Si la morale proposée par monsieur Ogien semble sur la question du « respect d’autrui » considéré comme garant de l’harmonie des relations sociales, elle pêche par défaut sur celle de la dignité humaine : la notion de dignité renvoie à celle de tout être humain comme référence universelle de l’humanité, comme une « image de soi » inaliénable intrinsèquement présente en tout Homme.
C’est ce que (à mon sens) revendique la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en son article premier : « Tous les Hommes naissent libres et égaux en dignité et en droit » => manière d’affirmer qu’il ne suffit pas de se respecter mutuellement en droit (comme le propose lapidairement la formule « ne pas nuire, rien de plus ») mais aussi en dignité. En effet, si autrui est mon semblable, c’est aussi, par réversibilité, que je suis comme lui (= le semblable de mon semblable).
Or si tous sont égaux en droit et en dignité, non seulement ce qui serait préjudiciable au droit d’autrui me serait également dommageable, et inversement, mais ce qui porterait atteinte à la dignité d’autrui me serait également cause d’indignité, et réciproquement : autrement dit, dans l’hypothèse selon laquelle je commettrais un acte n’impliquant que moi, mais dégradant pour ma personne, l’indignité ainsi provoquée rejaillirait sur tout un chacun. Puisqu’à l’égal de chacun, je porte sur mes épaules, de par ma naissance, la dignité de chaque Homme.
Il m’apparaît que, si elle répond effectivement à un idéal social en matière de libertés individuelles, l’éthique prônée par M. ogien méconnaît ce principe humaniste, selon lequel l’harmonie sociale ne dépendrait pas uniquement du respect du droit de chacun, mais de sa dignité. Car chaque être humain renvoie individuellement une image de l’humanité toute entière. Chacun porte donc idéalement à travers lui une part de responsabilité de ce qu’il représente envers la communauté humaine.
A titre d’exemple, un poivrot au dernier stade de l’éthylisme ne fait du tort qu’à lui-même (sauf dégâts collatéraux de violence induite, et pour choisir délibérément, dans le sens du propos, un cas de toxicomanie légale). Or par l’image de dégradation humaine qu’il donne, il nuit implicitement à l’harmonie sociale. Non pas qu’il faille lui dénier le droit de se saoûler, du strict point de vue libéral (libertaire). Mais sur le plan philosophiquement humaniste, il me semble qu’on peut légitimement, sinon contester, à tout le moins remettre en cause cette attitude aliénante d’avilissement volontaire. Sauf à feindre d’ignorer le sentiment intime de désolation que la vision d’un tel comportement provoque chez la plupart d’entre nous ? Sentiment de malaise que l’on traduit habituellement par l’expression « avoir honte pour lui », qui révèle, s’il était besoin, notre indissoluble solidarité hulmaine en matière de dignité.
Solidaire dignité, indispensable à la cohésion de la communauté humaine, que paraît négliger, à tort, cet esprit fort : car la dimension constitutivement collective de l’humanité est indissociable de son aspiration à l’émancipation individuelle. Et l’être humain, pour ce que nous en connaissons, ne saurait s’épanouir exclusivement par lui-même. C’est pourquoi une éthique strictement individualiste, pour satisfaisante qu’elle soit pour l’esprit libéral (et j’en suis) restera toujours insuffisante.
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