1979-2009, la colère n’arrêtera pas le développement du capitalisme
En ce moment, en tête d’affiche dans les médias, les annonces à répétition de licenciements massifs, chiffrés en centaines, accompagnés d’événements collatéraux. Des patrons, des cadres sont séquestrés, des usines sont bloquées, des travailleurs se bagarrent avec les forces de l’ordre et tout récemment, sous les yeux médusés de la caméra, quelques salariés de Continental ont saccagé une sous-préfecture. Nul besoin d’être sociologue ou prophète pour constater que la colère monte et pas seulement dans les entreprises privées qui licencient, parfois en prenant prétexte de la crise. Néanmoins, on aurait tendance à dire, rien de neuf sous le soleil puisque cette colère, elle est vieille comme l’humanité et si l’on scrute l’histoire toute récente, on aura le souvenir des années Thatcher et notamment de ce bras de fer entre les mineurs et un pouvoir déterminé à transformer l’économie du pays pour enrayer le déclin.
Acte I. La transformation des sociétés industrielles est longue mais soutenue, entrecoupée de secousses. Le système révèle ses instabilités. Chocs pétroliers de 1974 et 1979 dit l’historien pour expliquer la crise économique signant la fin des Trente Glorieuses et de la parenthèse enchantée. Années passions, rêves de monde nouveau, puis le cours assuré du monde industriel a repris ses marques et les colères se sont amplifiées et succédées, étudiants, enseignants, agriculteurs, travailleurs, viticulteurs, pêcheurs. Malgré ces mécontentements, le capitalisme a accentué son développement, surtout après le délitement de l’Union soviétique. Colère et temps, tel est le titre d’un livre de Peter Sloterdijk qui fit le point sur cette question d’actualité. La banque de la colère renvoie un écho aux banques d’affaires. La conscience malheureuse décrit un antagonisme entre les pôles subjectifs de l’esprit et si chez Hegel, l’homme est malheureux parce qu’il a conscience que le monde est faux, à notre époque d’accomplissement du freudo-capitalisme, l’homme est coléreux parce que le monde réel interfère avec son principe de désir. C’est sans doute universel, même si ce phénomène humain semble plus répandu en Occident. Aux Etats-Unis, pays moins épris de conscience sociale, l’individu se met en colère et détruit à coups de masse la maison saisie par son créancier. La colère prend des formes culturelles selon les pays où elle s’exprime.
La conscience malheureuse n’a pas empêché l’Histoire de s’accomplir avec ses tragédies. La colère n’empêchera pas le capitalisme de poursuivre sa course. Le capitalisme est basé sur le profit. Pas seulement économique. Le principe de profiter guide nos sociétés. Quand les beaux jours arrivent, le journaliste de terroir produit ses reportages sur une plage improbable de Cannes, Marseille, Cassis ou la Grande Motte. Et le monsieur ou la dame prononce dans le micro la phrase universelle de la société freudo-capitaliste, on profite du soleil, de la mer, du beau temps, on profile allongé sur une serviette de bain, en faisant la planche quand l’eau de mer atteint la bonne température, sinon à la terrasse d’un café si l’air est de bonne température. Le Français moyen n’a pas besoin de prompteur, pour déclamer son petit speech devant la caméra et confier qu’il profite, comme pour signaler à la cantonade qu’il a mangé un morceau de plaisir dans l’existence, qu’il n’est pas dans la catégorie des loosers. Bien évidemment, on ne sera pas dupe de ce numéro médiatique où le Français moyen est pris comme instrument pour illustrer la vision que les élites rédactionnelles veulent diffuser sur les ondes, prenant les spectateurs pour les ânes, et si l’on passait du coq à l’âne ?
Voici ce que M. Thatcher déclara dans ses mémoires : « je n’ai jamais oublié que l’objectif inavoué du socialisme - municipal ou national - était d’accroître la dépendance. La pauvreté n’était pas seulement le sol nourricier du socialisme : elle en était l’effet délibérément recherché » ; et lors d’un discours prononcé devant son parti en 1990 : « Le socialisme a l’État pour credo. Il considère les êtres humains ordinaires comme le matériau brut de ses projets de changements sociaux. »
Ce qui est étonnant mais nullement inattendu, c’est que le système doctrinal vanté par M. Thatcher et censé être opposé au socialisme a fini par prendre les mêmes ressorts que ce socialisme auquel il s’oppose. Le principe de la dépendance est le même. Mais les moyens pour que l’individu acquière l’indépendance sont différents. Moins d’aides publiques et plus de travail, surtout à bas salaire. Quant à la seconde formule, nous pourrions la détourner. Le national-capitalisme a la FED pour credo. Il considère les êtres humains ordinaires comme le matériau brut de ses projets de profits financiers.
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Acte II. Salons Mollat. 23 avril 2009. Rencontre avec Philippe Dessertine, économiste bien inséré dans le réseau, brillant et honnête conférencier, évoquant les racines de la crise qui s’abat sur le monde en 2009. La dette, l’endettement, les mécanismes fondamentaux de l’économie. La Chine qui fabrique les produits que les Américains et les Européens achètent dans un contexte où la consommation se veut le moteur de la croissance mais aussi un moteur à explosion car quand les consommateurs ne sont plus solvables, les usines ferment et les maisons sont saisies par les banquiers.
Les gens venus écouter Dessertine semblaient pour la plupart des individus aisés ou du moins sans le besoin. Les gens qui ont un peu de patrimoine et de revenu ont peur de cette crise, peur pour leur niveau de vie. Les gens qui n’ont rien n’ont pas peur, ils se sont habitués à la pauvreté. C’est peut-être le point de raccordement entre la colère des salariés licenciés, qui ont beaucoup perdu et l’inquiétude des gens de bonne classe, qui sont sauvés de la crise mais s’inquiètent pour leur petits sous. Rien de nouveau, il y avait les même au 19ème siècle. Lors de cette réunion, il y eut dans l’assemblée quelques notes dissonantes, notamment une prise de bec entre un vieux de la vieille dont on devinait la connivence avec la morale pétainiste du travail et une jeune révoltée, tançant ce vieux con en criant le désespoir d’une jeunesse et répliquant en évoquant le papy boom et la situation confortable de ces seniors propriétaires de résidences principale et secondaire et plus, tandis que les générations nouvelles claquent le peu d’argent dont elles disposent dans le loyer alors qu’elles financent la retraite des anciens et un quinqua de s’écrier ; vous aurez l’héritage ! Bref, rien que nous n’ignorions. Du haut niveau comme on dit.
Dessertine est un analyste honnête, crédible et pragmatique. Il suggère que la crise amènera un monde nouveau, avec une consommation adaptée aux moyens de solvabilités. Critiquant la frénésie des individus pour avoir un écran plat en payant quatre fois sans intérêt ou pour craquer son forfait de SMS et se retrouver avec des factures téléphoniques exorbitantes. Certes, il a raison, même s’il représente l’hôpital se foutant de la charité, n’hésitant pas à évoquer quelques anecdotes jouées quelque part au Cap Ferret, la presqu’île des millionnaires. On lui fera crédit d’avoir suggérer d’augmenter la fiscalité des hauts revenus pour financer la transition. De belles paroles, qui seront sans doute suivies d’effet au fur et à mesure que la colère montera. Mais de remise en cause du système, on ne voit rien venir. Ce qui se comprend. Il est juste question, si l’on en croit Dessertine, le plus audacieux des analystes du système, de revoir le rapport entre la consommation et le crédit, le tout dans un contexte géopolitique où l’Occident doit réajuster ses prétentions. On peut simplement craindre que la plus grosse révolte, voire pression, émane de ceux qui ont et veulent préserver leurs avantages acquis. Tous les moyens sont possibles, pressions politiques, chantages, grèves, colère…
Les jeunes sont pour l’instant les perdants de l’histoire, avec les plus de cinquante balayés par le système. Le système va poursuivre sa course car la récession n’est pas assez violente pour remettre à plat tout l’ensemble et susciter une réflexion de fond. Il y a la colère mais aussi la résilience, la servitude volontaire. Une société dispose d’une capacité à accepter les pertes humaines. Un million de chômeurs supplémentaires, ce n’est quand même pas un million tombé au champ d’honneur comme en 14. The show must go on ! C’est une illusion que de croire qu’un monde nouveau va émerger avec cette crise. La plupart veulent protéger leur situation. Les consciences ne sont pas prêtes pour la prochaine étape. Il y aura des crises plus violentes dans l’avenir.
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