11 septembre 1973, le dernier combat d’El Pocho
(...) vous ne pourrez plus entendre le son de ma voix. Peu importe, vous continuerez à m’écouter, je serai toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d’un homme digne qui fut loyal avec la patrie. Le peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit pas se laisser exterminer et humilier. (…)
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Le 11 septembre 1973, les mots d’un homme qui vont mourir, préférant la balle à l’exil, adressent aux chiliens un dernier message de courage et d’espoir, un message d’adieu. Dernier baroud d’un homme aux abois refusant d’obéir à ceux qui mettent fin violemment aux trois années d’expérience de « transition pacifique et dans la légalité vers le socialisme », l‘anéantissement du rêve collectif pour une société plus égalitaire porté par « El Pocho » le médecin des bidonvilles, natif de Valparaiso, aimé des pauvres et élu légitime depuis le 4 septembre 1970.
Mais la tache est ardue, le rêve difficile à réaliser, le pays est paralysé, secoué par les grèves, les tentatives de putsch, les attentats, les complots, l‘économie défaillante, la fuite des capitaux. En sous-main, les Etats-Unis procèdent à un travail de sape, en finançant la grève des camionneurs qui empêche tout approvisionnement. Le 13 aout 1973, Allende annonce dans un discours interrompu par une coupure d’électricité du à un attentat, que le pays est « au bord de la guerre civile. »
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Un mois plus tard, dans le palais de la Moneda en flammes, bombardé par des roquettes de l‘armée de l‘air, El Pocho, armé de la kalash offert par Castro, tire sur les chars et attend l’assaut final. Dans quelques minutes, il se suicidera d’une balle en pleine tête.
Fomenté, par le gouvernement des Etats-Unis, opéré par les généraux, le putsch de l’armée chilienne sera le préambule à l’ « opération condor » dont on estime aujourd’hui qu’elle couta la vie à 50 000 victimes sur le continent sud-américain.
Sous couvert de la CIA, des dictateurs impitoyables érigeront la torture et les exécutions arbitraires en mode de gouvernement, s’appuyant sur les tristement célèbres escadrons de la mort formés de main de maître par des SS exilés en Amérique du Sud, des tortionnaires patentés de la CIA et autres bourreaux d’extrême-droite pour qui le communisme, en cette période de guerre froide, est l’ennemi juré.
Ce 11 septembre 1973, à l’image de l’ambassadeur des US, les opposants d’Allende sablant le champagne à l’annonce du coup d’état, peuvent-ils se douter que ces généraux qui prennent le pouvoir vont jeter le peuple chilien dans une épouvantable dictature dont la devise sera : tortures, assassinats, disparitions ?
La veille, la marine chilienne et la marine américaine faisaient des manœuvres communes .De retour au port de Valparaiso, l’infanterie de marine chilienne se rend maître de la ville à 3h du matin. A 6h, le coup d’Etat s’étend dans tout le pays, sans rencontrer de résistance. A 9h, l’armée de terre prenait le palais de la Moneda d’assaut, ou Salvadore Allende, président démocratiquement élu, refusa la proposition d’être exilé, conscient que la junte militaire ne prendrait pas le risque de le laisser en vie. Quitte à mourir, il préféra la lutte que la soumission.
Sa famille évacuée, prêt à se battre, entouré de ses gardes du corps, Allende profite que la radio ne soit pas encore aux mains des putschistes pour dire adieu à son peuple, et répond à son interlocuteur au téléphone qu‘un président élu ne se rend pas.
Avant de se donner la mort.
Une répression féroce s’abat sur les opposants, et les dirigeants de la gauche chilienne. Le rio Mapocho charrie les cadavres des fusillés. En trois jours qui verront 200 personnes assassinées par les militaires, le stade de la capitale est transformé en camp de concentration où l‘on parque la jeunesse gauchiste de Santiago,battue torturée, violée.
Le Parlement est fermé, les partis de gauche et les syndicats sont interdits, les autres partis « suspendus ». Toute tentative de manifestation est sévèrement réprimée. Des camps de prisonniers sont ouverts dans chacune des treize provinces. Couvre-feu, état de siège et état d'urgence sont décrétés sur un Chili vaincu et humilié. « Nos communiqués minoraient systématiquement l'ampleur de la répression contre les humanoïdes marxistes, nous a affirmé en 1989 le général Manuel Contreras, l'ancien chef de la Dina. Nous devions terroriser le peuple pour l'empêcher de se soulever. Le recours à la torture était systématique et les ordres venaient du plus haut niveau. » source
On peut compter sur eux pour suivre les ordres à la lettre. Les méthodes des tortionnaires atteint des raffinements de sadisme.
Les artistes poursuivis, arrêtés, suppliciés comme Victor Jara, chanteur guitariste engagé, symbole de l’unité Populaire, à qui les bourreaux vont broyer les mains avant de l‘achever d‘une rafale de mitraillette le 16 septembre 1973 dans un gymnase couvert l‘Estadio Chile ou il a été emprisonné avec 600 étudiants. En 2009, son corps sera exhumé et on relèvera 44 impacts de balle sur son cadavre dont un coup de grâce dans la tête. Huit inculpés, dont six en prison, un en hôpital psychiatrique, et le dernier en Floride, sont actuellement en attente de leur procès.
Le grand stade de Santiago, dont l’officier commandant ces journées sanglantes appelait son fusil mitrailleur « la scie d’Hitler », porte aujourd’hui le nom de Victor Jara.
En quelques semaines, 1800 personnes sont exécutées, 5000 croupissent dans le stade de Santiago et 1500 dans un bateau ancré au large de Valparaiso.
« Eradiquer le cancer marxiste » selon les termes de la junte. Ils vont s’y atteler pendant 17 années aux ordres de Pinochet. 38 000 personnes seront arrêtées, emprisonnées, torturées, y compris des mineures de 12 ans, garçons et filles, et 3200 personnes vont disparaitre, tandis que des centaines de milliers de chiliens s’exilent à l’étranger.
Les œuvres interdites, détruites et les livres brûlés en pleine rue rappellent les autodafé des heures sombres de l’Allemagne nazie.
Les assassins aux ordres du pouvoir prennent soin d’effacer leurs méfaits en faisant disparaitre les corps des détenus mis à mort. Des mécaniciens de l’armée de l’air, rompant « un pacte scellé par le sang » ont avoué les dizaines de vols en hélicoptères d’où ils jetaient à la mer des sacs de jute remplis de cadavres. Entre 400 et 500 corps ont ainsi été engloutis par les flots, disparaissant à jamais. Un seul corps remontera à la surface, celui de Marta Ugarte, qui s’échouera en 1976 sur une plage de la région de Valparaiso. Cette erreur permettra trente ans plus tard de faire payer les auteurs du crime et de faire la lumière sur les méthodes de la junte.
En 1988, Pinochet vise la candidature pour l’élection présidentielle de 1989. Un référendum est organisé pour confirmer son investiture. Le 1er Octobre, un million de personnes manifestent pour le non dans les rues de Santiago, un non confirmé à 56 pour cent par les urnes le 5 octobre.
Le Chili va pouvoir respirer enfin.
Est mort dans son lit le 10 décembre 2006, Augusto Pinochet, 91 ans, dont un quart de siècle passé à la tête de l’armée chilienne et 17 années de dictature sanglante, celui qui avait dit ce 11 septembre 1973 en parlant d’Allende « Tuons la chienne. Finissons en.. » poursuivi mais jamais jugé pour crimes, tortures, enlèvements, disparitions forcées, détournements de fond, etc. La liste est longue.
Aujourd’hui, la cour suprême à Santiago du Chili reconnait « les graves manquements » dont elle s’est rendue coupable et demande pardon.
"Je paierai de ma vie la loyauté du peuple"
Aujourd’hui, 11 septembre 2013, souvenons nous du dernier combat d‘El Pocho.
Sources :
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20061210.OBS2328/chronologie-de-la-dictature-chilienne.html
http://www.humanite.fr/monde/le-message-de-salvador-allende-40-ans-apres-548390
http://next.liberation.fr/musique/2013/01/10/victor-jara-la-justice-du-chili-ouvre-les-yeux_873153
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