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docdory docdory 24 octobre 2008 23:18

 Cher Paul Villach

Je suis finalement allé voir " entre les murs " . Une surcharge de travail m’a empêché d’écrire un article à ce sujet , mais l’attitude de Bégaudeau / François Marin à propos du journal d’Anne Franck est à rapprocher de ce qui constitue à mon avis une des scènes centrales du film . Au début du film , en effet , on voit le professeur d’histoire discuter avec Marin , le prof de français . Il lui dit que , dans son programme d’histoire , il est en train de voir l’époque des Lumières avec ses élèves , et propose à Marin de faire une espèce d’activité multidisciplinaire , en faisant étudier simultanément Voltaire en cours de français . Bégaudeau , alias Marin , répond en substance que Voltaire , ils ne sont pas au niveau pour comprendre . Le prof d’histoire s’étonne et propose " Candide ", en disant que tous les élèves peuvent comprendre " Candide " à cet âge . Bégaudeau répond approximativement :" ah non , même " Candide " , c’est trop compliqué pour eux " .
 Quelles peuvent être les raisons fondamentales de cette incroyable démission de Bégaudeau ? En effet Voltaire , c’est la racine de la civilisation française moderne . Comment des élèves pourraient-ils accéder à la dignité de citoyens adultes d’une République démocratique s’ils s’avèrent incapables de comprendre Voltaire ?
Plusieurs motivations expliquent peut-être cette démission :
1°) Dans sa volonté obsessionnelle de " ne pas exclure " , le prof de français refuse de voir la vérité en face : trois ou quatre élèves sèment la pagaille dans son cours , en premier le dénommé Souleymane , qui finira ( semble t-il au bout de nombreux mois ) , par être exclu . Un tel élève , à mon époque , aurait été exclu en quinze jours maximum, et les quelques autres agitateurs de la classe l’auraient fermé pour le restant de l’année . Ces trois ou quatre fauteurs de troubles sont responsables du fait qu’aucun enseignement n’est possible , en raison de leurs interruptions intempestives permanentes . La plupart des autres élèves seraient parfaitement capables de comprendre Voltaire, au moins partiellement , s’il régnait dans cette classe une atmosphère studieuse . Bégaudeau est psychiquement en état de conflit entre son devoir social, qui est d’enseigner , et sa philosophie politique de " lutte contre l’exclusion" . Or , enseigner , c’est malheureusement parfois exclure et sélectionner . En refusant d’exclure au plus vite les perturbateurs , c’est, du coup, la classe entière qui se retrouve exclue du savoir auquel elle pourrait prétendre !
2°) Il est possible que Bégaudeau n’aime tout simplement pas Voltaire . En effet , Voltaire , certes , représente la tolérance , mais cependant est à mille lieues des idées de " relativisme culturel " assaisonnées de " respect " qui sont celles de gens comme Bégaudeau . Voltaire était prêt à se battre pour que des gens aient le droit d’exprimer leurs idées , même si elles étaient contraires aux siennes . Néanmoins , il ne se privait pas de se moquer ouvertement de ces idées dans tous les domaines , y compris religieux . De nombreux " penseurs " de gauche actuellement penchent que des valeurs telles que la liberté, les droits de l’homme et la laïcité, tous concepts directement issues de la pensée de Voltaire , sont un " discours " de l’Occident qui n’a pas plus de valeur que n’importe quel autre discours , et que , dans une société " multiculturelle " , on n’a pas à "imposer" ce mode de pensée (ou à " privilégier un discours par rapport à d’autres " ) à des élèves originaires d’autres cultures.
3°) Néanmoins , je crains fort que Voltaire soit évité par Bégaudeau pour des raisons " ethniques " , analogues à celles qui font qu’il ne rentre pas dans les " détails " au sujet de la mort d’Anne Franck . En effet , nombre des élèves de cette classe sont issus de familles musulmanes . ( Je refuse d’appeler ces enfants des " enfants musulmans " : est-ce qu’on appelle des enfants de parents trotskystes des " enfants Besancenistes " , ou des enfants de parents Sarkozystes des " enfants UMP " ?). Or , Voltaire s’est notoirement livré à des attaques en règle contre les religions , et en particulier s’est livré à une charge féroce contre l’inventeur de l’islam dans sa pièce " Mahomet le prophète " ( Chef d’oeuvre absolu du théâtre qui , malheureusement , est maintenant victime d’une censure systématique ). Bégaudeau/ Marin a donc tout lieu de craindre que sa classe ne soit bordélisée si Voltaire y est étudié. Pour éviter de possibles ennuis , il préfère renoncer , en alléguant un pretexte " ils ne peuvent pas comprendre " , prétexte qui , si l’on y réfléchit bien , pourrait être assimilé à du racisme !...
La fin du film semble donner tort au prof de français , en ce qui concerne l’aptitude de ses élèves à étudier Voltaire : en effet , une de ses plus mauvaises élèves , Esmeralda , la " pétasse " , comme il la qualifie inélégamment , raconte en fin d’année que le seul livre qu’elle a lu cette année est " la République " de Platon ( seul livre disponible chez elle ! ) . Si la plus mauvaise élève est capable de lire ça , les autres peuvent donc étudier Voltaire en cours , non ?
Dernière remarque à propos du film : un des griefs pour lequel Bégaudeau/Marin accompagne Souleymane dans le bureau du proviseur est le fait que Souleymane tutoie Bégaudeau en classe .
Or, que fait Bégaudeau / Marin ? : il tutoie les élèves et les appelle par leur prénom !!! 
Lorsque j’étais moi même élève , à l’école maternelle , on était tutoyé et appelé par son prénom , en primaire , on était tutoyé et appelé par son nom de famille , et, à partir de la sixième , on était vouvoyé et appelé par son nom de famille , précédé de monsieur ou Mademoiselle. Le prof ne disait pas " François ( ou Hélène ) au tableau ! ", mais " Monsieur X ( ou Mademoiselle Y ) au tableau ! " Cette subtile graduation dans l’attitude des profs vis-à-vis des élèves marquait progressivement une ébauche de transition vers l’âge adulte . A noter que les élèves , entre eux , s’appelaient par leur nom de famille , seuls les vrais amis s’appelaient par leur prénom ! Respectés en tant que futurs adultes en formation , nous respections en retour nos professeurs . En 1969 , en cinquième , j’ai eu un premier prof tutoyeur . Cette nouvelle coutume fut en grande partie responsable de la profonde détérioration ultérieure de l’éducation nationale . De même que le tutoiement intempestif des " jeunes des cités " par les fonctionnaires de police est en partie responsable de la mauvaise image de la police dans les " quartiers " .


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