@Régis DESMARAIS
Allons un cran plus loin. Notre époque fourmille de moyens de communication — si la presse ne joue plus son rôle de 4ème pouvoir, comme vous le rappelez, c’est surtout parce qu’elle ne le peut plus vraiment, une grande partie de l’information ne passant plus par son canal : il y a toujours des journaux pour exprimer des points de vue « contraires à la doxa », mais face à la pléthore d’informations qui nous inonde, ils sont certainement moins visibles qu’autrefois, ce qui limite grandement leur pouvoir. Le 4ème pouvoir est toujours là, mais noyé dans cette masse il a perdu son... pouvoir.
Cette masse, c’est surtout celle des « réseaux sociaux » — au sens large, incluant les blogs et les sites personnels : il n’y a jamais eu autant de moyens de s’exprimer (notre époque est formidable), mais du coup il n’a jamais été aussi compliqué de maîtriser l’information — notre époque est celle de la guerre de l’information. Dans ce cadre, la notion de « censure » voit son sens évoluer : autrefois, lorsqu’on censurait quelqu’un dans quelques journaux, quelques radios et chaînes de télévision, il perdait toute visibilité. Censurer quelqu’un aujourd’hui est devenu beaucoup plus difficile : lorsque Finkielkraut estime qu’en le virant LCI le « bâillonne », il exagère — la preuve, il réussit sans problème à s’en plaindre partout.
Supprimer un compte Twitter, est-ce donc une forme de censure ? Est-ce inquiétant ? Dans cette guerre de l’information, répondre par l’affirmative c’est aussi affirmer que Twitter est devenu un canal principal d’information — c’est lui attribuer la victoire de cette guerre. En censurant Trump et en le criant bien fort, Twitter et les autres réseaux sociaux ne font rien d’autre que se livrer une bataille de visibilité : celui dont on considérera la censure comme la plus gênante aura gagné. Ce n’est pas pour rien que Jack Dorsey, président fondateur de Twitter, exprime lui-même ses doutes et ses craintes sur la censure de Trump : ce faisant, il participe à cette affirmation de Twitter comme vecteur principal d’information, en faisant semblant de croire que priver quelqu’un de Twitter c’est l’empêcher de parler (ce qui est aujourd’hui totalement faux, surtout pour Trump). Et si tout le monde le croit, alors Twitter aura gagné, il sera devenu LA source d’informations, on n’ira plus chercher ailleurs.
Le paradoxe de notre époque c’est que l’information n’a jamais été aussi facile à diffuser (à ce titre, la censure ou la suppression de plate-formes, que vous juger inquiétante, ne me paraît pas si grave : ces nouveaux media ont une nature beaucoup plus volatile que les anciens, sans doute faut-il s’y habituer un peu ; pour un compte ou une plate-forme qui disparaît, combien apparaissent dans la foulée ?), mais que du coup il n’a jamais été aussi difficile de se frayer un chemin là-dedans. C’est carrément la notion d’information elle-même qui devient floue : on parle aujourd’hui à outrance de « fake news », de « faits alternatifs », de « contre-vérités », etc, mais il est difficile de caractériser ces notions - les « fake news » de certains seront des vérités indubitables pour d’autres, sans qu’on arrive souvent à faire basculer un camp dans l’autre.
Bref, c’est un débat épistémologique complexe qu’il reste à résoudre...
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