• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Signaler un abus

Mélusine ou la Robe de Saphir. 3 février 2022 13:00
Mélusine ou la Robe de Saphir.

N’avaient-ils pas raison en cela ?

En effet. Tocqueville lui-même, ce « super démocrate », soulignait la nécessité d’une religion en démocratie pour rendre aux hommes le sens de l’espérance. Le paradoxe de la démocratie est qu’il n’y a pas mieux qu’elle, qu’il n’y a pas d’ailleurs : on ne peut espérer autre modèle. Elle nous rend libres tout en nous enfermant en elle ; elle donne des droits, mais dans un aquarium. Cette condition si paradoxale est à mon avis à l’origine d’un problème énorme qui est l’absence d’un au-delà. Du coup, comme je l’écrivais dans Franc-tireur, la radicalité s’offre aux citoyens désœuvrés comme un divertissement majeur, elle se donne des moulins à vent, elle pourfend le « racisme d’État » dans un monde où l’État pourfend le racisme, elle impose la haine en combattant l’introuvable « grand remplacement », elle voit une dictature dans la gestion de la crise sanitaire… La radicalité est le désir éperdu d’un adversaire si haïssable, d’un mal si profond qu’il faille l’extirper à la racine. Ce combat délivre le sens d’une vie. Si l’injustice n’existait pas, la radicalité l’inventerait.

Cette frustration devant un système démocratique imparfait mais indépassable serait donc ce qui explique que le dimanche après-midi dans Bruxelles, à l’occasion de l’une ou l’autre manifestation, on crie à la dictature et que l’on casse les abribus ?

On s’en prend à l’État que l’on tient pour le responsable de nos misères, et on a le sentiment d’accomplir un geste libératoire. Mais de quoi se libère-t-on quand on casse un abribus, quand on s’en prend à un ministère ? On se libère d’une tutelle dont on veut penser qu’elle est tyrannique pour donner un sens à une vie qui n’en a pas. Et c’est pour cela que nous avons en France les « gilets jaunes » dont les revendications sont parfois légitimes, mais dont le diagnostic est délirant.

Rien n’est moins démocratique qu’une société « inclusive » qui partout fait place aux spécificités de chacun, faites-vous comprendre. Que voulez-vous dire ?

Je veux dire que l’inclusion est une partition, une parcellisation. Prenez l’écriture inclusive et vous verrez à quel point elle témoigne de cette idée. En plaçant des « e » entre guillemets, tirets ou points pour marquer le féminin, elle symbolise le fait que tout inclusivisme est en réalité une parcellisation de la société. Cela me fascine d’entendre certains crier victoire quand ils découvrent dans un texte un « e » précédé d’un point médian. Je vois plutôt une mise à l’écart orthographique d’une lettre au nom de son inclusion. Ce qui œuvre à la démocratie est la fabrique d’un terrain commun. Or un langage commun n’est pas un langage qui inclut la totalité des langages : plutôt un langage qui est le référent de tous, ce qui n’empêche aucune singularité. Le simple fait par exemple de parler des personnes LGBTQI + montre que l’enjeu d’une société inclusive est moins de fabriquer un terrain commun, que de concevoir une cage adaptée à chacun. Ce costume d’Arlequin est aux antipodes de ce qu’est la République.

Dans nos démocraties, écrivez-vous, les « raisonnables » ne sont plus ceux qui tentent de faire usage de la rationalité, mais ceux qui parviennent à ne vexer personne en esquivant les sujets qui fâchent. Les médias sont-ils devenus trop raisonnables ?

Quand on déclare « il faut raison garder », on en vient à dire qu’il faut mettre les sujets sous le tapis. On entre dans le déni. Croire que l’on pacifie les relations humaines en dédramatisant ce qui se passe me paraît infiniment dangereux. 



Palmarès