Sarkozy, la France et l’Europe : je t’aime moi non plus

Non ! Les Européens disent-ils non à l’Europe ou a une certaine idée de l’Europe ? Alors que débute la présidence française de l’Union, la question vaut d’être posée. Les Français souhaitent-ils plus d’Europe, moins d’Europe ou carrément plus d’Europe du tout ? Dans son dernier ouvrage, La France doit-elle quitter l’Europe (Larousse) dont nous vous présentons un extrait ci-dessous, le journaliste Romain Gubert s’interroge : « Monnaie unique au taux décidé par la BCE, réduction imposée des déficits publics, interventions dans le rachat d’entreprises par les groupes français, quotas de pêche : l’Europe est partout. Un bouc émissaire commode pour les hommes politiques français. D’autant que la méfiance populaire vis-à-vis de la construction européenne s’accroît, comme en témoigne le rejet du projet de Constitution lors du référendum de 2005. Faut-il pour autant abandonner l’euro, quitter l’Union européenne ? ».
Romain Gubert, invité de ce Rendez-vous de l’Agora, répond à nos questions.
Interview exclusive de Romain Gubert réalisée par Olivier Bailly
Pensez-vous que le « non » irlandais signe la fin de la construction européenne ?
Pas du tout. Je pense plutôt à un coup de gueule passager au moment où le pays connaît un ralentissement économique. Il faudra bien un jour ou un autre que l’ensemble des pays acceptent de mettre au point une organisation institutionnelle stable qui organise la vie des 27 pays de l’UE. Le Traité de Lisbonne avait de nombreux défauts. Mais aussi quelques qualités indéniables : il donnait plus de poids au Parlement européen et donc à des politiques, élus démocratiquement. Il permettait aussi que des figures politiques puissent incarner l’UE (présidence stable, ministre des Affaires étrangères.)
Quelle est la marge de manœuvre de Nicolas Sarkozy alors qu’il vient de prendre la présidence européenne ?
Tout dépend de sa propre personnalité. Il n’est pas inutile d’être volontariste pour relancer l’Europe après le non irlandais. Ceci dit, il faut surtout savoir écouter les autres. Coordonner les avis des uns et des autres et être un modérateur de conflits. Nicolas Sarkozy a-t-il envie de jouer ce rôle ? Par ailleurs, en six mois, vu le nombre de chantiers qu’il a souhaité ouvrir et la crise institutionnelle qui agite l’UE, je suis sceptique.
Les Français croient-ils encore en l’Europe ?
Les Français qui souhaitent réellement « sortir » de l’Union européenne ne sont qu’une toute petite minorité. En revanche, il y a sans doute une majorité de Français qui ne se reconnaissent plus dans le projet européen actuel. En fait, il s’est opéré comme un divorce au début des années 90.
Longtemps, l’Hexagone avait une place à part, une place centrale dans le projet européen. Il était bien plus qu’un des six pays fondateurs de la Communauté européenne. La France était tout simplement l’un des initiateurs du projet européen. Ce sont des Français, Aristide Briand, Louise Weiss, Jean Monnet ou Robert Schuman qui en ont imaginé la philosophie et lui ont donné son impulsion de départ.
Ce sont encore des Français qui ont conçu le mode de fonctionnement de cette union qui n’allait pas de soi entre des pays qui s’étaient si longtemps déchirés. Une communauté dans laquelle chaque pays acceptait, volontairement, de partager avec d’autres un peu de sa souveraineté. C’était une première dans l’Histoire. Mais au milieu des années 1990, quelque chose s’est cassé. Et ensuite, tout est allé de travers.
Avec la réunification allemande, les Français ont pris peur. Cette Europe n’était plus la leur. Il y eu le Traité de Maastricht adopté par référendum à une très courte majorité. Puis la mise en place de l’euro qui s’est fait avec difficulté. Avec l’élargissement de mai 2004, ce fut pire encore. Progressivement, beaucoup de Français se sont mis à détester tout ce que l’UE symbolisait. En mai 2005, en votant majoritairement (par 54,6 % des voix avec 69 % de participation) contre le projet de Constitution européenne, ils ont dit haut et fort que l’Europe n’était plus leur projet.
Le bilan est cruel : aujourd’hui, pour les Français, Bruxelles est le synonyme du mal absolu. De cruels « eurocrates » dirigent désormais leur destin. Devenue le bouc émissaire de tous nos maux, l’Union européenne est montrée du doigt sans relâche. Certains sondages sont formels : une majorité de Français pensent aujourd’hui que sans l’Europe, la France s’en sortirait beaucoup mieux.
Comment la France est-elle perçue par les Européens ?
Malheureusement nous apparaissons comme très arrogants pour le reste des Européens. Je ne parle par des comportements individuels des Français. Mais de certains de leurs responsables qui conservent une idée de la construction européenne dans laquelle la France jouait un rôle central. Ils n’ont pas compris que la France est certes un grand pays européen. Mais pas le seul et qu’il faut savoir composer pour imposer ses vues. Prenons quelques exemples.
La France est le pays qui a le plus profité des aides agricoles européennes pendant des décennies. Mais la façon dont nous bloquons toutes les réformes de celles-ci a effectivement de quoi faire grincer des dents. Les uns après les autres, nos ministres de l’Agriculture refusent toute réforme qui vise à partager la manne européenne avec les pays d’Europe centrale. Ce n’est qu’un exemple. Lorsqu’il s’agit d’imposer un Français dans les institutions européennes, nous tentons le passage en force. Et cela agace nos partenaires.
Quid de la stabilité du couple franco-allemand ?
Le couple franco-allemand n’est plus au centre du projet européen. Certes, si la France est l’Allemagne propose ensemble une initiative, l’ensemble des pays européens écoutent avec attention celle-ci. Mais le couple Paris-Berlin pèse moins qu’auparavant dans une Europe où il faut aussi compter avec la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie et même de plus en plus avec la Pologne.
L’Angleterre évolue-t-elle sur la question européenne ? Peut-on imaginer qu’au couple franco-allemand se substitue un couple franco-anglais ?
Les Britanniques ont une vision très économique de l’Europe. Les Français rêvaient d’une Europe politique. Ceci dit, ces dernières années, Tony Blair fut très pro-européen et les Français particulièrement eurosceptiques. Les rôles étaient finalement renversés. Ceci dit, je ne crois pas à l’émergence d’un couple Paris-Londres. Hormis quelques politiques très ciblées sur lesquelles les deux pays sont en avance sur les autres.
Prenons, la défense. La France et la Grande-Bretagne sont les deux seuls pays capables de déployer une force conséquente en tout point du globe. Ils disposent d’une flotte aérienne et navale, certes modeste, mais qui n’est pas ridicule. On peut donc imaginer une défense européenne se reposant sur Paris et Londres. Reste que tout cela n’est pas facile à mettre au point : le conflit de l’Irak où la France et la Grande-Bretagne étaient sur des positions divergentes a laissé des traces.
Le fait que les Français ne soient plus au centre de l’Europe représente-t-il un danger pour l’Europe ?
Un danger ? Non bien sûr. Un changement d’orientation sans aucun doute. Mais à partir du moment où l’Europe s’est élargie à 27 pays (et la France le souhaitait et a accepté cet élargissement), les politiques français auraient dû prendre en compte le fait que la France ne jouerait plus un rôle si important.
La France a largement bénéficié des bienfaits européens. Pourtant les Français semblent s’en détourner. Pourquoi ? Quel est le risque d’une France en dehors de l’Europe ? Est-ce envisageable ?
Non bien sûr, une France hors de l’UE ce serait tout simplement un désastre. Pensons à nos entreprises, les voit-on se « battre » seule face à la Chine ? Pensons à notre ancienne monnaie, le franc alors que nos performances sont mauvaises. Nous aurions dû dévaluer.
Pensons tout simplement au fait que la France est aujourd’hui l’un des premiers pays pour l’accueil des investissements étrangers, signe de la vitalité de son économie (en 2006, selon la Banque de France, elle a attiré 58,4 milliards d’euros d’investissements directs étrangers, ce qui la situe au 3e rang mondial derrière les États-Unis et la Grande-Bretagne).
Un peu plus de 20 000 groupes étrangers y ont créé des filiales qui emploient près de 2 millions de salariés. Il y a dix ans, ils n’étaient qu’un million à travailler pour une entreprise étrangère. Avec ce résultat : un salarié sur sept est employé par une entreprise étrangère. C’est davantage qu’en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis.
Sur un plan économique, la France est la 6e puissance mondiale. Dans le palmarès des entreprises mondiales, l’Hexagone est loin de faire pâle figure. Pensons ainsi à L’Oréal (numéro un mondial des cosmétiques), Saint-Gobain (leader mondial de matériaux de construction), Danone, LVMH, Michelin, Air Liquide, Carrefour, Total ou encore Dassault Aviation. Géographiquement, elle est au cœur de l’Union européenne.
Et davantage encore au cœur du poumon économique de l’UE, des pays les plus riches de l’Union. La France est aussi le pays le plus visité au monde (78 millions de touristes en 2006). Il y fait bon vivre (l’ONU classe l’Hexagone au 1er rang pour la qualité de la vie). Pensons qu’en dehors de l’UE nous n’en serions pas là. Et c’est grâce à son appartenance à l’UE que la France en est là.
Sommes-nous assez informés sur l’Europe ?
Je ne suis pas sûr. Par rapport aux Allemands et aux Britanniques dont les journaux ont souvent plusieurs correspondants à Bruxelles, les journalistes français y sont très peu nombreux. La plupart sont de très bons journalistes et ils font ce qu’ils peuvent pour couvrir l’actualité européenne. Le problème, c’est que, par manque de moyens, ils ne peuvent faire d’enquête ou prendre du temps pour raconter de façon attrayante les sujets européens. Souvent et à quelques exceptions, les patrons de journaux estiment que les sujets européens ennuient leurs lecteurs. Ce n’est pas vrai. Toutes les études le montrent les Français aiment parler de l’Europe, débattre.
« … Au milieu des années 1990, quelque chose s’est cassé. Et ensuite, tout est allé de travers. Avec la réunification allemande, les Français ont pris peur. Cette Europe n’était plus la leur. Avec la mise en place de l’euro et l’élargissement de mai 2004, ce fut pire encore. Ils se sont mis à détester tout ce qu’elle symbolisait.
En mai 2005, en votant majoritairement (par 54,6 % des voix avec 69 % de participation) contre le projet de Constitution européenne, ils ont dit haut et fort que l’Europe n’était plus leur projet. Même si le "non" fut évidemment pour beaucoup de Français la possibilité de sanctionner Jacques Chirac, alors au plus bas dans les sondages, il fut d’abord et avant tout le moyen pour eux de dire leur désamour pour cette Europe inquiétante dans laquelle ils ne se reconnaissaient plus. Un sentiment de défiance présent aussi chez les électeurs qui ont voté "oui".
Car parmi ceux qui ont approuvé la Constitution, rares sont les Français qui ne l’ont pas fait à contrecœur, en traînant les pieds. En témoignent ces meetings calamiteux lors de la campagne pour le référendum où les partisans du "oui" – les politiques, les industriels tout comme les intellectuels – affrontaient les huées de ceux qui voulaient bien voter "oui", mais à condition qu’on leur explique pourquoi il fallait le faire. Le rejet est sans appel : aujourd’hui, pour les Français, Bruxelles est synonyme de mal absolu.
De cruels « eurocrates » dirigent désormais leur destin. Devenue le bouc émissaire de tous nos maux, l’Union européenne est montrée du doigt sans relâche. Un sentiment semble dominer dans le pays : puisque les 60 millions de Français n’ont plus le même poids et la même influence dans une Europe à vingt-sept pays – qui compte aujourd’hui 490 millions d’habitants –, autant lui tourner le dos.
Certains sondages sont formels : une majorité de Français pensent aujourd’hui que, sans l’Europe, la France s’en sortirait beaucoup mieux. Les Français ne veulent plus de l’Europe. En tout cas plus de celle dans laquelle ils vivent. Comme dans un couple qui ne s’entend plus, ils doivent faire le bilan de ces cinquante années de vie commune. Imaginer ce que la France et l’Europe peuvent encore construire ensemble. Et se poser cette question toute simple et finalement très légitime : la France doit-elle quitter l’Europe ? »
© Larousse
Crédit photo : eitb24
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