15 mai 2007, intronisation de Sarkozy, point d’orgue mal accordé
L’intronisation de Sarkozy ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. Les médias ont parlé d’émotion et de solennité. Il faut bien que les médias parlent. Sarkozy une larme à l’œil en mémoire de trente-cinq fusillés de la Résistance. C’est du cérémoniel, comme Mitterrand au Panthéon, une rose à la main. Tribut des hommes d’Etat à l’Histoire de France.
C’est bizarre cette impression de faux. En visionnant quelques images de la passation de pouvoir, j’ai cru assister à un téléfilm au gros budget dans lequel Sarkozy, acteur fétiche de la superproduction médiatique française, joue le rôle d’un président de la République nouvellement élu. Etrange spectacle. Je n’arrive pas à voir dans la personne de Sarkozy le président des Français. La raison reprend ses droits. Je me souviens parfaitement de la scène. Seul dans l’isoloir, une enveloppe et deux bulletins dont l’un fut inséré et l’autre négligemment laissé sur l’étagère. Dessus il y avait inscrit ce nom : Nicolas Sarkozy. C’était bien moi qui votais et c’est bien lui, dont le nom était inscrit sur le bulletin, qui fut élu le soir du 6 mai 2007. C’est lui notre président, conformément aux règles du scrutin et au texte de la Constitution de 1958. Et c’est ainsi que je le reconnais, légalement chef de l’Etat français. Je le respecte mais, malgré tout le respect que je lui dois, mon esprit ne le reconnaît pas car il ne correspond pas à l’idée que je me fais d’un président incarnant la synthèse des époques et l’avenir de notre nation. Quelle est la réalité la plus puissante, celle officielle filmée par les télés, ou bien la mienne, produite par un « esprit ascensionné », décalé, qui ne voit que comédie et spectacle et, donc, se donne le sentiment de voir un téléfilm avec un excellentissime acteur que même Christian Clavier n’aurait pu égaler ?
« Ascensionné » ? Oui, mon l’esprit l’est quelque peu, planant sur le réel, fuyant le bruit et l’agitation, délaissant même la musique rock au profit d’une série d’œuvre pour orgue. Reger, Hindemith, Vierne, Alain, Dupré, Widor, Franck... Pourquoi l’orgue ? Sans doute parce qu’il est l’instrument offrant le plus de timbres, parcourant l’échelle des vibrations du plus basique au plus céleste. Les grandes orgues comme on les appelle, instruments façonnés par des artisans au savoir immémorial, capable de projeter l’esprit dans des lieux intemporels. Ecouter une composition pour orgue permet de réaliser ce que fut le génie humain. En premier lieu, l’art du maître facteur qui conçoit et construit l’instrument, puis le génie du compositeur, évidemment, enfin, la virtuosité de l’interprète. Bref, le signe d’une grande époque culturelle pour la France, celle de la Troisième République. Les temps ont changé, avec les préoccupations, les hommes et les goûts. Se plonger dans les œuvres pour orgue n’ajoute que du décalage face à cette époque signée Sarkozy et sa clique de stars.
Au bout du compte, je ne me sens pas représenté par Sarkozy alors qu’il est le président élu. Dans un entretien récent accordé à Sud-Ouest, Paul Virilio explicite ce phénomène avec un argumentaire philosophique. Nous ne sommes plus dans une démocratie représentative mais monstrative. Le politiquement correct a fait place à l’optiquement correct. Le verbe politique, la parole a été remisée dans le passé et ce sont les agents d’influence qui ont pris le relais. Virilio voir un danger dans cette dérive iconique de la démocratie. En vérité, je n’aime pas le cinéma. Sarkozy me paraît un excellent acteur. La réalité est donc falsifiée au profit d’une propagande d’image qui fonctionne dans un système concurrentiel, avec la complaisance des spectateurs. Voilà l’impression que je retire. Certes, les autres présidents avaient aussi joué ce jeu mais en contrebalançant par un verbe affirmé. Sarkozy est un beau parleur mais il lui manque la profondeur du verbe et quand il s’en empare, le compte n’y est pas.
Je retourne à l’orgue. L’art sait nous guérir de la vérité mais aussi des faux-semblants de la société du spectacle. Et plus que jamais, il appartient au citoyen de prendre soin du passé et de la culture.
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