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Accueil du site > Tribune Libre > 1934 - 1940 - 1958 : trois avatars d’un même coup d’État

1934 - 1940 - 1958 : trois avatars d’un même coup d’État

Comme nous l’avons vu : dès 1934, le schéma de la Constitution de 1958 était au point, pour l’essentiel. Il restait à le mettre en œuvre. C’est-à-dire à bouleverser le système institutionnel en fonctionnement depuis 1875 : la Troisième République.

André Tardieu en était venu à la conclusion que ce basculement ne pourrait venir en aucun cas de l’intérieur même : il aurait fallu que le Parlement - Chambre des députés et Sénat - mette directement la main à son propre avilissement.

Jacques Bardoux - dont il faut redire qu’il était le grand-père du petit Valéry Giscard d’Estaing qui avait alors huit ans - partageait cet avis, tout en souhaitant voir André Tardieu se porter à la tête des partisans du coup de force. En vain, comme je l’ai déjà dit.

Lorsque surviennent les événements du 6 février 1934, qui menacent très directement la Chambre des députés, les personnages capables d’introduire l’alternative constitutionnelle sont donc absents.

Mais il vaut de signaler immédiatement la présence de quatre protagonistes principaux de l’Histoire de France des années suivantes. Du côté des émeutiers, nous découvrons un certain Pierre Bénouville ainsi que le colonel Georges Groussard. Dans les couloirs de la Chambre et dans la salle des séances, nous apercevons, tour à tour, Jean Moulin et le ministre de l’Air, Pierre Cot.

Il vaut aussi la peine de signaler que, dans ses années-là, au ministère de la Guerre, le colonel Groussard faisait face, par-delà un large bureau, au lieutenant-colonel de Gaulle, occupé, par ailleurs, à mettre au point l’ouvrage qu’il publierait en cette même année 1934 : Vers l’armée de métier.

Ces deux-là avaient déjà une réputation sulfureuse, ainsi que je l’ai montré dans Quand le capital se joue du travail - Chronique d’un désastre permanent (Éditions Paroles Vives, 2012), tellement sulfureuse que Léon Blum en évoquera le spectre le 15 mars 1935 à la Chambre des députés :
« Au moment où la France commence à se dégager du danger fasciste, on a voulu lui imposer la direction militariste. Car, c’est cela, très exactement, le militarisme. C’est sa définition même. Le militarisme est une action indépendante du commandement militaire agissant en tant que corps distinct, s’efforçant d’agir directement sur l’opinion, sur la presse, sur le Parlement et essayant d’imposer ses vues à la politique gouvernementale elle-même. »

Il précisait ensuite :
« Oui, sous l’influence de quelques esprits ingénieux, hardis, brillants, attirés par l’exemple de la Reichswehr allemande, on commence dans les cercles de la haute armée, dans les journaux publiquement inféodés à l’état-major, comme l’Écho de Paris, tout le monde le sait, et dans l’opinion elle-même, à lancer cette idée de l’armée de métier, pour la constitution de laquelle on réserve très probablement ces engagements et rengagements en faveur desquels on a montré jusqu’ici si peu de zèle, l’armée « de choc et de vitesse », comme dit, je crois, M. de Gaulle, toujours prête pour les expéditions offensives et pour les coups de main, l’armée motorisée et blindée qui, si nous l’adoptions, rouvrirait simplement entre le blindage et le canon d’infanterie un duel analogue à celui auquel nous avons assisté entre la cuirasse et le canon d’artillerie. »

Le coup d’État allait-il venir des ambitieux colonels ?

En tout cas, le 6 février, aucun chef n’était apparu. Ce fascisme-là n’avait pas encore trouvé son Mussolini, et pourtant la situation avait été très chaude…

Dans une lettre qu’il adresse dès le 12 févier 1934 à ses parents, Jean Moulin écrivait :
« Je suis resté 2 heures de 6 à 8 h, sur le pont de la Concorde et j’ai pu voir avec quelle sauvagerie les "Croix de Feu" et les Camelots du Roi chargeaient les gardiens de l’ordre désarmés. C’est par dizaines qu’on emportait les blessés dans les rangs des gardes mobiles et les gardiens de la paix. Les gardes républicains à cheval étaient désarçonnés par les émeutiers qui tranchaient les jarrets des chevaux avec des lames de rasoir. J’ai vu aussi que les premiers coups de feu sont partis des émeutiers. » (Cité dans Michel J. Cuny - Françoise Petitdemange, "Fallait-il laisser mourir Jean Moulin ?", pages 51-52)

Mais, en la circonstance, Jean Moulin n’était pas simplement un vague témoin. Il était le chef de cabinet du ministre de l’Air en exercice, son ami Pierre Cot, à qui l’acharnement qu’il mettrait à défendre la République ce jour-là et en d’autres circonstances vaudrait d’être bientôt qualifié de "galopin sanglant" par l’extrême droite. Pour sa part, Jean Moulin en dit ceci à ses parents :
« Chez lui, toutes les 10 minutes, on l’appelait au téléphone pour lui lancer des menaces de mort. » (page 52)

Laissons maintenant la parole au camp d’en face, et plus particulièrement à ce Pierre Bénouville devenu plus tard - et dans le cadre de ce qui pourrait n’être qu’une opérette - le général Pierre Guillain de Bénouville, membre éminent des Compagnons de la Libération d’un De Gaulle. Il s’exprime ainsi :
« Moi, j'étais pour que ce coup d'Etat réussisse, je n'étais pas le seul, mais de cet échec dans l'Action Française est venue une autre révolte, plus profonde, et qui a été la Cagoule ! »

Or, c’est bien la Cagoule qui, à travers Pierre Bénouville et le colonel Groussard, a eu la vie de Jean Moulin en 1943, et sous l’autorité de qui ?... C’est une autre histoire (je ne puis que recommander la lecture du livre Fallait-il laisser mourir Jean Moulin ?), et c’est pourtant exactement la même.

En tout cas, au lendemain du 6 février 1934, voilà qu’arrivait le gouvernement de Gaston Doumergue, avec, parmi les ministres… Pétain et Laval. C’est-à-dire une préfiguration évidente de 1940 !... Et pourquoi pas, de 1958 ?...


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13 réactions à cet article    


  • JC_Lavau JC_Lavau 26 mai 2015 12:53

    Bien que je vote régulièrement pour faire passer vos articles, mes désaccords avec vous sont nombreux.

    Factuellement, je rappelle que Blum et de Gaulle se rencontrèrent et discutèrent en 1936.

    Ensuite, ayant personnellement vécu toute la 4e république, et sa valse des gouvernements impuissants, je ne suis pas prêt à dénigrer l’exécutif fort, au profit du régime d’assemblée irresponsable.

    Quant à la métaphore du début du 20e siècle en guise de ce début de 21e siècle, je la tiens pour sociologiquement inepte : trop de choses ont changé dans la société française. En ce temps là, la presse était tenue par la bourgeoisie française. A présent elle est détenue par l’oligarchie étrangère. La classe ouvrière de 1936 est pulvérisée. Etc.


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 26 mai 2015 13:05

      @JC_Lavau
      Merci de m’aider à faire entendre ma voix.
      De fait, je ne sais pas en quoi il pourrait y avoir des désaccords entre vous et moi.
      Mais je veux bien en discuter, si de votre côté cela vous saute aux yeux.
      Bien à vous.


    • Allexandre 26 mai 2015 15:59

      @JC_Lavau
      Totalement d’accord avec vous. L’article est très faible du côté analytique. L’auteur y fait des amalgames et ne se replace pas dans le contexte de l’époque. Même si la Constitution de 1958 est loin d’être parfaite, elle répondait à une volonté, celle de de Gaulle, et à celle d’une partie de la France, livrée au verrouillage politique.De Gaulle n’a jamais été un dictateur, mais un nationaliste dans le bon sens du terme. Contrairement aux derniers présidents, il ne se laissait pas dicter sa politique par les puissances étrangères. Regardez qui dirige la France aujourd’hui : la Commission de Bruxelles, la Maison Blanche et Wall Street, le FMI et, bien sûr, Israël. Où est la démocratie ? loin, très loin derrière nous !!!!


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 26 mai 2015 16:09

      @Allexandre
      « L’article est très faible du côté analytique. »

      Vous l’avez lu ?


    • Allexandre 26 mai 2015 17:43

      @Michel J. Cuny
      Oui avant même qu’il ne soit publié. Mais je dois dire que d’habitude j’apprécie vos interventions. Celle ci m’a beaucoup déçu.


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 26 mai 2015 18:07

      @Allexandre

      Groussard ? Bénouville ?... Les connaissez-vous un peu ?


    • Aristide Aristide 26 mai 2015 18:29

      @Allexandre


      Si je suis assez d’accord avec vous sur cette vision gaulliste de la constitution autour d’un exécutif fort dominant une représentation nationale directe ou indirecte limitée dans ses pouvoirs. Il est d’ailleurs parti suite au désaveu sur son projet qui « amendait » le Sénat en supprimant nombre de ses pouvoirs et le transformant en super Conseil Economique et Social.

      Je crois que le Gaullisme ne peut se limiter à cette vision simple du nationaliste fut-il dans le bon sens du terme. De Gaulle est avant tout un pragmatique, une homme qui pense que la politique ne peut se faire que sur des réalités. Sans faire preuve d’anachronisme, il est assez difficile de sur interpréter ce « nationalisme » et cette « indépendance » pour dénoncer la prétendue couardise de nos dirigeants actuels.

      La sortie du commandement intégré de l’OTAN est vu comme le signe de son « nationalisme », hors il est intervenu en 1967 soit presque 10 ans après son accession au pouvoir en 1958, les USA dans l’OTAN représentait un contrepoids indispensable dont il s’est servi dans ses relations avec l’URSS, la Chine, les non alignés ... Les réalités d’u monde de la guerre froide, coupé en deux.

      En opposition à De Gaulle, la description de nos présidents en valet du capital est assez simpliste de mon simple avis, Pompidou représentait l’oligarchie financière et De Gaulle en avait fait son successeur. Sa vision sociale hors du capitalisme est très datée et assez difficilement interprétable comme une démonstration de son indépendance de la finance. Même si comme notre Président adversaire de la finance, il ne manquait pas de poser le discours sur la politique qui ne se fait pas à la corbeille ...

      Sur l’Europe, ses projets étaient proches d’une unité confédérale qui ferait peur au plus européen de nos politiciens actuels. On lui a attribué à tort la paternité de l’Europe des Nations ou des Patries« . Malgré son opposition à la CED, il avait même formulé l’ambition à mettre en oeuvre une »Défense européenne« indépendante de l’OTAN.

      La vision d’un De Gaulle nationaliste, chrétien obsédé par l’indépendance de la France est assez réductrice, même si elle n’est évidement pas fausse. Il était aussi surement un vrai politique au bon sens du terme, conscients des réalités, apte au compromis quand il est indispensable. L’affaire algérienne et ce fameux »je vous ai compris" est une démonstration de sa capacité à se sortir de l’inextricable, de sa vision assez évidente des réalités de son époque,

    • Allexandre 26 mai 2015 22:50

      @Aristide
      Mais je partage tout à fait votre point de vue. Je n’ai jamais dit que de Gaulle était un nationaliste chrétien obsédé. Vous avez la fâcheuse habitude de prendre les autres pour des gens simplistes qui ne savent pas réfléchir. Je crois, en toute humilité, connaître assez bien le général de Gaulle. Et je crois avoir aussi une réflexion assez poussée sur l’être humain et ses paradoxes. Ce que de Gaulle ne voulait pas, c’était d’une Europe dans laquelle les Etats perdraient leur souveraineté et surtout dans laquelle les Etats-Unis tireraient les ficelles. Ce n’est pas par hasard si le général n’a pas du tout accroché avec Monnet, dont on sait aujourd’hui qu’il fut un agent de la CIA. Qu’il ait fait de Pompidou son successeur, c’est probable, du moins est-ce une thèse crédible. Mais je parlais uniquement des deux derniers pingouins de l’Elysée. De Gaulle n’aurait jamais accepté la loi du 3 janvier 1973, dite loi Pompidou-Rothschild. Enfin qu’il ait eu une intelligence pragmatique ne fait aucun doute. Et pas seulement pour l’Algérie. Il fut aussi un grand visionnaire dans le domaine international. Son discours du 22 novembre 1967 sur Israël est d’une lucidité remarquable. Qui oserait dire cela aujourd’hui ?


    • Allexandre 26 mai 2015 22:55

      @Michel J. Cuny
      Oui bien sûr. Ce qui me gêne, c’est votre amalgame avec 1958. De Gaulle n’avait pas d’autres solutions que celle qu’il a prise. Dois-je vous rappeler qu’en 1946, la ratification du projet de la IVème s’est fait du bout des lèvres, et que ce projet allait à l’encontre des résultats du référendum du 21 octobre 1945, qui à 96% ne voulait pas d’un retour à un régime parlementaire. Déjà on ne respectait pas le vote des Français. 60 ans plus tard c’est la même chose.


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 26 mai 2015 23:26

      @Allexandre

      Je ne pense pas en être arrivé à faire l’amalgame de ceci ou de cela avec 1958..
      J’ai pris la précaution de montrer, de façon très détaillée et sur une vingtaine d’articles, comment une doctrine constitutionnelle s’était déployée à travers différents personnages depuis le tout début du XXème siècle : Charles Benoist, Alexandre Millerand, André Tardieu, Jacques Bardoux, parmi d’autres.
      Ce que j’ai jalonné de citations précises et référencées, ainsi que je le fais toujours dans mes livres.
      J’attends qu’on m’oppose d’autres textes...
      De même pour ce qui va suivre à propos de Jean Moulin.


    • Abou Antoun Abou Antoun 26 mai 2015 23:44

      @Allexandre
      De Gaulle n’a jamais été un dictateur, mais un nationaliste dans le bon sens du terme. Contrairement aux derniers présidents, il ne se laissait pas dicter sa politique par les puissances étrangères.
      C’est certain ! Mais si tout le monde est peu ou prou gaulliste aujourd’hui, faisait pas bon en pincer pour le Général du temps de ses mandats. Les morts sont tous de braves types !


    • Aristide Aristide 27 mai 2015 20:57

      @Allexandre

      Vous vous méprenez si vous pensez que « Vous avez la fâcheuse habitude de prendre les autres pour des gens simplistes qui ne savent pas réfléchir. ».J’ai essayé d’argumenter, relisez je ne vous ai pas attribué la vision d’un chretien obsédé par l’indépendance. C’était un jugement général sur ce qualificatif rabâché comme une évidence.


      Sur le discours qui a suivi la guerre des Six Jours(1), ses conséquences et sa vision de l’avenir. Je l’ai réécouté avec délice, on ne peut que rester abasourdi par la forme du discours, sa clarté, sa simplicité dissimulée derrière une construction éblouissante, son efficacité, son style, ... enfin un véritable génie de la langue française, sur le fond la même lucidité, vision et clairvoyance. Je vous accorde que ses successeurs ne jouent pas dans la même cour, sauf Mitterrand qui sans rivaliser parait moins ridicule que ses confrères.

      Cela dit, si le génie est exceptionnel, il a aussi ses inconvénients, De Gaulle était friand de petites provocations bien placées qui touchaient toujours leur but. Je ne sais si ces écarts voulus ou non n’étaient pas contre productif. La critique du peuple juif sur de lui et dominateur a largement masqué son intransigeante position pour la reconnaissance d’Israël par ses voisins arabes comme il disait.

      Je crois que nous ne manquerons pas de croiser et nous étriller sur d’autres sujets, nul besoin de se chercher querelle sur celui-çi où il me semble que nous partageons une vision assez ... proche.

      (1) c’est un discours du 27 Novembre 1967, un détail. 

    • Aristoto Aristoto 26 mai 2015 22:52

      Moi j’ai pas été à l’école de Najat. quelqu’un, une p’tite amie charitable peut elle me résumer cette Histoire de France !!!! Y avait un coup d’état de préparé par l’état major française en 34 ??!

      ... !!!

      Quoi wikipedia !!!???

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