@ Bernard Dugué
Bonjour, c’est la première fois que je m’adresse à vous directement même si j’ai pu à l’occasion laisser des commentaires sur vos fils.
La première raison en est que votre article m’apparaît tout à fait spécial, bien différent de vos productions habituelles.
Je trouve que c’est un beau témoignage, inspiré autant que sincère et, pour une fois, votre texte est plus global, allusif et synthétique que savant et explicatif.
Cela me permet de venir à votre rencontre car il n’est dès lors rien qui fasse obstacle et, au contraire tout m’y porte, puisque le tableau que vous brossez m’offre la claire confirmation de maintes similitudes jusqu’à présent seulement entrevues.
Je ne vais pas les recenser toutes, disons que pour l’essentiel :
- Je suis absolument convaincu, et plus exactement croyant en l’existence d’une transcendance (pour avoir eu récemment une expérience de conversion racontée ici) et je travaille activement à construire une cohérence dans les conceptions que l’on peut se faire de la vie, de l’homme et du religieux
- Ma formation est scientifique, j’ai publié mon premier article en 1992 dans la revue internationale de systémique et je n’ai pas dévié d’un pouce du modèle organisationnel que j’ai commencé à exposer (ici le dernier volet) après l’avoir exposé en long et en large dans une thèse non publiée soutenue en ... 1996 avec un titre très compliqué (Imitation et attribution de causalité : la construction mimétique du réel, la construction mimétique du soi. Application à la psychose naissante et à l’autisme)
. - Si nous n’avons pas exactement le même vécu au sein de l’institution scientifique nationale, je pense que nous en avons une vision assez semblable à ceci que je pense être autrement plus sévère que vous ne l’êtes. Voyez-vous, j’en suis venu à la conviction que la science ne pense pas, ou disons très peu et très mal car ceux qui sont au pouvoir détestent absolument ceux qui ont des idées. La tâche est donc très dure pour ceux qui ne sont pas de nature moutonnière. J’en suis venu à la conviction qu’il n’y a pas plus d’intelligence (en moyenne) dans une université que dans un centre de tri de La Poste. Ceci veut dire qu’il y a encore beaucoup de gens intelligents dans les universités et les labos et c’est pourquoi il peut être désirable de les intégrer. Cependant, le principe de Peter étant souvent à l’oeuvre, les rapports à l’autorité peuvent vite devenir aversifs et vous avez je crois très bien décrit cela dans vos articles autobiographiques en tant que chercheur.
- En clair, j’ai un doctorat et après une vie pas désagréable mais inconfortable de rat de laboratoire, je suis lentement venu à une situation de résignation acquise vis-à-vis de la possibilité d’obtenir un recrutement à l’université. J’y ai renoncé et je me dis que j’aurais dû le faire depuis longtemps. C’était une quête identitaire égoïste qui, au final, m’a considérablement ralenti dans les recherches qui sont les miennes et que je poursuis aussi activement que, semble-t-il, vous poursuivez les vôtres.
- Pour finir, les hypothèses que j’essaie de mettre en forme dans une psychologie synthétique me permette de me sentir à l’aise dans tous les domaines de réflexions que vous avez évoqué pour une raison que vous comprendrez aisément. L’objet sur lequel est fondé mon approche est le cycle. Comme vous le savez il est partout. ça paraît fou, mais je me sens donc toujours un peu chez moi dans quelque domaine que ce soit car j’y prends vite les repères qui m’intéresse et je peux assez vite me mettre à réfléchir et faire des hypothèses. C’est un peu comme ce que René Girard pointait lorsqu’il disait que celui qui connaît parfaitement la Bible peut alors aisément pénétrer toutes les langues car, dans quelque langue inconnue qu’il la lise, il comprend ce qu’il lit.
- J’ai donc un système (d’hypothèses) assez complet qui, bien sûr, me fait passer pour un fou auprès de mes collègues puisque je peux tout ramener... à la même chose
. Mais bon ce n’est pas le moment d’y venir, alors je m’en tiens là.
Voilà, je tenais à vous saluer comme un confrère non seulement docteur mais penseur, puisque l’un ne va pas nécessairement avec l’autre.
Notre situation n’est pas confortable, mais je continue de croire qu’elle est enviable car à aucun moment je ne voudrais être un de ces chercheurs-engrenages de la monstrueuse machine à publier qu’est devenue la recherche scientifique en maints secteurs.
En tout cas, vous ouvrez sur des perspectives qui montrent qu’il y a tellement à penser en dehors du champ d’action de la science officielle. Et ce qu’il y a à penser me paraît même être l’essentiel.
Bon, quoi qu’il en soit, merci pour ce bel article.
Bien cordialement,
Luc-Laurent Salvador