Les Infiltrés, la polémique
Au programme des Rdv de l’Agora aujourd’hui : les Infiltrés, le nouveau magazine d’investigation de France 2
Les Infiltrés, le nouveau magazine présenté par David Pujadas mercredi 22 octobre à 22h30 crée déjà la polémique, notamment chez les journalistes. Le principe du magazine « Les Infiltrés », programmé sur France 2, est simple : un journaliste, intégré à l’équipe de l’émission, « infiltre » un secteur en s’y faisant embaucher pour quelques semaines en tant que stagiaire. Dans le premier numéro des Infiltrés, un journaliste équipé d’une caméra cachée montre la vie quotidienne d’une maison de retraite dans laquelle il est immergé. Les visages sont floutés et les noms des lieux et des personnes sont tenus secret.
Sept sujets ont déjà été tournés, dont l’émission initiale diffusée ce soir sur la maltraitance dans les maisons de retraite. Le travail au noir, les sectes, les sans-papiers et la presse people seront abordés dans de prochains numéros. France 2 et l’agence Capa, qui produit l’émission, annoncent que le programme ne se prêtera ni à la délation ni à l’extorsion d’informations, mais livrera une vision fidèle de la réalité de sujets de société majeurs.
Pour Les Rdv de l’Agora, Daniel Hoffman a pu assister (sans caméra cachée) à la diffusion en avant-première du numéro initial des Infiltrés, dans les locaux de France 2. À quoi ressemble vraiment cette émission et surtout, la controverse à laquelle elle a donné naissance a t-elle vraiment lieu d’être ?
A peine diffusé, le nouveau magazine présenté par David Pujadas sur France 2 fait déjà parler de lui. L’émission « Les Infiltrés » est au cœur d’échanges animés entre journalistes et entre blogueurs ces derniers jours. En cause, le sempiternel débat sur les conditions d’obtention de l’information. En effet, chaque journaliste « infiltré » de l’émission de Pujadas, que ce soit dans une maison de retraite, dans une secte ou dans une rédaction de presse people (au total, sept sujets sont annoncés), est muni d’une caméra cachée, grâce à laquelle le téléspectateur pourra suivre le quotidien du milieu filmé « comme s’il y était », à une différence près : les visages sont floutés et les lieux et personnes restent anonymes.
C’est Jean-Michel Aphatie qui le premier a allumé la mèche. Le 2 octobre, sur son blog, dans une note intitulée « "Les Infiltrés", un projet d’émission de David Pujadas dont on espère qu’il ne verra jamais le jour » le journaliste de RTL dénonce le non-respect du devoir absolu d’un journaliste de décliner son identité et la transgression de la déontologie journalistique. Puis il revient à la charge les 6, 7, 8, 9, 10, 13, 16 et 20 octobre (rien que ça !), où il dénonce pêle-mêle la « tromperie », la « dissimulation », le « mensonge » et la « malhonnêteté »…
Dès lors les esprits se chauffent. Sur son blog Renaud Revel (l’Express) réagit aux propos d’Aphatie et prend la défense de l’émission. Le 6 octobre, il écrit que « l’introduction de caméras et de micros cachés a permis depuis une dizaine d’années de mettre à jour ce que le journalisme classique ne parvenait ou ne parvient pas à démontrer ».
Daniel Schneidermann, dans sa chronique hebdomadaire (Libération), s’en prend au « corporatisme inavoué » dont fait preuve Aphatie dans sa critique, sans pour autant donner son blanc seing au programme. Pour le journaliste qui a consacré un numéro entier de son émission Arrêt Sur Images aux caméras cachées, l’émission « Les Infiltrés » risque même d’être coincée dans une contradiction entre un impératif d’information (le devoir de dévoiler la réalité) et un impératif de loyauté (donc de révéler les noms des personnes et des lieux ciblés).
Pour David Pujadas et l’agence Capa, qui produit le programme, le magazine ne versera pas dans le spectaculaire et ne pratiquera pas l’extorsion d’informations. Il se contentera, dixit David Pujadas, de montrer « des systèmes de fonctionnement d’une réalité qui nous échappe, sans chercher à faire scandale ».
Qu’en est-il ? France 2 a procédé à une diffusion de la première émission dans ses locaux il y a quelques semaines. Seul le documentaire sur la maltraitance passive dans les maisons de retraite a été projeté. Le débat en plateau, animé par Pujadas, qui devrait lui faire suite n’a pas été montré.
Pendant environ 45 minutes, on suit donc Carole, la journaliste des Infiltrés, embauchée pendant 2 semaines comme stagiaire, dans une maison de retraite publique, dont on ne connaîtra ni le nom ni l’emplacement. Par ses questions au personnel de l’établissement, par son attention particulière portée aux pensionnaires et surtout, par ce que montre sa caméra, le spectateur est immergé dans le quotidien de l’établissement.
La journaliste observe les différents services, participe aux principales activités de la maisn (soins matinaux, déjeuners, réunions du personnel, service de nuit…) et noue une vraie relation avec plusieurs membres de la résidence.
Certaines images et certaines scènes sont très fortes, comme lorsque la journaliste-stagiaire interroge deux retraités dans une chambre et que l’un d’entre eux déclare, la voix nouée de larmes, qu’au lieu de les aider, la maison de retraite les enterre à petit feu. Ou quand Carole apprend au détour d’une phrase la mort d’un retraité dont elle s’était occupée pendant plusieurs jours et qui avait quasiment été laissé à l’abandon la nuit de son décès.
D’autres passages sont carrément choquants, notamment celui de la visite du médecin, dont le désintérêt pour les patients de la maison de retraite est effarant. Au final, c’est tout un mécanisme qui est dévoilé, ce qu’on appelle la maltraitance passive, due au manque de moyens et à l’état d’exaspération du personnel des maisons de retraite.
Peut-on pour autant parler de sensationnalisme ? Certainement pas. Car comme l’expliqueront justement David Pujadas et les producteurs de Capa à l’issue de la diffusion, si l’émission provoque un choc, ce choc ne peut être que « salutaire ». On ne constate en effet aucune volonté de nuire, ou de démontrer, aucun a priori, mais seulement la détermination de montrer une réalité douloureuse, souvent connue, mais sur laquelle, il n’y avait jusqu’à présent pas d’images.
Cependant, le problème de l’usage permanent du floutage et du « bippage » de noms se pose. Capa explique que cette pratique protège juridiquement la chaîne. Une affirmation pour le moins contestable : en effet, on peut aisément penser que les milieux et les personnes « infiltrés » pourront aisément se reconnaître en voyant le documentaire et légitimement se sentir trahis et volés. Ce qui risque d’engendrer des controverses à n’en plus finir sur la diffusion ou non du programme et plus généralement de relancer le débat sur l’opportunité de filmer en caméra cachée.
Si le sujet sur les maisons de retraite a certainement sa place dans l’émission, on peut s’interroger sur l’intérêt d’infiltrer la rédaction d’un magazine people, comme cela a été annoncé et récemment confirmé par France 2 (il ne s’agira cependant pas de Closer, malgré des rumeurs persistantes). On en revient à une des questions posées par Aphatie : faut-il, au nom du sacro-saint principe de transparence et du devoir de « tout » montrer, utiliser la caméra cachée à tout va ?
N’est-on pas en droit de penser qu’au contraire, il ne faut l’employer que dans des cas exceptionnels et que son usage doit rester l’exception plutôt que la règle ?
Crédit photo : France Télévision
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