14 Juillet tragique à Nice
Jeudi 14 juillet vers 22 h 45 un camion frigorifique de 18 tonnes loué et conduit par un Tunisien âgé de 31 ans force les barrières destinées à interdire la circulation sur la « Prom » et fauche près de deux cents personnes, la plupart venues en famille assister au feu d'artifice. L'individu aura le temps de parcourir sa course assassine sur deux kilomètres avant d'être abattu par les policiers. Le bilan à 14 heures faisait état de : 84 morts - 18 blessés en état d'urgence absolue et une cinquantaine de blessés légers. L'homme connu défavorablement des services de police pour des violences aurait été astreint au mois de mars à un contrôle judiciaire. Cet acte dément est-il celui d'un fondamentaliste, d'un malade mental, ou est-on en présence d'un assassinat par ressentiment ?

La criminologie dont on doit le terme au médecin anthropologue Français Topinard est une branche des sciences humaines qui est à ne pas confondre avec la criminalistique ou police scientifique. La criminologie tente de répondre à la question, pourquoi à un moment donné de sa vie, un individu commet-il un acte criminel ? Une personne ne commet pas un crime ou un délit parce qu’elle a des facteurs prédisposants. L'idée du criminel né a été abandonnée, il faut que l'individu se trouve dans une situation criminogène ou pré-criminelle. Cette situation dépend dans une large mesure des circonstances extérieures et intérieures de sa personnalité. Si l'on en croit de Greef : « nous sommes tous des délinquants virtuels, seul le passage à l’acte permet de différencier le délinquant du non délinquant. »
La situation pré-criminelle répond à un type de situation déterminée. On distingue trois éléments essentiels : l'événement qui a résulté du projet, sa préparation, et l'exécution du délit ou crime. Pour qu'un délit quelconque soit possible, il faut la réunion de trois points : les capacités à son exécution - les moyens matériels - et la volonté à le perpétrer. Si un seul de ces points est absent le délit a de fortes chances d'échouer. Les motivations de passage à l’acte découlent bien souvent de sentiments liés à : l’orgueil, l’oisiveté, l’envie, l’agressivité, le sexe, la luxure, la paresse, la colère, le sadisme. Selon le criminologue Wolfgang Saleski, il est impossible de quantifier les constantes psychologiques : l’égocentrisme (tendance à tout ramener à soi), la labilité (absence de solidité mentale, versatilité, actes irréfléchis), l'agressivité (réaction primaire et spontanée), l'indifférence affective (incapacité d’éprouver la moindre sympathie envers autrui), propres à caractériser la personnalité criminelle. Dès lors n’importe qui peut devenir un criminel, ce n’est qu’une question de caractère et de développement de l’individu.
Le criminologue distingue quatre types de situations.
- Une situation particulière : l'occasion de commettre le délit existe mais les circonstances vont influencer son mode d'exécution : maison inhabitée, personne faible, anonymat de la foule, lieu désert, alcool, drogue, excitation et sensation de puissance ou d'impunité, jeux et activité incertaine.
- Situation amorphe : l’individu va rechercher l’occasion de commettre son délit en employant une procédure définie.
- Situation instantanée : l’infraction est commise sans qu’il y ait eu préparation. Un élément extérieur peut servir de déclencheur : misère, infidélité, trahison, misère sexuelle, passion, arrestation à chaud, etc.
- Situation permanente : l’individu glisse progressivement vers l’accomplissement du délit en réfléchissant sur son exécution, voire l'après délit.
Le passage à l’acte peut également résulter de circonstances fortuites fournissant « l'occasion" du passage à l'acte criminel, la présence par exemple d’un couteau, la possession d’une arme, un endroit isolé, l’absence de témoins, l'attitude de la victime, etc., circonstances susceptibles de constituer des facteurs aggravants et des responsabilités pénales. D'autres facteurs peuvent intervenir : appartenance sociale, politique, religieuse, raciale, etc. Un événement relais, comme l’incitation d’un proche, de la victime ou d’un film qui plonge l’individu dans une situation assez proche de la sienne et à laquelle il s’identifie. Il est aussi à noter le délit ou crime par imitation qui peut apparaître plusieurs semaines après ! Le rôle de l'événement relais ou multiplicateur peut concourir au délit de différentes façons. Il peut : jouer un rôle décisif :exemple l'infidélité - jouer un rôle futile comme une addiction (alcoolisme, drogue, jeu, sexe) - ne jouer aucun rôle (délinquant professionnel).
Le passage à l’acte est l’aboutissement d’une démarche qui se développe dans le temps au travers de la survenance et le développement d’une dévalorisation de sa victime (pour commettre son crime, l’individu doit au préalable détruire tous les aspects qu’il pourrait trouver de sympathique chez sa victime, cas courant chez les terroristes), suivie de l'adhésion consciente et volontaire du criminel. Ce cheminement repose généralement sur quatre phases : celle de l’assentiment inefficace : le criminel accepte mentalement l’idée de la finalité désirée, mais ne s'y projette pas personnellement. La volition va passer par plusieurs étapes. Le sujet commence à se projeter dans l’approche criminelle et suppute ses chances de réussite. L’individu cherche à légitimer son acte. La phase de dénouement liée à la perpétration de son crime va entraîner chez lui une répercussion psychologique qu'il n’avait pas envisagée : soulagement, regrets, joie, tristesse, indifférence.
Le crime isolé reste l'œuvre d’une seule personne, comme le criminel est limité par ses ressources matérielles, intellectuelles et la volonté, son activité s'en trouve-elle aussi limitée. Le nombre de participants va modifier et influer sur l'exécution du délit ou du crime. L’audace et la maîtrise suscitent parfois l’admiration du grand public (le casse du siècle avec Spaggiari qui a emprunté lui et ses complices les égouts de Nice pour dévaliser une banque). Ce type de comportement repose sur l’unité d’un groupe qui possède sa morale, ses traditions, un esprit de corps, une hiérarchie qui va donner naissance à des délits (pègre). Le délit est donc recherché, et comme il y a plus d’idées dans plusieurs têtes qu’une seule, l’on peut se trouver devant un projet criminel très élaboré avec préparatifs très minutieux avec : reconnaissance des lieux, surveillance des occupations quotidiennes, emploi du temps, préparatifs, acquisition de matériel, etc. Ce genre d’association requièrt également l’existence de complices, coauteurs, receleur, instigateur, provocateur et débouche sur une criminalité plus rusée et plus dangereuse. Elle relève souvent de la compétence d'un office de la police judiciaire de la sous direction criminelle, comme par exemple la DNAT.
La criminologie se voudrait empreinte d'une rigueur scientifique, mais l’étude des causes criminelles reste une notion fragile car il y a différents facteurs qui s'interpénètrent les uns avec les autres et qui s’opposent à la découverte de la réalité apparente. Le passage à l'acte peut provenir d'une perception subjective, de mauvaises lectures ou mal assimilées, l’humeur du moment qui déforme la perception. La discipline peut cependant se révéler une aide capable d'apercevoir un risque particulier à travers la typologie criminelle : le crime occasionnel - d’honneur - la vengeance - l'homicide économique - le crime par ressentiment (ou crime cérébral) - l'homicide sexuel - homicide lié à la pègre (criminalité professionnelle) - le crime organisé - crime incompréhensible ou « gratuit » - crime politique - crime sociologique - crime pseudo justicier - prophylactique (l’auteur est conscient de l’illégalité du geste mais il est convaincu qu’il s’agit d’un moindre mal) - symbolique - excentrique (une personne qui commandite elle même son crime, à l’exemple de Periandre de Corinthe. Situation qui servit à faire un film avec JP Belmondo. Le désir de mourir peut être rattaché à un désir de suicide pour lequel le courage manque ou à l'euthanasie quand les moyens viennent à manquer) - revendicatif (l’auteur s’érige en défenseur d‘une cause dans laquelle il n’est pas obligatoirement impliqué) - auto punitif (acte dirigé contre soi même par l'intermédiaire de l'atteinte d'autrui) - fanatique (êtres psychologiquement fragiles ou malléables qui aspirent à un rôle de martyr persuadé que leur action va changer la face des choses. Avantages et non des moindres à manipuler et à utiliser ces individus, faire passer le geste pour celui d’un fou ce qui permet aux marionnettistes, véritables commanditaires, de rester dans l’ombre).
Pour le sociologue David Matza, l’action criminelle est le résultat d’un libre choix au terme d’un glissement plus ou moins long. Selon cet auteur, certaines idéologies iraient à fournir les arguments dont le délinquant a besoin pour commettre son délit. Cela ne signifie cependant pas qu’il commettra un délit, mais cela le rend possible. Pour ce chercheur, créer une sous culture avec son système radicalement séparé du système courant engendre inévitablement une conduite asociale. « Quand les hommes considèrent une situation comme réelle, elle est réelle dans ses conséquences ». C’est la signification que l'individu lui accorde qui va déclencher son passage à l'acte.
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