Extrait d’un article.
UN REVENU CITOYEN - LE REVENU DE BASE EN DEBAT
Ulrich Hölder
« Il faut créer les possibilités pour que chacun puisse réaliser
librement ce qui correspond à sa vocation, en fonction de ses capacités
et de ses forces. » (R. Steiner, 1906)
Coup d’éclat
<Samedi 2 juillet 2005.
On prend son journal (le « Stuttgarter Zeitung ») et on commence, comme à
l’habitude, à éplucher les informations politiques avant de passer aux
pages économiques.
Les nouvelles catastrophiques sont devenues la routine ces derniers
temps : chômage, insolvabilités, reprises « hostiles » ou normales
d’entreprises, déficits budgétaires, réendettement, croissance
insuffisante, etc. Le lecteur régulier peut presque déjà formuler
lui-même les « thérapies » proposées, tant elles sont répétitives : si
l’on veut augmenter la croissance, il est nécessaire voire indispensable
(d’après la théorie de l’offre néo-libérale), d’une part, de soulager
les hauts revenus (baisse de la plus haute tranche d’imposition) et les
entreprises (allègement de l’impôt sur les sociétés), et d’autre part,
d’abaisser les coûts salariaux ( contributions sociales pour la maladie,
le chômage, les retraites) sans oublier de débureaucratiser, déréguler,
rendre plus flexible, etc.
De temps en temps, mais beaucoup plus rarement, on trouve aussi des
articles indiquant que l’économie souffre actuellement d’une demande
intérieure trop faible et que celle-ci ne peut être stimulée par une
réduction des contributions sociales mais au contraire par une
augmentation du salaire réel, parallèlement à l’augmentation de la
productivité, et par des programmes publics d’infrastructures
(orientation de la demande selon Keynes, comportement anticyclique des
pouvoirs publics).>
Ce samedi, toutefois, le ton en première page de la partie économique
est tout nouveau. Titre : L’économie libère l’homme du travail. Et
en-dessous : selon Götz Werner, directeur général de la chaîne de
drogueries dm, l’Allemagne a besoin d’un revenu citoyen et d’un seul
impôt (interview par Sönke Iwersen).
On se frotte les yeux, abasourdi, et on y regarde une deuxième fois…
Mais si, pas de doute, toute une page d’interview de Götz Werner, un
patron d’orientation anthroposophique, fondateur et gérant actuel de la
chaîne de drogueries dm !
Dans un encart au milieu de la page, une photo couleur de Götz Werner
accompagnée de ces mots : Götz W. Werner, né en 1944 à Heidelberg,
marié, père de 7 enfants, ouvre sa première boutique à Karlsruhe en
1973. Aujourd’hui 1500 filiales, 21 000 salariés, chiffre d’affaires
d’env. 3,1 milliards ( !) d’Euro. Dirige depuis 2003 l’Institut
d’entreprenariat à l’université de Karlsruhe.
Et c’est parti : à 27 questions brèves, 27 réponses concises.
a) Création de nouveaux emplois
G. W. surprend d’entrée de jeu : « La tâche de l’économie n’est pas de
créer des emplois. Au contraire, la tâche de l’économie est de libérer
les hommes du travail. Nous avons superbement réussi sur ce point, ces
50 dernières années. » … « Globalement, aucune génération, en Allemagne,
n’a eu à travailler si peu en disposant d’un niveau de vie aussi élevé
que celui d’aujourd’hui. » …
b) Quand l’emploi crée le chômage
« Notre compagnie crée beaucoup d’emplois, certes. Mais notre réussite
est due à notre productivité. La productivité entraîne la croissance. Et
parce que nous grandissons, nous créons des emplois. Mais c’est au
détriment de l’emploi dans d’autres entreprises moins productives. En
économie politique, on voit que la réussite sur un marché saturé conduit
toujours à une diminution de l’emploi. »
c) Productivité, prospérité, travail
G. W. : « Nous vivons dans des conditions quasi paradisiaques. Car nous
sommes aujourd’hui en mesure de produire beaucoup plus qu’il serait
raisonnable de consommer... Ceux qui ont quelques notions d’économie
savent au moins une chose : l’époque du travail de masse est révolue. » …
d) La 2ème tâche de l’économie
G. W. : « Il existe 2 tâches. La première : approvisionner les hommes en
biens et en services. … La deuxième : en plus de produire des biens,
l’économie doit fournir suffisamment d’argent aux hommes pour qu’ils
puissent consommer. » …
e) Fournir de l’argent aux hommes ? Pour avoir de l’argent, il faut travailler…
G. W. : « Oui, oui. Et celui qui ne travaille pas n’a pas le droit de
manger, n’est-ce pas ? Cette pensée est encore profondément ancrée dans
les esprits. Mais elle ne nous fait pas avancer d’un pouce
aujourd’hui. » . ..
f) Un revenu citoyen inconditionnel
G. W. : « Nous avons besoin d’un revenu citoyen inconditionnel. Une
rente à vie pour chaque citoyen. » A combien doit-elle s’élever ? « A
une somme suffisante pour couvrir décemment les besoins de base : 1300 à
1500 Euros. »
g) Comment financer cela ?
G. W. : « Je propose d’abolir tous les impôts sauf la TVA, la taxe sur la valeur ajoutée. …
qui pourrait monter
jusqu’à 48 %. … Si vous additionnez toutes les taxes et toutes les
charges sociales, le résultat équivaut à un taux de TVA de 48 %. Et si
cette somme n’était collectée qu’à travers la taxe sur la valeur
ajoutée, les avantages seraient immenses. »
h) Un exemple
G. W. : « Supposons qu’une infirmière gagne 2500 Euros. Après
soustraction du revenu citoyen de 1300 Euros, l’hôpital n’aurait plus
qu’à payer 1200 Euros. L’infirmière toucherait autant mais la
rémunération de son travail serait beaucoup moins lourde pour l’hôpital.
Le revenu citoyen allègerait considérablement les charges qui pèsent
sur les biens et les services très gourmands en main d’œuvre, ce qui
dynamiserait d’autant le marché du travail. Au résultat, les prix
resteraient les mêmes, l’Etat devant financer le revenu citoyen sur la
TVA collectée. »
i) Qui voudra encore travailler s’il peut rester chez lui pour 1500 Euros ?
G. W. : « Vous sous-estimez la valeur immatérielle du travail. Beaucoup
de gens ont un grand plaisir à travailler. Songez aussi à tous les
métiers sociaux et à tout le travail culturel. Sur ce plan, les besoins
sont immenses dans la société et trouveraient enfin le moyen d’être
financés. » …
Les emplois ennuyeux, désagréables devront être mieux rémunérés si nous en avons besoin. »
j) Tout le monde parle de crise. En vous écoutant, on pourrait penser que l’Allemagne va très bien.
G. W. : « Ce qui est tout à fait vrai. Notre pays n’a encore jamais
produit une telle prospérité. Nous avons seulement du mal à répartir ces
richesses. Nous n’y sommes pas habitués. »
k) Donc pas de crise ?
G. W. : « En tout cas pas de crise économique… Nous progressons vers une
société dans laquelle le travail disparaît. La question est de savoir
ce que les gens peuvent faire de leur temps libre. C’est une question
culturelle. Le problème que nous rencontrons ne relève pas du marché du
travail mais de la culture. Malheureusement, les gens en sont à peine
conscients. C’est justement par là qu’il faut s’attaquer au problème.
http://www.tournant.org/articles/revenus.htm?page=Revenu%20citoyen