fonde la cité en 1703, il souhaite tout d’abord ouvrir " une fenêtre sur l’Europe" et décide qu’elle se dressera là, dans la zone marécageuse du delta de la Neva récemment reconquise sur les Suédois. Devenue la capitale de l’Empire russe en 1715, la ville le restera jusqu’à la fin du règne de Nicolas II. Au cours de l’histoire, rebaptisée Petrograd puis Leningrad - elle récupérera son nom d’origine en 1991 - elle n’a jamais cessé de revendiquer l’héritage visionnaire de son fondateur. La visiter au moment où les nuits sont pratiquement inexistantes ajoute un supplément de magie à la solennité de ses ensembles architecturaux, à la beauté particulière de ses grandes avenues, à la verdure de ses parcs, à la complexité de ses canaux et à cette fusion quasi unique de l’architecture et de l’eau. L’édification de la nouvelle capitale impliquera une telle concentration d’efforts titanesques que des milliers de vies humaines y seront sacrifiés. Doit-on voir là l’une des raisons des tragédies qui n’ont cessé de l’affecter au long de ces trois cents ans d’existence ? Je ne le crois pas, mais cataclysmes et guerres ne l’on pas épargnée, ne serait-ce que le terrible blocus perpétré par les armées hitlériennes qui dura 872 jours du 8 septembre 1941 au 27 janvier 1944 et ne put venir à bout de l’endurance et du formidable courage de sa population.
Imaginée dans son impériale grandeur par un homme inspiré, elle est la ville la plus intelligente qui soit, parce que sa construction fut marquée du sceau conscient de la création. Tout a été conçu de façon harmonieuse, de manière à ce que les espaces de terre, les lignes sinueuses de la Neva, les canaux, les rives du golf de Finlande soient les éléments de base d’un urbanisme innovant. Une attention supplémentaire fut accordée aux perspectives lointaines afin de jouer pleinement l’atout de sa disposition géographique. Saint-Pétersbourg est également une ville moderne dans le sens qu’elle s’est ouverte délibérément sur l’Europe et a sollicité la venue d’artistes étrangers, architectes, peintres, sculpteurs, graveurs, invités sur ces terres fangeuses à concevoir un style unique et d’avant-garde. Si bien que des Allemands, des Français, des Suédois, des Hollandais, des Italiens, des Anglais s’y sont installés en petites colonies distinctes et que la ville s’est peu à peu constituée comme une capitale singulière à tous égards. En collaboration avec les maîtres russes, ces artistes participèrent à l’embellissement de la ville et des résidences impériales proches, ainsi qu’à la naissance d’une culture spécifiquement pétersbourgeoise. C’est la raison pour laquelle, les visiteurs que nous sommes, découvrons au fur et à mesure de nos pérégrinations d’étranges ressemblances : ses quais font penser à Paris, ses canaux à Amsterdam, ses ponts et la proximité de la mer à Venise, ses brouillards fréquents et la verdure de ses parcs à Londres. Mais malgré ces similitudes, Saint-Pétersbourg ne ressemble qu’à elle-même, solennelle et incomparable et, ce, à n’importe quelle saison : en été, ce sera le charme féerique de ses nuits blanches ; en hiver, la parure cristalline de la neige et du givre.
Par où commencer une visite de la ville ? Je pense par une promenade en bateau sur la Neva et les canaux qui offre un panorama d’ensemble et permet de s’imprégner de l’atmosphère aquatique de la ville. A Saint-Pétersbourg, tout est uni et divisé par son fleuve. Dans ses eaux se mirent les façades de ses palais, ses ponts, ses églises, ainsi passe-t-on devant quelques-uns des plus fameux, dont le palais Marinski, le palais Menchikov qui appartenait au compagnon d’armes de Pierre le Grand, le palais Youssoupov où durant la nuit du 16 décembre 1916 fut assassiné Grigori Raspoutine, le palais de Marbre que Catherine II avait offert à son favori Grigori Orlov ; ou sous les ponts les plus élégants dont l’Anitchkov et je pourrais en citer bien d’autres puisque plus de 500 relient entre eux les quelques cent îles et îlots qui constituent le territoire de cette ville, enfin la forteresse Pierre-et-Paul construite sur l’île des Lièvres, emplacement choisi par le tsar lui-même en raison de sa position stratégique sur le delta de la Neva et qui, outre la forteresse, abrite la cathédrale où sont enterrés les Romanov depuis Pierre le Grand, sans oublier sur les quais de la Moïka, l’ancien palais de la princesse Volkonskaïa que Pouchkine, le poète tant aimé des Russes, habita avec sa belle épouse Natalia de novembre 1836 jusqu’au jour de sa mort, survenue lors d’un duel, le 29 janvier 1837, et aujourd’hui transformé en un musée mémorial à sa gloire.
Eglise de la Résurrection du Christ sur le sang versé
Marcher dans la ville, respirer son parfum, traverser les parcs, s’attarder le long des quais, entrer dans les églises innombrables et fastueuses de par leurs richesses et leurs décorations intérieures comme Notre-Dame de Kazan, impressionnante par ses proportions mais un peu froide, par celle stupéfiante de la Résurrection du Christ sur le sang versé, entièrement couverte de fresques et qui fut élevée sur ordre de l’empereur Alexandre III à l’endroit précis où son père Alexandre II avait été assassiné, alors que le pays devait à ce tsar l’abolition du servage et un nombre important de lois sociales. Mais mon coup de coeur a été pour la cathédrale Saint-Nicolas-des-marins, noyée parmi les lilas en fleurs, édifice blanc et azur avec ces 5 doubles coupoles dorées, harmonieusement proportionnées, qui se reflètent dans les eaux du canal Krioukov. On est également happé par la Perspective Nevski, l’artère commerçante et l’âme de Saint-Pétersbourg, bordée par le canal Griboïedov dont Gogol écrivait : " Rien n’est plus beau que la Perspective Nevski à Pétersbourg du moins ; elle est tout pour lui. N’y a-t-il rien qui manque à la splendeur de cette artère, la reine de beauté de notre capitale ?"
Palais de l’Ermitage
Sans contrarier Gogol, selon moi, le sommet de la ville n’est pas la Perspective Nevski mais le Palais de l’Ermitage déployant les façades de ses cinq édifices le long de la Neva et symbolisant le pouvoir impérial. La place sur laquelle il s’ouvre a vu se jouer certaines pages marquantes de l’histoire russe, dont celle du dimanche sanglant de 1905 et de la prise du pouvoir par les Bolcheviks lors de la Révolution d’octobre 1917. On doit la façade grandiose du palais d’Hiver à l’italien Bartolomeo Rastrelli dans un style baroque tardif qui se distingue par l’expressivité et le dynamisme de ses formes. Les multiples colonnes et demi-colonnes, pilastres, sculptures décoratives des frontons, de même que les ressauts rythment ces façades et donnent au monument une élégance somptueuse. Aujourd’hui le palais abrite les collections commencées par Catherine II dès 1764 et compte environ 3 millions d’articles d’exposition. La splendeur de ce musée est indescriptible et userait tous les superlatifs. Rénové de façon admirable, l’Ermitage est considéré à juste titre comme l’un des plus beaux musées du monde et le visiter vous plonge littéralement dans l’extase tant il recèle de chefs-d’oeuvre. Devant autant de beauté créée par la main de l’homme, on se surprend à penser que son génie ne semble pas avoir de limite et qu’il arrive à l’homme de surpasser l’homme.
Mais c’est sans doute le soir, alors que la lumière se contente de se mettre en veilleuse, qu’il fait bon flâner au hasard des avenues et des quais. Dans cet écheveau tressé de pierre et d’eau, alors que les dômes, les flèches, les façades baignent dans une étrange phosphorescence, que les chatoiements du ciel se reflètent dans le fleuve devenu translucide, on se laisse imperceptiblement gagner par l’intense poésie de cette ville et les mouvements imprévisibles de son histoire et on comprend mieux pourquoi le défi de ce tsar visionnaire conserve à jamais la consistance tragique et sublime d’un songe.
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