La même justice pour tous !
Les deux ténors du barreau, Me Eric Dupond Moretti et Me Thierry Herzog, se sont exprimés la semaine dernière devant un large public venu assister à la conférence organisée par l’Agora, la Tribune étudiante de l’EDHEC.
« Justice », « liberté », « présomption d’innocence », « liberté de la presse »… Voici les principaux thèmes qui ont conduit le débat entre ces deux grands avocats, qui en plus de leur profession, partagent une belle amitié ainsi qu’une passion immodérée pour la chanson française. Sur scène en effet, l’amitié des deux maîtres a ponctué la conférence de notes d’humour et d’une complicité appréciées par l’auditoire. S’il est vrai que leur métier d’avocat les oppose dans certaines affaires, c’est à l’unisson et d’une même voix qu’ils clament que
« le système judiciaire est au service du justiciable ! ».
Ainsi, la Justice se réclame garante de la Liberté, dont la sœur jumelle n’est autre que la Procédure. La Justice doit donc être la même pour tous. C’est dans cette perspective qu’ils rappellent que conformément à l’article 6 de la Convention des Droits de l’Homme et du Citoyen, tout citoyen a le droit d’être défendu, de l’usager qui commet une infraction au code de la route jusqu’à l’homme qui a commis un meurtre. C’est avec force, conviction et sans une once de malaise que Me Dupond-Moretti répond qu’il ne voit aucune objection à défendre un pédophile. A l’appui, il soutient avec véhémence que personne n’oserait blâmer un médecin qui soignerait la cirrhose d’un patient alcoolique, et qu’il en allait de même pour un avocat qui plaiderait la cause de son client, quel qu’il soit. Et si cette position assumée dérange la morale de certains, il rétorque avec calme et assurance que sa morale est inhérente à lui-même, à sa famille, à ses proches, mais qu’elle n’est en aucun cas liée aux clients qu’il défend. Pour Me Eric Dupond-Moretti, l’imposition d’une idéologie ou d’un système de défense inapproprié et suicidaire peuvent seuls justifier le refus d’un dossier pour un bon avocat. Il critique aussi la présence en France d’un « puritanisme » poussé à son paroxysme et importé tout droit d’outre atlantique, dont l’affaire DSK s’est imprégnée. « DSK a une force intérieure qui m’impressionne. Elle lui permet de tenir le coup, même si sa présomption d’innocence, a toujours été plus que flouée ! ».
La presse était aussi l’invitée du débat. Les deux hommes ont mis un point d’honneur à souligner que celle-ci faisait aujourd’hui partie de leur vie quotidienne d’avocat. La médiatisation des affaires consacre l’essor de la presse dans la diffusion des informations judiciaires. « Oui les avocats se servent de la presse, mais se servir de la presse ce n’est pas la duper » précisent-ils avec clarté.
Et dans ce registre, c’est la voix de Me Thierry Herzog, l’avocat de l’ancien chef de l’Etat Nicolas Sarkozy, qui s’est largement fait entendre. En effet, s’il reconnait l’imminente importance de la liberté de la presse et du rôle qu’elle joue dans la société, il ne se prive pas d’émettre des critiques à l’encontre du groupe Mediapart, qui présenterait l’affaire Bettencourt aujourd’hui comme « un scandale d’Etat » alors qu’elle repose à l’origine sur la déposition de plainte de la fille de Madame Bettencourt contre un photographe. Me Herzog, détendu, souriant et d’un ton confiant, a souhaité mettre en exergue la soudaineté avec laquelle son client est passé de statut de « témoin assisté » à celui de « mis en examen dans l’affaire ». Si l’actualité brûlante a légitimement attisé nombre de questions autour de l’affaire impliquant récemment l’ancien chef de l’Etat, Me Herzog n’a pour autant souhaité faire aucune déclaration à ce sujet. « Je suis très heureux et très honoré d’être avec vous ce soir, mais je m’interdis d’aborder tout point sur une affaire en cours ».
En définitive, la Justice était donc l’invitée d’honneur et la grande maitresse du débat. Si elle a raflé tous les honneurs, nos maitres n’ont pas manqué de rendre un hommage tout particulier à Voltaire. Sa pensée a encore toute pertinence aujourd’hui. A vous maintenant de vous poser la question comme beaucoup l’ont déjà fait : « Ne vaut-il pas mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent ? »
Lilia SFIHI
Veuillez découvrir le billet d'humeur subi par les deux avocats avant leur interview !
Bonsoir Maître Dupont Moretti, bonsoir Maître Herzog. Avant de commencer, je tenais juste à vous signaler, Maître Dupont Moretti, que des toilettes sont à votre disposition au bout du couloir. On dit que la pression vous retourne l’estomac. Donc avant de souffrir mon virulent billet d’humeur ou de monter sur scène, je vous autorise à aller recycler votre déjeuner si vous en avez envie.
Après avoir rencontré Maître Vergès l’année dernière, recevoir deux ténors du barreau est un grand honneur pour l’Agora. Surtout à un moment où l’un comme l’autre vous êtes sous le feu des projecteurs.
Affronter deux avocats dans cet exercice oratoire est un défi pour moi. En même temps, ce n’est pas comme si je n’avais rien à dire sur vous, bien que Maître Dupont Moretti a tendance à plus se la jouer bourreau des plateaux télés que son confrère.
Commençons par vous présenter vous, Me Thierry Herzog : officier de la légion d’honneur, avocat de Nicolas Sarkozy. Ppppppfff ! Avouez que ca claque. Encore ce matin je vous voyais à la télé entre Plus Belle la Vie et Les Chtis à Las Vegas. Non mais aaaalooo quoi !?Je m’appelle Sarkozy et j’ai pas d’argent pour ma campagne. Allo ? Liliane tu me reçois ?
Bon d’accord, ne cédons pas à la facilité, n’abusons pas de votre faiblesse. Parlons de choses plus sérieuses comme cette affaire de délit de fuite. Rappelez vous ..., Jean Sarkozy, sur son scooter perché montrait au chauffeur son grand doigt. Franchement, ce cas est loin d’être représentatif de toutes ces grandes affaires dans lesquelles vous avez plaidé : Clearstream, Bettencourt, pour ne citer qu’elles.
Clearstream parlons en : une dénonciation calomnieuse d’un mystérieux corbeau qui ne restera pas dans l’ombre, un match de ping pong Villepin Sarkozy qui se renvoient la balle a coup de déclarations toutes azimuts : « Je retrouverai le salopard qui a monté cette affaire et il finira pendu à un croc de boucher » ou encore Dominique de Villepin qui affirmait à l’ouverture de son procès qu’il était là par l’acharnement d’un homme, Nicolas Sarkozy. Un jeu médiatique interposé, une affaire occulte, tout le monde y va de sa petite déclaration.
Des petites déclarations qui font la une de tous les médias, vous aimez ca ! Ce weekend a tourné en boucle sur toutes les chaînes de télé vos propos dans le JDD mettant en doute l’impartialité du juge Gentil. En cause, la tribune politique qu'a signée le juge Gentil contre Nicolas Sarkozy, quatre jours avant la perquisition à son domicile. Une affaire qui n’est pas prête de s’achever. Lui qui voulait se faire discret ces derniers temps, c’est raté.
Affaire à suivre…
A votre tour Maître Dupont Moretti …, ou devrais-je dire Aquittator. Un surnom que du reste vous n’appréciez pas particulièrement mais votre réputation vous précède. Avec plus de cent acquittements au compteur vous êtes une vraie bête des tribunaux, un taureau lâché dans l’arène quand il s’agit de plaider. Massif, sévère, virulent quand il le faut, la fumée sortant des narines. La fumée, quelle fumée ! Celle de Gauloises sans filtre qui se succèdent a vos lèvres. Maître Vergès a eu l’audace d’écraser son cigare sur les murs de l’EDHEC, si vous pouviez ne pas l’imiter…
Maître Dupont Moretti, cette bête noire, comme le suggère le titre de votre dernier livre, avez fait de votre combat la défense des hommes plutôt que des idées, la prévalence du droit plutôt que de la morale. Et c’est tout à votre honneur. Je vous cite : « j’aurais pu défendre Hitler sauf s’il m’avait demandé de défendre le nazisme ». Mais laissez-moi vous rappeler ce raisonnement simple. De la morale découle les lois, la justice est l’application les lois, et vous, en tant qu’avocat êtes au service de la justice. Par transitivité, vous devez donc être au service de la morale. Pourtant, comme vous l’écrivez, dans bien des affaires, vous utilisez le vice de procédure pour faire acquitter le prévenu, même quand celui-ci vous a confié être coupable. C’est vrai qu’une signature manquante en bas de page peut justifier la remise en liberté d’un double meurtrier dépeceur et pédophile...
Vous allez alors vous élever pour dénoncer la culture du doute, le non respect de la présomption d’innocence, la victimisation, et en soi vous n’avez pas tort mais laissez moi noter un paradoxe : vous-même utilisez cette victimisation au service de la défense des accusés : il a tué.. certes, mais il faut le connaître pour le comprendre, il a eu une enfance difficile : père absent, mère prostituée.. Ce n’est pas un peu facile ,non ??
Je vous taquine un peu Me Moretti, je sais que vous êtes un homme simple, un bon vivant du Nord, un mec qui préfère la maroilette et la triple Karmelite au foie gras champagne. Malheureusement pour vous, notre traiteur n’a pas ca en réserve pour ce soir.
S'il est bien des choses dont vous partagez le goût comme le saucisson et la chanson française, il est surtout une passion, presque amoureuse, qui vous solidarise vraiment. Celle de la justice. Ce concept bien abstrait et pourtant profondément ancré dans notre quotidien le plus concret. A vous entendre, la justice est presque, conformément à son allégorie, une femme charmante. La plus charmante de toute. Aujourd'hui, elle est la troisième invitée de notre débat.
Cette justice, cet idéal si imparfait, aux multiples disfonctionnements et petits arrangements, nous autres extérieurs au système, n’en percevons qu’une infime partie. Oui, aujourd’hui on parle d’erreur judiciaire, de connivence entre le parquet et le siège mais des changements ont-ils opéré ? Allez le changement c’est maintenant !!!
Légitimité de la justice ? Allons ! DSK a été jugé avenue du peuple belge quand même !
Les réformes.. certains s’y sont cassés les dents : Nicolas Sarkozy avec la suppression du juge d’instruction, Christiane Taubira avec la fin de la rétention de sureté…Plus de fermeté, moins de fermeté faudrait se décider !!
Et vous dans tout ça… ben vous suivez le mouvement…On vous appelle peut-être Maître mais en réalité vous le reconnaîtrez volontiers vous n’êtes que des pions d’un système juridique qui vous dépasse, les acteurs d’une pièce dont vous ne maîtrisez pas véritablement le scénario.
Avant de clôturer ce billet, je tenais à vous remercier encore une fois de nous avoir accordé un peu de votre temps si précieux, et avec toute l’admiration que j’ai pour vous, je terminerai par une citation de François de la Rochefoucauld qui je pense vous caractérise l’un comme l’autre : « l’amour de la justice n’est pour la plupart des hommes que la crainte de souffrir l’injustice ».