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Luciole 12 octobre 2007 11:39
Luciole

@ Pierre Régnier

Je suis flattée de votre obstination à obtenir de ma modeste personne une réponse à une question aussi vaste. Je vais donc essayer de répondre de façon plus centrale puisque vous insistez, même si j’ai le sentiment de manquer de légitimité pour cela.

Je suis d’une part d’accord avec Forest Ent pour dire que la violence est endémique aux rapports humains et ne se limite pas aux conflits religieux.

Toutefois, il faudrait être effectivement aveugle pour nier le fait que les conflits portant sur les questions religieuses peuvent être terriblement sanglants et les guerres de religions qui ont frappé la France, l’Allemagne et les Pays bas au 16ème siècle en sont un exemple effroyable.

Il y a deux questions qui en découlent :
- d’une part, est-ce que l’église catholique actuelle cautionne toujours les crimes commis au cours de ces guerres ?
- d’autre part, pourquoi la religion engendre-t-elle une telle violence, qui est d’autant plus choquante, il faut insister là-dessus, lorsque ces religions prèchent le pardon et l’amour ? En somme, la violence des nazis est moins choquante, parce-qu’ils n’ont jamais prétendu vouloir être gentils...

Tout d’abord, je me sens quand même relativement mal placée pour défendre l’église catholique parce que je suis profondément oecuménique (judéo-chrétienne, si l’on veut) et que les positions de l’église romaine me déplaisent très souvent. Je pense qu’aucun prêtre aujourd’hui ne serait prêt à dire que le massacre de la Saint-Bathélémy a été commis au nom de Dieu. Par ailleurs, l’église romaine, je crois, a demandé officiellement pardon pour avoir déclenché les croisades. Le problème vient surtout de son positionnement par rapport à des textes considérés comme sacrés alors qu’ils devraient être considérés comme « historiques ». La plupart des chrétiens avec lesquels je discute raisonnent comme des païens, au mieux comme des bouddhistes. Ils n’ont pas réellement accès à la rationnalité des évangiles et aux lumières de l’ancien testament, aussi, par peur de perdre cette transcendance qui créé leur unanimité, ils n’osent pas se positionner de façon critique (mais les protestants le font beaucoup plus déjà).

Cela m’amène directement à la question de la violence des conflits religieux. René Girard explique bien que le sacré est ce qui permet aux êtres humains d’éviter de s’entre-tuer à l’occasion des rivalités mimétiques. Le sacré est, comme son nom l’indique, fondamentalement sacrificiel. La pensée humaine est naturellement emprunte de chamanisme et tend à l’idôlatrie et au lynchage. Lorsque vous attaquez les dogmes ou les coutumes qui structurent la pensée magique d’un groupe, vous mettez immédiatement en périls les liens communautaires de ce groupe et vous le menacez de dislocation. Or, l’être humain, malgré l’avancée importante de l’individualisme, supporte pratiquement aussi mal de ne plus avoir de groupe que d’être condamné à mort. C’est pourquoi les conflits religieux engendrent des réactions extrêmement violentes, car les personnes préfèrent encore mourir pour préserver les fondements de la cohésion de leur groupe que de voir ce groupe éclater, ce qui anihile encore bien plus leur sentiment d’existence.

René Girard est convaincu que le travail de sape du message judéo-chrétien a favorisé le développement de l’individualisme tout en évitant aux sociétés modernes de trop sombrer dans la violence (mais Auschwitz et Hiroshima nous ont montré jusqu’où pouvait aller la violence en cas de crises de la modernité). L’être humain moderne est très complexe sur le plan psychologique, parce qu’il n’est pas encore débarassé, loin s’en faut, de sa nature profondément chamanique, mais qu’il a été éduqué par un grand nombre de penseurs qui ont lutté contre la pensée magique. Il vit une lutte continuelle entre ces deux modes de pensée, ce qui le rend très névrosé, comme Freud l’avait noté.



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