Bienvenue chez les Ch’tis, le retour !
Élise Ovart-Baratte, auteur des "Ch’tis, c’était les clichés" (Calmann Lévy), invitée des Rendez-vous de l’Agora.
Élise Ovart-Baratte est une femme en colère. Doctorante en histoire contemporaine, enseignante à l’Institut d’études politiques de Lille, cette jeune femme de 28 ans vient de publier Les Ch’tis, c’était les clichés (Calmann-Lévy).
Dans ce pamphlet, elle s’attaque à Bienvenue chez les Ch’tis de Dany Boon, blockbuster à la française qui avec ses plus de vingt millions d’entrées explose le record français du genre et talonne de près Titanic, champion toute catégorie.
Selon Élise Ovart-Baratte, Bienvenue chez les Ch’tis donne une image archaïque et misérabiliste du Nord et contribue à ancrer dans l’opinion l’image d’une région arriérée. Membre du conseil fédéral du Parti socialiste, elle s’indigne tout particulièrement de l’importante subvention accordée au film par le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. Elle s’inquiète aussi du « masochisme » des habitants du Nord, qu’elle accuse de se complaire dans des poncifs dégradants à mille lieues de la réalité locale.
Bienvenue chez les Ch’tis : phénomène de société, gros succès, revanche de Dany ou film juste trop poli pour être honnête ? demandait déjà Agoravox alors que la ch’timania n’en était qu’à ses balbutiements. Pour certains commentateurs, déjà, l’heure de la revanche avait sonné : enfin le reste du monde (ou, au moins, le reste de la France) allait enfin découvrir le vrai visage du Nord. Fini les clichés ?
Pour Les Rendez-vous de l’Agora, Elise Ovart-Baratte répond à nos questions dans cette interview réalisée par Daniel Hoffman et Olivier Bailly.
Agoravox : On sent du dépit à l’origine de votre livre…
Elise Ovart-Baratte : Oui et non. C’est complexe. Je n’en veux pas à Dany Boon. Je l’apprécie plutôt, c’est un personnage intéressant qui a des convictions et qui s’engage pour de nombreuses causes. Ça, ça me plaît. Et puis je ne suis pas compétente pour émettre une idée sur le film. En revanche, je suis déçue par l’image que le film véhicule. Un exemple : le directeur de l’agence postale Philippe Abrams (joué par Kad Merad, ndlr) repart dans le Sud à la fin du film, alors qu’il aurait logiquement pu être muté à Lille, puisqu’il s’y sentait si bien ! Dans la réalité, il arrive fréquemment que les gens restent et s’installent dans la région, pour sa qualité de vie, sa culture.
A : Pourquoi selon vous les gens du Nord ont-ils apprécié le film ?
EOB : Le film a été diffusé dans le Nord une semaine avant sa sortie nationale. Dans un contexte morose, marqué par la crise du pouvoir d’achat, ce film qui ne présente ni sexe ni violence répondait au besoin des gens de s’amuser, de se détendre et je le conçois volontiers. Le problème est que seuls les gens du Nord-Pas-de-Calais savent vraiment pourquoi ils ont ri. Mais les autres Français ont-ils compris ? Je n’en suis pas sûr. Parfois, il y a des moments où ça manquait de sous-titrage. Ça manque souvent d’explications sur les us et coutumes du Nord-Pas-de-Calais. En somme, il s’agit d’un film « nordiste », dans lequel on sent le besoin de s’excuser de tout.
A : La culture ch’ti ne serait pas exportable au reste du pays ? N’est-ce pas un cliché de prétendre ça ?
EOB : Le problème du film, c’est le manque d’explications, la succession d’images misérabilistes, archaïques et non réalistes. Par exemple, il n’y a jamais eu de mines à Bergues, comme le laisse croire le film. Et la dernière mine du Nord-Pas-de-Calais a fermé en 1990 !
A : N’accordez-vous pas trop d’importance à un film qui se veut avant tout une comédie simple et sans prétention ?
EOB : Je n’ai pas réagi par rapport au film lui-même, mais par rapport à la subvention de 600 000 euros qui lui a été accordée par le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. Cette subvention, proposée par Daniel Percheron (président du Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, ndlr), était destinée à un film censé abattre les clichés sur la région… alors qu’il ne fait que les renforcer ! À cet égard, le premier effet boomerang a été la banderole du Parc des Princes, même s’il faut prendre cette affaire avec le recul nécessaire. On m’objectera que le film a eu un impact positif sur le tourisme et l’économie. Sans doute, mais cela reste un phénomène localisé et éphémère. Dans dix ans, on se souviendra surtout de Bienvenue chez les Ch’tis comme d’un film qui décrit un Nord-Pas-de-Calais alcoolo, simplet et qui ne parle pas français.
A : Cette subvention aurait pu être utilisée à d’autres fins ?
EOB : Ce montant correspond au budget de fonctionnement de la Maison du Nord-Pas-de-Calais à Paris et celle-ci a récemment dû fermer faute de financements… En plus, j’ai appris que la région allait produire des documentaires sur le Nord avec des images du film de Dany Boon pour l’illustrer. On croit rêver. Ou cauchemarder ! Je ne suis d’ailleurs pas la seule à m’être insurgée lorsque cette subvention est passée - grâce aux voix du Front national, il faut le rappeler. L’acteur Jacques Bonnafé ainsi que des journalistes de La Voix du Nord et de Nord Eclair ont eu la même réaction que moi.
A : Quelle comparaison faites-vous entre Bienvenue chez les Ch’tis et d’autres films sur le Nord comme Karnaval de Thomas Vincent ou Quand la mer monte de Yolande Moreau ?
EOB : On n’est pas du tout dans le même registre. Vous citez des films d’art et d’essai. Avec Dany Boon, on est dans la comédie avec des acteurs têtes de gondole, avec un gros budget alors que les films que vous citez sont des œuvres plus modestes, mais qui donnent une image du Nord bien plus conforme à la réalité.
A : C’est quoi, ou plutôt c’est qui, les Ch’tis ?
EOB : Le mot ch’ti me dérange un peu, car il est réducteur. Il y a en effet des Flamands dans la région : c’est d’ailleurs le cas à Bergues où l’on parle le flamand et pas le picard ! En quelques mots, je dirais que les gens du Nord sont courageux, ont toujours retroussé leur manche quand il le fallait. En 1945, par exemple, ou au lendemain de la crise pétrolière qui a vu s’effondrer l’économie du textile, les gens ont su se reconvertir. Ce sont aussi des gens gais, qu’ils ont des us et coutumes bien à eux, qu’il s’agisse du sport (notamment le cyclisme), du carnaval ou des braderies. Or, ces traditions ne sont pas mises en avant dans Bienvenue chez les Ch’tis…
A : Vous imputez pourtant la responsabilité de la mauvaise image de la région Nord-Pas-de-Calais aux habitants eux-mêmes. En quoi, selon vos propres termes, peut-on les taxer de « masochisme » ?
EOB : Le masochisme consiste à s’excuser constamment du mauvais temps ou du chômage. Il est vrai que la région souffre du manque de travail, mais ce n’est pas en véhiculant les clichés d’un Nord-Pas-de-Calais d’il y a trente ans que des investisseurs vont venir ! De plus, il y a eu des réalisations économiques très intéressantes au cours des dernières années. Le Nord-Pas-de-Calais a su passer le cap de la modernité tout en ne reniant pas son passé. Aujourd’hui, la priorité est d’éviter la fuite des cerveaux qui quittent la région une fois leurs études terminées. C’est pourquoi je pense qu’il faut renforcer les partenariats avec les grandes écoles.
A : Comment votre livre a-t-il été reçu ?
EOB : Les ventes me disent qu’il est plutôt bien reçu pour le moment. Sur une centaine de lettres, je n’ai reçu qu’un seul courrier négatif (encore était-il anonyme !). Dans la majorité des messages, les gens se sont sentis humiliés par le film ou alors n’ont pas reconnu le Nord qu’ils connaissent. Je suis plutôt du genre franche. J’assume ce que je dis, j’accepte de participer aux débats, je ne fanfaronne pas. J’ai travaillé sur le sujet. Ces travaux ont été validés par des diplômes. Quand on lit ce livre, on voit que c’est un travail fouillé. Que mon propos plaise ou non, je pense avoir fait mon travail de chercheur.
A : Ce coup de gueule a-t-il déjà un impact ?
EOB : Pour l’instant, je n’ai pas eu de retour de la part des élus de la région, sauf en privé où ils me donnent le plus souvent raison. En revanche, il y a eu beaucoup de réaction chez les habitants, qui commencent à avoir le recul suffisant pour prendre conscience. Je pense donc avoir apporté, à mon niveau, une pierre à l’édifice.
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