Commençons par dire que l’on n’a inventé le militarisme que pour soutenir l’injustice et c’est l’envahissement progressif du régime de la force qui a fait régner partout la souffrance des masses. Le militarisme a pris sa forme moderne en 1558 ; cette date est celle de l’année où fut créé le premier régiment de France. Notons cependant que c’est Charles VII, le premier, qui prit en mains le commandement suprême des compagnies de guerre et imagina la création d’une armée nationale. Les armées furent d’abord composées de simples bandes de pillards de profession, ou de vilains. Aussi, c’est à partir de Louis XIV que les hommes reçurent une solde régulière et furent appelés « soldats ». On les appelait aussi « soudards », parce qu’ils étaient « soudoyés » ; c’était un métier méprisé. Et, en effet, quoi de plus méprisable que de recevoir de l’argent pour tuer des hommes ?
À propos d’oligarchie, Valérie Bugault, dans son ouvrage « Demain dès l’aube… le renouveau », explique que « la carence de la plupart des analyses géopolitiques vient du fait que le paradigme d’étude ne prend, le plus souvent, pas en compte la réalité des acteurs en présence. Les rapports de forces sont, la plupart du temps, considérés au regard des seuls États. Or, dit-elle, depuis plusieurs siècles, s’est développé, dans l’ombre, un acteur géopolitique nouveau, anonyme et de nature privé », que Valérie Bugault appelle du terme générique de « banquiers-commerçants » et que nous nommerons « puissances d’argent ».
La première puissance à avoir intégré la caste des « puissances d’argent » en tant que nouvel acteur politique est l’Angleterre. Le choix d’Oliver Cromwell (1599-1658) de développer l’Empire britannique en adossant la puissance des armes à celle des banques a créé un nouveau paradigme politique.
Dire cela ne signifie pas que l’Angleterre porte l’acte de naissance de cet acteur géopolitique nouveau, anonyme. Sa naissance est plutôt à rechercher dans les Républiques commerçantes de Gênes, de Florence ou de Venise.
Après l’Italie, l’acte de naissance de ces « puissances d’argent » est aussi à rechercher dans le premier État à avoir donné une réalité institutionnelle à ces banquiers, la Hollande, via la création en 1609, de la banque d’Amsterdam.
Si, donc, l’Angleterre de Cromwell n’est pas à l’origine du développement de ses « puissances d’argent », elle est néanmoins à l’origine du paradigme consistant à adosser les velléités impériales à la puissance financière naissante des banquiers ; ce phénomène a, mécaniquement, généré l’avènement d’un nouveau modèle de référence dans lequel la puissance politique et militaire est intimement liée au développement de la banque.
Dans les étapes ultérieures, les banquiers se sont internationalisés dans le même temps qu’ils ont commencé à se centraliser par l’instauration du système des banques centrales. Ces institutions sont nées sous le signe de l’imposture : présentées comme des banques d’État, elles disposaient à ce titre de la garantie de l’État (c’est-à-dire des contribuables de l’État) alors que ses capitaux restaient dans des mains privées.
La captation monétaire par les banquiers a historiquement permis à ces derniers de générer de gros conglomérats économiques : les grandes entreprises, elles-mêmes devenues « groupes d’entreprises ». Ces « groupes d’entreprises » sont contrôlés par des personnes privées et disposent, aujourd’hui comme hier, de la force de canon étatique, laquelle évolue de plus en plus souvent, au rythme de la décadence étatique, en milices privées : citons, présentement, la PMC (Private Military Company) « Academi » précédemment connue sous le nom de « Blackwater ». Le poids des PMC et ESSD (Entreprise de Services de Sécurité et de Défense), surtout anglo-saxonnes, a été croissant depuis les années 1990.
La création et prolifération d’armées de proxy, formées de mercenaires, est une arme massive de destruction de la substance des État. Elle manifeste de façon évidente la méfiance que les « principaux détenteurs de capitaux » entretiennent vis-à-vis des forces de l’ordre étatiques traditionnelles. Les attaques militaires, officielles, officieuses ou par mercenaires interposés (l’une des dernières en date fut l’attaque massive de la Syrie par des hordes de mercenaires soutenus par les « puissances d’argent » qui utilisent les États occidentaux comme des armes pour asseoir leur propre hégémonie politique), voire aussi la stratégie de la tension et les opérations ou attentats « sous faux drapeau » orchestrés par les armées secrètes de l’OTAN (Gladio, etc.) et autres réseaux clandestins du « Stay-behind », sont une manifestation de force employée par les « principaux détenteurs de capitaux » pour faire disparaître les États indépendants.
Outre la captation des richesses que ces guerres permettent, elles ont aussi, et sans doute surtout, pour objet la disparition effective de tout contrepouvoir politique réel.
Notons qu’une organisation paramilitaire de type PMC a été créé en Russie le 1er mai 2014 : il s’agit du « Groupe Wagner ».
NB : Extrait du livre « La Stratégie du Choc » de Naomie Klein :
« Au fur et à mesure que la guerre (d’Irak) se prolongeait, même le recrutement, autrefois chasse gardée des militaires, devint une entreprise à but lucratif. Dès 2006, des agences de placement du secteur privé, par exemple Serco ou une filiale du géant de l’armement, L-3 Communications, recrutaient des soldats. Les recruteurs privés, dont beaucoup n’avaient jamais servi au sein des forces armées, touchaient une prime chaque fois qu’ils persuadaient un candidat d’y entrer. Un porte-parole de l’entreprise se vanta du reste en ces termes : « Si vous voulez du bifteck, il faut enrôler plein de gens. » Le règne de Rumsfeld provoqua également un boom dans le secteur de l’entraînement privé : des sociétés telles que Cubic Defense Applications et Blackwater organisaient des séances de formation au combat et des jeux de guerre en direct. Pour ce faire, on conduisait les soldats dans des centres privés, où ils s’exerçaient aux combats de maison en maison dans des villages de simulation. (…) L’accroissement marqué du rôle des entreprises privées en tant qu’objectif stratégique du gouvernement ne fit jamais l’objet d’un débat ouvert. Rumsfeld n’eut pas à mener des batailles rangées avec les syndicats des fonctionnaires fédéraux ni avec les généraux. Les choses se firent à la dérobée, sur le terrain, à la faveur de ce que les militaires appellent des élargissements de mission. Plus la guerre s’éternisait, plus elle se privatisait, et bientôt ce fut simplement la nouvelle façon de faire la guerre. Comme maintes fois auparavant, la crise avait favorisé l’apparition du boom. (…) À eux seuls, les chiffres racontent l’histoire dramatique des « élargissements de mission » au profit des entreprises. Pendant la première guerre du Golfe, en 1991, il y avait un entrepreneur pour cent soldats. Au début de l’invasion de l’Irak, en 2003, la proportion était d’un pour dix. Au bout de trois années d’occupation américaine, elle était d’un pour trois. Moins d’une année plus tard, au moment où le quatrième anniversaire de l’occupation était imminent, la proportion était d’un entrepreneur pour 1,4 soldat américain. (…) Selon les plus récentes estimations, l’industrie des mercenaires vaudrait à elle seule quatre milliards de dollars. (…) Si la reconstruction de l’Irak a indiscutablement été un échec du point de vue des Irakiens et des contribuables américains, elle a été tout le contraire pour le complexe du capitalisme du désastre. Rendue possible par les attentats terroristes du 11 septembre, la guerre en Irak ne marqua rien de moins que la naissance violente d’une nouvelle économie. (…) Telle était l’idée géniale qui sous-tendait le plan de « transformation » de Rumsfeld (En joignant les rangs de l’équipe de George W. Bush en 2001, Rumsfeld avait une mission : réinventer l’art de la guerre au XXIe siècle pour en faire une manifestation plus psychologique que physique, un spectacle plutôt qu’une lutte. Et, surtout, un exercice beaucoup plus rentable que jamais auparavant) : dans la mesure où tous les aspects de la destruction autant que de la reconstruction ont été externalisés et privatisés, on assiste à un boom économique chaque fois que des bombes commencent à tomber, qu’elles s’arrêtent et qu’elles recommencent, d’où un circuit fermé de profits liés à la destruction et à la reconstruction, à la démolition et à la remise en état. Pour les sociétés futées et prévoyantes comme Halliburton et le Carlyle Group, les destructeurs et les re-constructeurs appartiennent simplement à des divisions différentes des mêmes entreprises (La société Lockheed Martin va encore plus loin dans ce sens. Au début de 2007, elle a commencé, selon le Financial Times, à « acquérir des entreprises du secteur de la santé dont le chiffre d’affaires se situe dans les mille milliards de dollars » (…) la société sera en mesure de profiter non seulement des bombes et des avions de chasse qu’elle fabrique, mais aussi de la reconstruction des infrastructures qu’elle a détruites et même des soins prodigués aux personnes blessées par ses propres armements.) (…) L’administration Bush a pris quelques mesures importantes mais peu débattues pour institutionnaliser le modèle de la guerre privatisée élaboré en Irak. Elle en a ainsi fait une caractéristique inamovible de la politique étrangère. »
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