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12 janvier 2010

 Une journée pas comme les autres…

Les taxis n’arrêtaient pas de rouler, le marché informel animait encore les rues de la ville. J’en étais déjà à ma troisième réunion pour la journée quand l’impensable se produit…
 
Avec ma collègue de travail, nous étions dans le bureau du vice-président, nous étions en train d’établir les stratégies de lancement pour un nouveau produit… tout à coup… nos regards se croisèrent. Quelque chose se passait… Le building se mit à vibrer sous moi. Mon cerveau ne réalisa pas tout de suite ce qui se passait, nous étions tous paralysés avant de nous rendre compte qu’il s’agissait d’un tremblement de terre.
 
Tandis que j’essayais d’agripper quelques choses pour ne pas basculer dans le vide, une secousse encore plus violente nous projeta hors du bureau. Ma collègue dans sa chute ma collègue faillit s’étaler sur le plancher tandis que le vice-président tentait d’atteindre le poteau le plus proche. Dans un bruit sourd, le sol déchainé, à quelques étages sous moi, projetait à quelques mètres plus haut les voitures qui bloquaient encore la circulation comme une vague géante. Au dehors les lignes à hautes tension dansaient auprès des buildings qui s’écroulaient l’un après l’autre.
 
Nous n’en revenions pas, nous n’étions pas encore près de comprendre ce qui venait de se passer. Le vice-président nous intima l’ordre de quitter le building, encore sous le choc, nous nous sommes tous dirigés vers les escaliers qui cédaient sous nos pas. A ce moment précis je me demandais si j’aurai le temps de traverser le parking. Ce n’était qu’une question de secondes !
 
Une fois dehors, j’entendais les voitures qui klaxonnaient, des centaines de personnes étaient déjà dans les rues, criant et pleurant. J’essayais alors de contacter ma famille, sans succès. Pas de communication. Tout le reste du personnel qui était présent essayait tour à tour de contacter leur proche. Certain poussaient des cris d’effrois, d’autres avaient un semblant de calme pour ne pas réveiller des soupçons. Au-dessous de la ville, un nuage de poussières remplissait le ciel. On apprit que le centre-ville était complètement détruit ! Nul n’allait avaler ces histoires, rien de tel ne s’est jamais produit. Impossible, c’était impossible !
 
Il était à peine 5 heures de l’après-midi et le noir envahissait déjà la ville de Port-au-Prince. Il fallait pourtant que je parte, que je sache si ma famille avait survécu. Une de mes collègues de travail sauta dans sa voiture, nous nous étions décidées à rejoindre nos familles.
 
Plus loin, les blessés longeaient les rues de Pétion-ville. En cours de chemin, surgit un ami de mon collègue, les yeux dans le vide cherchant en vain à retenir sa mère afin qu’elle ne voit pas leur maison qui venait de s’effondrer avec sa grand-mère.
 
La panique nous gagna peu à peu. A quelques mètres de là, nous avions dû laisser passer plusieurs voitures transportant des blessés. La voiture se mit à chauffer. Après plus d’une heure, la voiture fini par démarrer. Nous reprenons à nouveau le chemin pour rentrer, sans succès, impossible d’aller plus loin. La route était coupée. Les gens marchaient, lançaient des cris de détresse. Pleuraient pour leurs proches qui avaient disparu sous les montagnes de béton.
 
Finalement, nous avons abandonné la voiture dans une station service pour continuer à pied. Plusieurs personnes avaient imité notre geste et commencé à marcher. Le morne de canapé-vert avait atterri sur la route ne laissant plus place pour les voitures. De l’autre côté de la route, on voyait le morne sinistre où les maisons s’étaient effondrées les unes emportant les autres au passage comme un jeu de dominos. Les gens parlaient entre eux de la fin du monde. D’autres disaient que tout cela arrivait à cause de nos péchés.
 
Nous continuons pourtant à marcher mais nous étions encore loin d’imaginer un tel désastre. Plus nous descendions le morne du canapé-vert, plus les sanglots brisaient le calme de la nuit. Nous passions à travers les lignes à hautes tension qui longeaient le sol. Les maisons qui jadis faisaient le charme de nos rues étaient transformées en un amas de béton et de poussières.
 
Mon ami prit congé, anxieuse et paniquée par le tableau qu’elle avait sous les yeux. Elle avait peur pour sa famille, j’avais peur pour elle et j’avais peur pour moi. Je la laissai partir impuissante devant tant de douleur. Je continuai ma route sous la poussière qui m’aveuglait et les gens qui me frappaient de tous part. Je rencontrai un autre employé du bureau qui marchait elle aussi depuis des heures, elle se rendait à carrefour, tout comme moi. J’étais soulagée d’avoir quelqu’un à mes cotés pendant ce trajet vers l’incertain. Elle m’apprit des nouvelles terrifiantes sur les universités qui s’étaient effondrées avec des centaines d’étudiants, des buildings qui étaient simplement engloutis, les écoles qui n’avaient pu résister au séisme. Tant de morts, tant de victimes, ce fut si rapide, si soudain... A mesure que je marchais, j’avais l’impression de pénétrer en « Enfer » tellement la mort était présente tout autour de moi. Les trottoirs étaient baignés de sang, les rues étaient remplies de morts, de gens blessés qui appelaient à l’aide et d’autres qui chantaient et qui priaient selon leur croyance. C’était le chaos complet.
 
Il faisait noir, il faisait chaud et j’avais très mal au pied. Ca faisait déjà plus de 20 kilomètres que je venais de parcourir avec mes chaussures neuves qui me serraient. Je ne sentais plus, mes orteils, ma compagne, elle n’en pouvait plus mais je lui disais de se concentrer sur la route et de ne penser qu’à la route. Elle avait eu des nouvelles de sa famille entre temps. Pour moi c’était encore une grande interrogation : étaient-ils en vie, ont-ils pu sortir à temps, dois-je me faire à l’idée qu’ils sont morts ?
 
Aucune réponse. Mon téléphone sonna, je répondis, une bonne amie me dit qu’elle était près d’arrivé chez elle. Je lui demandai de voir si ma famille allait bien et je raccrochai. Sur le champ de mars, on avait l’impression que tout Port-au-Prince s’était réfugié pour prier et chanter. Le Palais National était réduit à néant comme un château de sable sur lequel un vent violent venait de s’abattre.
 
Les gens couraient dans tous les sens avec leurs blessés sur les brancards. Nous faisions attention pour ne pas trébucher sur les cadavres qui étaient bien plus nombreux que ceux qui étaient en vie. Le centre ville donnait une image encore plus infernale que ce que nous avions vu depuis ces quelques heures que nous étions sur la route.
 
Il n’y avait plus moyen de différencier les rues, tout était détruit. Seul notre sens de l’orientation nous aidait à nous frayer un chemin dans cette jungle humaine. Les quelques rares maisons qui tenaient encore debout n’en avaient pas pour longtemps, hélas. Malgré tout, certaines personnes restaient dans leur voiture à attendre que la circulation reprenne, pauvres fous. Ils ne comprenaient rien de ce qu’ils avaient sous les yeux.
 
J’étais fatiguée, j’étais à bout de souffle, mon cœur battait à tout rompre. Je voulais voir ma famille. Je voulais rentrer chez moi. Brusquement je sentis une violente douleur à mon épaule gauche. Merde… il ne manquait plus que ca ! Par mégarde quelqu’un faillit me renverser dans son élan. Je m’arrêtai un moment pour respirer. Ma compagne me tira de la où j’étais et je recommençai à marcher mais cette fois, la douleur l’emporta. Je m’avais plus du tout la même force, je me sentais vidée de mon énergie, complément vidée.
 
Mon amie m’appela à nouveau, elle me dit n’avoir pas pu arriver chez moi à cause de nouvelles secousses. Je la remerciai mais je ne croyais pas un mot de ce qu’elle me racontait. Je pensais plutôt qu’elle ne voulait pas m’annoncer de mauvaises nouvelles. Je croyais que le pire était arrivé. J’essayai de la rejoindre à nouveau, elle raccrocha à chaque fois. Là, je paniquai pour de bon. Pourtant je repris force. J’étais plus que tout décidée à braver la vérité. De toute façon, je n’avais pas le choix. Ma mère, mon grand frère et mon petit frère. Je revoyais chacun d’eux et devinait dans quelle partie de la maison chacun devait se trouver au moment du désastre.
 
J’étais seule à présent, mon collègue avait pris congé en cours de route. Plus que deux kilomètres maintenant. Tu y es presque, je me disais à moi-même. Plus je m’avançais de mon quartier, la foi me gagnait peu à peu. Je repris confiance et je remerciai Dieu d’épargner ma famille. A peine que je franchissais la courbe à l’entrée du quartier que je vis mon petit frère qui m’attendais. Je me sentis tout à coup soulagée à sa vue. Il m’enlaça et me salua. Pour la première fois je me rendais compte à quel point il m’avait manqué. Où sont les autres, lui demandai-je soudain. Ils vont bien. Il n’avait pas terminé sa phrase que mon grand-frère me prit dans ses bras. Mais je ne voyais toujours pas ma mère. Ma mère, où est ma mère ?
 
Elle était l’assise au bord de la route à m’attendre. En me voyant, elle leva les mains au ciel en remerciant Dieu. Je la pris dans mes bras et elle tomba sur le sol, avec moi. Nous étions vraiment soulagées de nous retrouver.
 
Comment as-tu fait pour rentrer ? Comment tu te sens ? Tu n’imagine pas l’enfer que nous venons de vivre à la maison ? Nous avons failli y passer tous. Dieu merci nous sommes là, tu es là … mais c’était que le commencement de l’horreur…
 
Cet après-midi était la plus longue que j’aie eu à vivre en rentrant du travail. C’était un jour comme les autres, seulement nul ne pouvait s’attendre à ce qui allait se passé. Nul ne pouvait se douter que ce 12 janvier 2010 allait être à tout jamais gravé dans nos mémoires. Pourtant aujourd’hui nous savons avec certitude que rien ne sera plus pareil !
 
Marie France Louis
Quelques jours après l’horreur…
 

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6 réactions à cet article    


  • jako jako 10 mars 2010 09:17

    Très émouvant


    • jako jako 10 mars 2010 09:22

      Petite question cependant qu’est « Le morne de canapé-vert » ?


    • Lhysee 10 mars 2010 22:14

      Le morne du Canapé-vert c’est le nom d’une zone située dans la commune de Canapé-vert.
       J’espère que ma réponse t’as aidé ? -)


    • Loan 10 mars 2010 09:32

      Marie France Louis, merci pour ce témoignage émouvant qui illustre si bien la catastrophe survenue à Haïti. Rien ne sera plus pareil. Mais rien ne peut entamer le courage et la dignité des Haïtiens. J’espère que l’aide internationale sera efficace.


      • Francis, agnotologue JL 10 mars 2010 11:10

        Excellent témoignage de cette catastrophe que nous ne devons pas oublier.

        Vous dites : « Les gens parlaient entre eux de la fin du monde. D’autres disaient que tout cela arrivait à cause de nos péchés. »

        Je crois que la reconstruction de Haïti passe aussi par la reconstruction des esprits : évidemment qu’il ne s’agit pas d’une question de péchés.


        • Le coyote Le coyote 14 mars 2010 22:32

          Témoignage poignant de cette catastrophe, malheureusement déjà oubliée pour beaucoup.
          Alors que le pays est désormais une cible désarmée face aux ouragans...

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Lhysee


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