Alain Juppé, l’homme aux multiples dimensions
Alain Juppé était, mercredi 9 octobre, à l’EDHEC pour la deuxième conférence de l’Agora cette saison. Devant un auditorium débordant, il a répondu à la question : « Vers la fin de l’histoire ? » et a délivré un double message d’espoir et de mobilisation aux étudiants.
Ne pas se fier aux images d’Epinal : l’intellectualisme austère et les discours gorgés d’idéaux d’Alain Juppé cachent un homme aux préoccupations pratiques et aux engagements locaux. C’est le visage qu’a voulu montrer l’invité de l’Agora devant ses 800 auditeurs. D’emblée, il enfile la casquette du maire de Bordeaux et se défend de toute ambition présidentielle. « Je me consacre à la ville de Bordeaux, j’y suis et j’ai envie d’y rester, je suis en campagne municipale et cela suffit à mon bonheur » affirme-t-il sans ciller.
Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un avis tranché sur la situation politique française. S’il ne cède à aucun pessimisme sur l’avenir, l’ancien Premier Ministre de Jacques Chirac déplore toutefois une ligne politique qui « manque de crédibilité ». Sur le plan économique, d’abord. « Il faut remettre au cœur de l'économie l'entreprise, l'entrepreneur et l'entreprenariat », et ce en les soulageant de la pression fiscale de plus en plus lourde qui les harasse pour les remettre en situation de compétitivité. Comme solution fiscale, il propose alors la TVA, « impôt intelligent pour l’économie » puisqu’il taxe les importations et ne taxe pas les exportations. Loin de lui, pour autant, l’idée d’isoler la France.
Bien au contraire, dans un contexte de mondialisation qu’il estime pérenne, il exige de la France une clairvoyance sur les enjeux européens et s’inquiète : « L’Europe est aujourd’hui en danger de mort ». Il rappelle combien l’Europe a besoin de coopération pour faire poids dans notre monde multipolaire et préserver chez elle la paix qu’elle a su construire. Aussi, s’il lui concède des imperfections comme sa « bureaucratie absurde » ou son « déficit de démocratie », il encourage une intégration européenne accrue. L’Europe ne se remettrait par exemple pas du retour aux monnaies nationales que préconise le FN. Pour encourager cette intégration et, à terme, la création d’une identité politique, l’ancien ministre de Affaires étrangères souligne à l’inverse l’importance d’un climat de confiance entre la France et l’Allemagne et nie toute volonté hégémonique outre-Rhin.
C’est aussi sous cette autre casquette qu’Alain Juppé traite les thèmes de la Syrie et de la place de la France dans cet imbroglio diplomatique. La France a-t-elle encore un rôle à jouer sur l’échiquier géopolitique mondial ? C’est en tout cas sa conviction : « Nous ne sommes pas les américains mais nous sommes un puissance qui compte. […] La voix de la France est attendue et entendue. ». Ce fût le cas dans le dossier Syrien, notamment suite à la menace qu’elle a faite d’une intervention militaire. Le 5 septembre, Alain Juppé avait en effet plaidé en faveur de cette position. Isolée et n’ayant pas les moyens d’intervenir seul, la France avait dû y renoncer. Pour autant, cette menace ne fut pas la tentative suffisante et vaine que certains dénoncèrent : « Nous avons fait par cette menace bouger les russes et les syriens. ». La France a donc encore voix au chapitre, elle a même le devoir de prendre position. « Si cette zone se déstabilise complètement, cela nous concernera forcément un jour, complète-t-il. J’ai approuvé la position qui consiste à dire « il faut agir » : ne pas le faire, c’est se rendre complice de crimes contre l’humanité ! ». C’est pourquoi il maintient son discours sur la Syrie, estimant que le désarmement chimique est insuffisant et la persistance des massacres intolérables.
Plus largement, il en va de l’intérêt et du devoir de la France de continuer de jouer la carte diplomatique. Dans le monde qui se dessine, elle a des valeurs à défendre et n’est pas démunie d’armes pour le faire. En plus de la légitimité que lui donnent son histoire et son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, la France compte un outil souvent oublié et pourtant efficace : la langue. C’est alors le littéraire qui réside en lui qui insiste sur la capacité de la langue à créer une relation privilégiée. Dans une Afrique qui comptera demain 700 millions de francophones et où la France est – quoi qu’on en dise – l’interlocuteur de confiance, négliger cet atout serait se compliquer la vie pour rien. Il faut ainsi persévérer dans l’enseignement du Français.
Nous devons avoir confiance en notre potentiel : la France, le Français et les Français ont une place dans l’avenir ! Tel est le message d’optimisme et d’ambition qu’Alain Juppé a voulu faire passer aux étudiants qui l’écoutaient : « L’Histoire n’est pas finie. C’est à vous qu’il revient d’écrire la suite. »
Augustin Formery