I. le Régime égyptien : état policier, sécuritaire, dictature militaire ?
De fait trois appareils et forces distincts autant que rivaux qui fonctionnent avec leurs propres réseaux et structures, opérant dans des espaces autant économiques que sociaux différents, et bien souvent se cotoyant plus que ne collaborant.
a)la Police égyptienne dépend du Ministère de l’Intérieur et donc trés proche de Moubarak. Mais attention, sur le terrain la situation est somme toute relative puisque de fait les stations de police (parmi les premières cibles des manifestants) fonctionnent en autonome : certaines optent pour l’action politique et donc renforcent sur le terrain le parti présidentiel, d’autres plus pragmatiques préfèreront le trafic de drogues ou le racket des commerces locaux : au final la Police égyptienne avec l’autonomie qu’elle a gagné au fil des ans, est devenue plus un ensemble de business locaux, d’entrreprises régionales s’assurant avant tout le contrôle « économique » de tel ou tel territoire imparti par la carte issue du Ministère de l’Intérieur. Un exemple intéressant est celui de la réaction de la police égyptienne, et de son pragmatisme au quotidien , au début des années 90, à la montée en puissance des gangs « baltagiyya » : souvent présentés en Occident comme des islamistes en raison de leur contrôle des quartiers populaires et bidonvilles du Caire : ces dits baltagiyya ne formaient en fait que des gangs criminels tels qu’on l’entend habituellement.
La police égyptienne sous la tutelle (en fait sur les ordres du Ministère de l’Intérieur, décida donc puisqu’il lui était impossible de contrer ces gangs, d’en faire un usage plus pratique et donc de les recruter : ainsi de gangs criminels, ces fameux baltagiyya sont ils devenus des sous-traitants du Ministère de l’Intérieur et des Services de Sécurité égyptien : leur recrutement autant que leur entrainement (notamment orientés sur les sévices sexuels : viols pour les femmes liées à l’opposition ou manifestants, ainsi que pour les détenus islamistes) en a tout naturellement fait les premières défenses sur le terrain du régime et les premiers bourreaux du SSI : mabahith amn al dawla : véritable machine à enfermer, torturer, terrifier toute opposition.
b) encore plus autonome que la Police, nous avons les fameux services de Sécurité amn al-Markazi : que les médias occidentaux appellent improprement ou confondent avec la police : ce sont eux qui portent uniformes noirs, casques mais qui forment une force autonome du Ministère de l’Intérieur égyptien : amn al markazi au départ furent conçus comme une sorte de garde privée pour Moubarak : cependant à la différence par exemple des bassiji iraniens, les Amn al-Markazi sont très mal payés et n’ont aucune formation idéologique ou politique : ils se sont d’ailleurs en raison de leurs très bas salaires, déjà soulevés. Au final sans la brutalité des baltagiyya qui les accompagnent le plus souvent : ils ne représentent pas vraiment une véritable force sur le terrain, de même que leur loyauté ne serait pas un élément sur lequel le régime pourrait compter : il est à noter que les moments d’embrassade entre manifestants et amn al markazi désarmés sans trop de résistance (suivis par leur disparition du paysage) sont sans doute emblématiques de ce qu’il se passe actuellement en Egypte.
c) l’Armée : élément clé dans la résolution future (quelle qu’elle soit) de la situation en Egypte mais aussi élément central dans la société égyptienne. Aucun lien entre forces armées égyptiennes et markazi ou Police et Ministère de l’Intérieur : si la Police forme une sorte de corps autonome en Egypte, l’Armée elle forme une sorte d’état parallèle.
Une armée, qui malgré son importance dans l’histoire contemporaine égyptienne (qui dans les faits a vu une succession de militaires à la tête du pays depuis le mouvement des Officiers Libres des années 50, s’est vu marginalisé depuis les accords de Camp David : or ce statut d’eunuques condamnés à l’inaction depuis lors, inondés d’aides diverses et variées par les US, de concessions dans le domaine économique par l’Etat égyptien ( centres commerciaux, clubs balnéaires, etc…), est une position certes privilégiée mais qui nourrit autant ressentiment que sentiment de déshonneur face à ce que nombre de militaires considèrent comme indigne de l’Armée égyptienne ou de son histoire et rôle particulier dans et pour le pays.
Mais cette dimension économique qui fait de l’Armée un des premiers acteurs économiques du pays a aussi son importance dans la lecture des évènements actuels et de la possible suite des évènements : la marginalisation-cocooning de l’armée égyptienne a eu pour conséquence d’en faire un groupe économique et financier, organisé et structuré autant que largement impliqué dans tout le paysage économique égyptien : mais avec un bémol de taille : nos militaires égyptiens autant businessmen que capitalistes qu’ils soient sont de fervents patriotes : et cette mise à l’écart de l’Armée et sa réduction à un corps d’eunuques surarmés et businessmen nationalistes prend alors sa véritable dimension politique puisque cette conception nationaliste ou patriotique de l’économie va complètement à l’encontre des actions du clan Moubarak dans le champ de l’économie.
Si les investissements étrangers sont les bienvenus, la loyauté des militaires égyptiens va et reste à leur pays : et la mainmise du clan moubarak, symbolisé en la figure du fils Gamal, qui depuis des années a plus ou moins mis aux enchères son pays, a accru au sein de l’Armée égyptienne le sens du devoir patriotique : devoir patriotique qui dans les faits s’oppose autant à la mise en vente du pays, qu’à la corruption omniprésente autant qu’à la barbaries des tristement célèbres baltagiyya : sentiment autant du devoir que de l’ honneur s’associant pour opposer au néolibéralisme prédateur du clan Moubarak, -privatisant et vendant à tout va à la Chine, aux USA, aux pays du Golfe tout ce qu’il peut apparaît- une forme de capitalisme patriote ou nationaliste.
Certes, cette dimension ou perspective n’apparaitra pas forcément évidente et de fait l’Armée égyptienne est discrète mais dans les évènements de ces derniers jours quelques éléments laissent apparaitre cette trame sous-jacente de la lutte de et des pouvoirs en Egypte : dés le départ (vendredi 28) l’Armée opèrera un coup de force à l’encontre des forces de police et sécurité, de même que la disparition soudaine du fils Moubarak et du ministre de l’Intérieur Al Adly : le premier symbolisant ce capitalisme prédateur et anti-égyptien, le second la barbarie de l’Etat et le déshonneur d’une armée marginalisée.
Cependant l’armée est elle-même divisée : en premier lieu deux corps particuliers la Garde Présidentielle et l’Air Force : proches et fidèles à Moubarak : et ainsi entre les militaires de haut tel que Tantawi allant saluer les manifestants, vous retrouvez par ailleurs le boss de l’Air Force au poste de premier ministre dont la sympathie pour les anti-moubarak est loin d’être acquise si ce n’est existante, de même que la Garde Présidentielle qui est devenue un élément clé en assurant la protection de la Radio-télévision publique : son basculement et le contrôle de ce centre de pouvoir aurait sans nul doute accéléré ou précipité le cours des évènements.
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