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Bulgroz 12 juillet 2010 16:22

Barbier de Séville, texte de Beaumarchais. 

SCENE VIII BARTHOLO, DON BAZILE ; 
FIGARO, caché dans le cabinet, paraît de temps en temps, et les écoute


BARTHOLO continue. __ Ah  ! Don Bazile, vous veniez donner à Rosine sa leçon de musique  ? 
BAZILE __ C’est ce qui presse le moins. 
BARTHOLO __ J’ai passé chez vous sans vous trouver. 
BAZILE __ J’étais sorti pour vos affaires. Apprenez une nouvelle assez fâcheuse. 
BARTHOLO __ Pour vous ? 
BAZILE __ Non, pour vous. Le Comte Almaviva est dans cette Ville. 
BARTHOLO __ Parlez bas. Celui qui faisait chercher Rosine dans tout Madrid  ? 
BAZILE __ Il loge à la grande place et sort tous les jours, déguisé. 
BARTHOLO __ Il n’en faut point douter, cela me regarde. Et que faire ? 
BAZILE __ Si c’était un particulier, on viendrait à bout de l’écarter. 
BARTHOLO __ Oui, en s’embusquant le soir, armé, cuirassé... 
BAZILE __ Bone Deus ! Se compromettre ! Susciter une méchante affaire, à la bonne heure, et, pendant la fermentation, calomnier à dire d’Experts  :concedo. 
BARTHOLO __ Singulier moyen de se défaire d’un honime ! 
BAZILE __ La calomnie, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens près d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde, qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande Ville, en s’y prenant bien ; et nous avons ici des gens d’une adresse ! ... D’abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l’orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l’oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable ; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez Calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’oeil ; elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait  ? 
BARTHOLO __ Mais quel radotage me faites-vous donc là, Bazile ? Et quel rapport ce piano-crescendo peut-il avoir à ma situation ? 
BAZILE __ Comment, quel rapport ? Ce qu’on fait partout, pour écarter son ennemi, il faut le faire ici pour empêcher le vôtre d’approcher. 
BARTHOLO __ D’approcher  ? Je prétends bien épouser Rosine avant qu’elle apprenne seulement que ce Comte existe. 
BAZILE __ En ce cas, vous n’avez pas un instant à perdre. 
BARTHOLO __ Et à qui tient-il, Bazile ? Je vous ai chargé de tous les détails de cette affaire. 
BAZILE __ Oui. Mais vous avez lésiné sur les frais, et, dans l’harmonie du bon ordre, un mariage inégal, un jugement inique, un passe-droit évident, sont des dissonances qu’on doit toujours préparer et sauver par l’accord parfait de l’or. 
BARTHOLOlui donnant de l’argent. __ Il faut en passer par où vous voulez ; mais finissons. 
BAZILE __ Cela s’appelle parler. Demain tout sera terminé ; c’est à vous d’empêcher que personne, aujourd’hui, ne puisse instruire la Pupille. 
BARTHOLO __ Fiez-vous-en à moi. Viendrez-vous ce soir, Bazile ? 
BAZILE __ N’y comptez pas. Votre mariage seul m’occupera toute la journée ; n’y comptez pas. 
BARTHOLO l’accompagne. __ Serviteur. 
BAZILE __ Restez, Docteur, restez donc. 
BARTHOLO __ Non pas. Je veux fermer sur vous la porte de la rue.


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