et enfin
Une focalisation obsessionnelleL’entreprise de communication visant à démolir Arafat ne fait que débuter ; elle s’intensifiera évidemment avec l’arrivée au pouvoir d’Ariel Sharon - Sharon à qui Barak, par sa propagande autour des « offres généreuses » prétendument refusées par les Palestiniens à Camp David, a ouvert une voie royale. « Les mots peuvent tuer. Mais rarement des mots auront autant coûté de vies humaines que ceux-là, qui ont légitimé les funestes projets d’Ariel Sharon », soulignent les auteurs. On enferme le président palestinien dans une typologie dont on devine sans mal le racisme latent - Arafat, c’est un peu l’Arabe de Tintin. Un soupçon continuel pèse sur lui ; chacun de ses mots ou de ses actes est décortiqué - examen auquel bien peu d’hommes politiques résisteraient : « Rarement la presse se sera permis avec autant d’impudence de juger un homme jusqu’au tréfonds de lui-même. » Peu à peu, sous ce travail de sape, le leader palestinien change de visage : « Il n’était pas le modéré au sein d’un mouvement palestinien qui a son lot d’irrédentistes, il était leur complice et peut-être même leur chef occulte. » Sauf que, bien évidemment, « ce n’est pas le “terroriste” qui est traqué derrière Arafat, mais le signataire des accords d’Oslo » : Oslo, cauchemar de Sharon. Faisant feu de tout bois pour discréditer son ennemi, le vieux général ira jusqu’à fustiger, en mai 2002, au lendemain de la meurtrière Opération Rempart, la « corruption » d’Arafat : « La bataille contre la corruption, s’insurgent Dray et Sieffert, c’est la bataille, depuis longtemps entamée, de la société palestinienne elle-même. Ce ne peut être celle du colonisateur. Ce ne peut être le cent unième argument d’Ariel Sharon pour liquider Arafat. Comment l’homme qui vient d’ordonner la destruction des maisons, des écoles, des bibliothèques, des hôpitaux, des ordinateurs, l’éventration des routes et des canalisations d’eau aurait-il pu d’un seul coup faire croire qu’il se souciait de justice au sein de la société palestinienne ? »
Mais le principal effet de cette focalisation obsessionnelle sur Arafat est de personnifier à outrance la cause palestinienne. « Le peuple n’existe pas, constatent les auteurs. L’histoire tout entière se passe dans la tête d’un stratège retors : Arafat. » Au moment de Camp David, les négociateurs israéliens « orientent la lumière du projecteur sur l’homme Arafat. On évoque très peu le contenu des discussions, sinon par de vagues formules répétées sans examen ; on ne parle jamais de la situation réelle sur le terrain, de la misère des Palestiniens qui s’est aggravée depuis Oslo, du sentiment collectif et massif de s’être fait berner depuis sept ans ». La distorsion culmine en mars 2002 : le 12, Sharon rend une certaine liberté de mouvement à Arafat. Au même moment, l’offensive de l’armée dans les camps fait 20 morts. « Mais la plupart de nos journaux commentèrent avant tout “un geste de bonne volonté”. »
Joss Dray et Denis Sieffert notent que, dans les médias français, les éditorialistes se montrent bien plus perméables à la communication israélienne que les correspondants travaillant sur le terrain - ce qui produit parfois de bizarres dissonances dans les pages d’un même journal. Mais les auteurs étudient aussi l’effervescence qui règne dans les pages « débats », squattées par « un petit groupe d’intellectuels qui entretiennent avec Israël le rapport qu’entretenaient jadis les communistes français avec Moscou », et qui adoptent une « posture tribale d’autant plus absurde que la plupart d’entre eux affichent des principes républicains incompatibles avec la moindre manifestation de communautarisme ». Ces pages de tribunes libres sont un terrain d’épanouissement rêvé pour la propagande : « Pourvu que l’on ait une renommée dans le microcosme de la presse et de l’édition, on peut proférer d’énormes contrevérités ou de douteuses approximations sans s’exposer à une réplique immédiate. » Les attentats du 11 septembre 2001 ont encore accru l’hystérie de leurs plus grands habitués, qui ont saisi l’occasion de « dissoudre le conflit colonial israélo-palestinien dans une guerre de défense des valeurs occidentales » : « Le conflit israélo-palestinien a été récupéré par le choc des civilisations. La révolte palestinienne n’est plus, pour certains éditorialistes, qu’une manifestation du “délire islamiste”. » Dans Libération du 19 octobre 2001, Marc Lévy, membre du comité directeur du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), cité par nos auteurs, définit ainsi, sans rire, les enjeux de la situation au Proche-Orient : « Démocratie contre fanatisme, pluralisme contre autocratie, rationalité contre mythologies, éducation contre obscurantisme. »
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