Pédophilie en Asie, la traque aux criminels
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L267xH212/illustration_Moreira-3bba4.jpg)
Les RDV de l’Agora reçoivent M. Seila Samleang, directeur de l’ONG « Action pour les enfants-APLE » au Cambodge à propos de la diffusion du documentaire de Paul Moreira, Pédophilie en Asie : des citoyens contre l’impunité,
sur Canal+ lundi 10 octobre à 20 h 50 (il sera également rediffusé à 22 h 30 sur Canal+ décalé, mardi 11 novembre 2008 sur Canal+ décalé à 20 h 50 et lundi 17 novembre 2008 sur Canal horizons à 22 h 35).
C’est un document extraordinaire que diffuse Canal+ ce lundi 10 novembre en première partie de soirée. Le journaliste d’investigation Paul Moreira, que nous avons rencontré pour un précédent RDV de l’Agora, a enquêté sur la pédophilie au Cambodge. Mais, plutôt que dénoncer ce scandale de manière frontale, il a préféré mettre en lumière l’incroyable travail d’une association qui œuvre chaque jour sur place pour démasquer les criminels, aider la police et la justice, faire prendre conscience au niveau régional et international du caractère inacceptable de la pédophilie.
Dans Pédophilie en Asie : des citoyens contre l’impunité, Paul Moreira suit l’ONG Actions pour les enfants-APLE créée en 2003 par un Français : "cette ONG est constituée de 55 enquêteurs exclusivement cambodgiens, tous anglophones et rompus aux subtilités des outils numériques. Ils sont payés 10 fois plus que les policiers et sont devenus incroyablement efficaces dans leurs filatures et leur surveillance. Ils filment, photographient, constituent des bases de données. Paul Moreira a, explique-t-il, « découvert in vivo les défaillances de la police cambodgienne, la guerre des pressions entre l’ONG et des officiels corrompus qui protègent les criminels. Nous avons montré comment les hommes de l’ONG recrutent de simples taxis ou gardiens d’hôtels pour en faire des alliés. Ainsi ont-ils pu démanteler un réseau de cyber-pédophilie particulièrement opaque dans une intervention spectaculaire. Ce film explore l’apparition d’autorités parallèles dans un pays où l’Etat est défaillant ».
En exclusivité pour les RDV de l’Agora, M. Seila Samleang, directeur de l’ONG « Action pour les enfants-APLE » au Cambodge, a bien voulu répondre par mail à nos questions. Nous le remercions pour sa disponibilité.
Agoravox : Quand Paul Moreira a-t-il pris contact avec vous ? Avez-vous été surpris qu’un Occidental s’intéresse à vous et travaille sur ce sujet ?
Seila Samleang : Il a d’abord contacté notre président, en Inde, et nous nous sommes rencontrés seulement au début de l’année 2008. De nombreux médias occidentaux ont déjà parlé de nos activités dans des émissions ces cinq dernières années, mais le reportage que Paul a réalisé est à ce jour le plus long diffusé à la télévision. Nous coopérons toujours avec enthousiasme avec les médias parce qu’ils jouent un rôle important dans la diffusion de messages vers le monde concernant les poursuites, les condamnations et les peines de prison en rapport avec la pédophilie au Cambodge. Nous sommes également fiers parce que nous sommes un partenaire très fort du gouvernement dans la lutte contre les crimes sexuels sur les enfants.
A : Le fondateur de votre ONG est Français. Comment a-t-il créé cette ONG ?
SS : Il a créé cette ONG quand il est venu au Cambodge pour effectuer des recherches sur la pédophilie. Cela a provoqué chez lui un choc de voir des enfants des rues être victimes de sévices sexuels, dans des pensions de famille ou même dans des lieux publics. Les auteurs de ces crimes restaient impunis car la plupart des victimes ne disaient rien à cause des cadeaux ou de l’argent qu’ils recevaient et de fait la police ignorait l’existence de ces crimes.
A : Êtes-vous la seule ONG de ce type au Cambodge ?
SS : Nous sommes les seuls au Cambodge à travailler directement avec la police pour les poursuites, les condamnations et peines de prison de pédophiles qui agissent principalement en dehors des maisons de prostitution. Nous sommes les seuls qui effectuons des investigations sur les individus ou sur les réseaux de pédophiles. Nous le faisons à travers des contacts, via les enfants des rues, les orphelinats ou les familles des enfants. Il y a peu d’ONG qui travaillent sur les abus dans le domaine du tourisme sexuel.
A : Quels sont vos rapports avec la police et la justice ? Ont-ils évolué depuis 2003 ? Vous prennent-ils au sérieux ? Jusqu’où pouvez-vous aller lorsque vous traquez des présumés pédophiles ?
SS : Nous travaillons très efficacement avec les collectivités locales et la police internationale, et nos avocats assurent la liaison avec le tribunal. Il y avait des difficultés pendant les deux premières années, en 2003-2004, mais depuis nous avons réussi à gagner la confiance de la police qui suit maintenant de près les affaires sur lesquelles nous enquêtons. Nous sommes mandatés pour identifier un suspect, le surveiller, puis interroger les victimes et les témoins, pour collecter l’information et les preuves et enfin assurer la liaison avec la police pour qu’elle puisse commencer une action. Il y a encore des problèmes de corruption avec certains fonctionnaires de la cour, mais la situation est en voie d’amélioration. Dans la plupart des cas, nos avocats arrivent à les amener à rendre un jugement correct et équitable, même s’il arrive qu’on leur propose encore des pots-de-vins.
A : Au Cambodge, la lutte contre la pédophilie évolue-t-elle dans le bons sens depuis la création de votre ONG ?
SS : Oui, il y a un grand changement. Il est maintenant très clair que l’exploitation sexuelle est un crime. Nous avons apporté une compétence à propos de nombreux types de pédophiles et de leurs techniques pour abuser les enfants. Cette compétence, cette expérience a amené un changement important : la modification de la loi. Une nouvelle loi a été mise en place qui porte sur les cas de pédophilie de manière efficiente et efficace.
A : Comment avez-vous réussi à mobiliser les personnes qui travaillent avec vous ?
SS : Tout d’abord, au moment du recrutement, ils doivent faire preuve d’une grande motivation et de suffisamment de passion pour effectuer ce travail. Deuxièmement, le succès et les louanges qu’ils reçoivent des gens les encouragent. Enfin, c’est notre technique de gestion, on pourrait dire notre mission même dans un environnement risqué, qui les inspire à travailler avec nous. Notre façon de conduire cette mission fait qu’ils se sentent rassurés, ils nous font confiance et sont contents de se sacrifier pour la lutte contre les pédophiles. De plus, ce qu’ils apprennent dans ce type de gestion des risques, ils peuvent aussi l’utiliser dans d’autres contextes encore plus dangereux.
A : On voit dans le film que des membres de votre ONG possèdent des compétences poussées (juriste, éducateur). Est-ce le cas de tous les membres de votre ONG ? Le film montre que vous êtes aidés notamment par les chauffeurs de taxis. Cela signifie-t-il que la population locale est consciente de ce problème et est prête à vous aider ?
SS : Les enquêteurs possèdent chacun différentes capacités et compétences. Il peut y avoir des professeurs, des guides touristiques ou même des taxis. De plus en plus de personnes savent que la pédophilie est un problème et commencent à porter plainte à nous ou à la police. Mais une toute petite partie de la population seulement nous connaît et est prête à coopérer avec nous, tandis que la majorité est ignorante ou craint pour sa sécurité personnelle.
A : Utilisez-vous des méthodes particulières pour traquer les pédophiles ? Êtes-vous formé pour effectuer des filatures ?
SS : Nous sommes formés par des organismes comme le FBI, POEC, Interpol. Nous avons suivi de nombreuses formations à l’étranger avec des policiers et des fonctionnaires de justice. Nous utilisons nos compétences et notre habileté pour mettre la main sur les pédophiles, mais c’est surtout notre expérience qui dans plusieurs cas nous a donné l’opportunité d’être efficaces.
A : A combien estimez-vous le nombre de pédophiles au Cambodge ?
SS : Depuis 2003, 60 pédophiles étrangers ont été arrêtés par la police à la suite de nos enquêtes. Statistiquement, nous menons des enquêtes sur environ une centaine de personnes suspectées de pédophilie chaque année, mais le nombre de pédophiles est probablement plus élevé que ceux que nous pouvons détecter.
A : D’où viennent-ils principalement ? Les Français sont-ils nombreux ?
SS : La plupart d’entre eux sont Occidentaux et viennent des Etats-Unis, d’Allemagne du Royaume-Uni, de France, de Belgique, d’Australie, etc. Nous avons beaucoup de pédophiles français (on en retrouve dans plus de 50 enquêtes depuis 2003, si ma mémoire est bonne), mais seulement six ou sept sont sous les verrous.
A : Comment trouvez-vous vos financements ? Quels sont vos besoins ?
SS : Notre principal bailleur de fonds, l’Espagnole Global Humanitaria, lève des fonds par le biais de programme de promotion TV, de mécénats (entreprises privées) et par le biais du gouvernement espagnol. Je pense que nous aurions besoin d’un financement durable à long terme, car il nous reste encore beaucoup à faire dans la lutte contre les pédophiles. Nous avons également besoin de la coopération de la communauté internationale afin de donner zéro chance à un pédophile.
A : L’Union européenne, continent d’où proviennent de nombreux pédophiles, vous aide-t-elle d’une manière ou d’une autre ?
SS : La coopération avec la police, les parrainages et quelques dons, mais cela reste très limité.
A : Comment faire selon vous pour traquer les cyber-pédophiles dont certains, comme le montre le film, sont très organisés ?
SS : Nous avons une équipe qui a la capacité de conduite des investigations en ligne. Via son arrestation, un pédophile nous conduit souvent à d’autres pédophiles, en ligne et hors ligne.
A : Quelle est la position de l’ambassade de France vis-à-vis de votre ONG ? Est-elle prête à vous aider ou à aider ses ressortissants ?
SS : Récemment seulement la police française a fait des efforts sur les cas de pédophiles parce que des Français étaient mis en cause. On a donc travaillé avec la police. Mais la France ne nous subventionne pas.
A : Que faudrait-il pour que la lutte contre la pédophilie devienne une cause nationale au Cambodge ?
SS : Le congrès des Etats-Unis est en train de mener de gros efforts sur la lutte, le trafic et l’exploitation sexuelle. C’est maintenant dans l’agenda national et le gouvernement a démontré qu’il était prêt à faire des efforts significatifs dans la lutte contre ce genre de crimes. Heureusement, le gouvernement a trouvé en nous un partenaire qui a su remporter des succès ces dernières années. Le Cambodge était parmi les derniers pays dans la lutte contre la pédophilie, ce n’est plus le cas grâce aux arrestations et à la lutte menée contre la pédophilie.
A : Sans vous, la police arrêterait-elle des pédophiles ?
SS : Dans un avenir lointain, c’est possible, mais au moins dans les cinq prochaines années ils devraient encore avoir besoin de nous.
A : Pour un pédophile condamné, combien, selon vous, passent au travers des filets ?
SS : Dans la période 2003-2005, seulement 30 % d’entre eux ont été condamnés. En 2006-2008, près de 90 % ont été condamnés et emprisonnés. Depuis 2003, 39 pédophiles sont en prison parmi les 60 arrêtés.
A : Pourquoi les pédophiles n’effectuent pas la totalité de leur peine ? Pourquoi ces peines sont-elles si légères ?
SS : La corruption est en cause ainsi que la nouvelle loi qui réduit les peines pour certains délits.
A : Êtes-vous menacé par les proxénètes qui proposent des enfants aux pédophiles ?
SS : Non, mais nous l’avons été par des amis de pédophiles arrêtés. Toutefois, cela nous arrive rarement parce que nous avons une très bonne couverture.
A : Comment arrivez-vous à mettre les enfants en confiance pour qu’ils parlent ?
SS : Par l’éducation, les conseils juridiques et la participation de la famille, mais dans une certaine mesure nous utilisons les éléments de preuve recueillis pour les amener à coopérer.
A : Comment faire cesser ce fléau ?
SS : Il pourrait y avoir d’autres mesures pour arrêter les crimes, mais la plus significative est de punir les pédophiles en les mettant en prison et de protéger les victimes. A long terme, l’éducation et la prise de conscience du problème permettront de faire diminuer ces crimes.
Crédit image : Blog informations Marrakech
21 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON