20 ans que la politique merdouille, 20 ans de suicide social !

Voilà 20 ans que le politique se délite lentement, se meurt malgré la succession des gouvernants, voilà 20 ans qu’une mélancolie a gagné la société, que plus rien de vraiment excitant n’est proposé dans l’univers de la culture, que les profits s’accroissent et que l’ascenseur social monte mais aussi et c’est nouveau, descend. 20 ans que ça merdouille, que ça rame, que ça le fait plus, que la civilisation est malade. Pourquoi au fait 20 ans, et pas 30 ou 15 ?
L’allégorie de la course à la croissance
Pour les historiens, la chute du mur fut un événement majeur. En fait, on peut retenir 1990 comme un moment spécial de l’Histoire que l’on ne peut réduire à l’effondrement du bloc de l’Est. D’autres signes forts méritent d’être signalés, des signes marquant en fait la période précédente et celle qui suit. Ce qui s’est passé, c’est une surchauffe de l’économie déjà présente dans les années 1980. Le Japon a trop produit et s’est retrouvé avec une bulle. Les Etats-Unis prennent le relais. En vérité, le cours de l’économie ressemble à une course de voiture. C’est une course à la croissance et à la modernisation technologique. A ce jeu là, les pays de l’OCDE, Japon et Etats-Unis en tête, ont poussé sur le champignon comme jamais auparavant. Du coup, l’URSS a décroché, pris du retard, et s’est même retrouvé dans un fossé. Malgré cela, la technique étant ce qu’elle est, une puissance inertielle fantastique, qui suit sa propre fin, la course à la croissance a continué et s’est même intensifié, avec la financiarisation et les nouvelles technologies. Les nations n’ont pas pu calmer le jeu et ralentir cette folle course à la technologie et aux profits. Une telle attitude aurait pourtant signé une marque de sagesse, car l’ennemi de l’Est était pratiquement hors circuit. Mais les mauvais plis pris en 1990 se sont accentués et les crises se sont succédées avec cette fois un autre géant arrivé dans la course, la Chine. Dont le destin pourrait être celui du Japon.
A propos d’un petit livre édifiant
En 1993, Peter Sloterdijk publiait en Allemagne un court ouvrage intitulé Dans le même bateau. Avec un constat sur l’incapacité du politique à prendre en main les problèmes sociaux (traduit chez Payot en 1997 puis en poche en 2002) et surtout, l’avènement d’un sentiment de dégoût émanant des populations envers ceux qui les dirigent. Lorsqu’on lit ce livre, on n’est guère surpris. Sauf par la date de sa parution, 1993. On dirait que rien n’a changé depuis et c’est cela qui devrait nous inquiéter. Quoique, en y réfléchissant, c’est plutôt un signe rassurant. Le constat de Sloterdijk est avéré. D’ailleurs, en 1993, la France était en plein marasme, avec une stagnation économique et une ambiance morose de fin de règne mitterrandien alors que Balladur gérait tant bien que mal le dur virage de la pression financière et de la globalisation. La mélancolie avait gagné notre pays. Juppé, en hussard précoce du réformisme accéléré, se prit dans la gueule le mouvement de décembre 1995. Une comédie en vérité. La société civile en mouvement. Pour pas grand-chose, à part reculer quelques réformes et donner aux jeunes de cette époque l’illusion vite envolée d’une aurore. C’était un crépuscule. Pour bénéficier d’une vue appréciable de la lumière vacillante, les gens se réunissaient dans les cafés philosophiques et politiques. Mais rien n’arrête le crépuscule.
Au bout du compte, ce qui rassure, c’est que la société est encore dans son crépuscule et qu’elle tient le choc. On aurait pu croire l’inverse, en prenant au sérieux les propos de Sloterdijk publiés en 1993. L’Europe vit dans un crépuscule, les Etats-Unis croient qu’ils peuvent repousser le crépuscule et déploient des efforts considérables depuis 20 ans. La Chine avance dans le crépuscule mais elle feint de le savoir. En 1993, Sloterdijk soulignait dans un coin de son livre le développement durable comme idée naissante mais incompatible avec le mode de vie occidental. Rien n’a changé, en 2010, on cause durable mais on achète des berlines puissantes et des 4*4 imposants. Rien n’arrête la course au factice et au tape-à-l’œil. Rien ne remet l’entendement dans la juste mesure d’un monde paisible et harmonique. La décadence et la dépravation accompagnent les profits et se confirme une tendance décelée dès les années 1980 par Lasch. Les élites n’ont plus cette capacité, qu’eurent certains, à fournir des modèles de vertu, d’art de vivre, de culture classique mais transmissible aux générations. Le livre intitulé La révolte des élites mérite d’être notre second fil conducteur pour ce diagnostic des pathologies contemporaines. Lasch avait pointé (chap. 4) la perte de contact des idéologies politiques avec les préoccupations basiques des gens ; ainsi que la confiscation des débats de société et politiques par des classes élitaires de plus en plus coupées des citoyens ordinaires. Les élites détenant le pouvoir vivent dans un univers artificiel, séparé partiellement de la société. On ne saurait que conseiller la lecture de ce maître livre paru en 1995, en pleine ascension des pathologies qu’on connaît, un livre snobé par la gauche sous prétexte de délit de réaction. Ce qui montre que cette pauvre gauche représente l’idiotie utile du système capitaliste et que la stérilité de ses analyses ne peut qu’assurer le triomphe de la cupidité et de la finance.
De l’athlétisme en politique
Dans son livre, Sloterdijk évoque la nécessité d’une classe d’athlètes politiques capable de gérer les sociétés et de donner des horizons autant que des directions et des directives pouvant aller dans le sens d’une consolidation de la civilisation. Hélas, ce n’est pas le pli pris par un système dont l’Etat se noie progressivement sous une bureaucratie envahissante. Les politiques finissent par ne plus voir les citoyens, préférant naviguer dans les sphères supérieures où se côtoient la crème des élites financières, vieilles familles industrielles, nouveaux riches, stars consacrées par les médias, agents économiques de haut rang. L’art politique des grands serviteur de l’Etat s’est perdu, dissous dans la bureaucratie d’un côté et du pouvoir corrompu par la cupidité et la vénalité de l’autre. Les gouvernants ne savent plus quoi proposer. Ils ont un agenda serré et regardent leur Rolex pour ne pas rater les rendez-vous, souvent inutiles pour ce qui est de l’intérêt public. Et quand bien il s’en trouverait d’honnêtes, ils ne pourraient appliquer leurs propositions car le mur bureaucratique aurait tôt fait de tout décomposer dans un dédale de réglementations et autres sophistique de l’administration.
Un autre délitement se dessine selon Sloterdijk, celui de la jeunesse en délicatesse avec la démocratie et qui peu à peu, se dispense des préoccupations politiques, du souci de l’Etat qu’il faut surveiller mais dont il faut aussi prendre soin. Les jeunes finissent par ne plus sentir la nécessité de la société, du moment qu’ils ont le nécessaire pour mener leurs vies dans la tribu qu’ils se choisissent. C’est sans doute le sort des sociétés hyper industrialisées et devenus hypertrophiques dans leur organisation si bien qu’on ne peut plus les diriger.
Et ces athlètes, eh bien Platon ironiserait en rappelant la distinction entre formes profondes et superficielles de la praxis humaine. D’un côté les juristes, de l’autre les sophistes. D’un côté la gymnastique qui travaille en profondeur la plasticité du corps et de l’autre la toilette qui joue sur les apparences. Est-ce un signe du règne de la cosmétique que ce candidat qui se voyait président dans une glace le matin en se rasant ? Une image. Du cosmétique. L’image, c’est ce qu’il faut soigner. Tous les ministres doivent être rasés de près et doués d’une langue très policée. Napoléon sur le pont d’Arcole en esprit du monde chevauchant l’Histoire sous le regard médusé de Hegel, ça avait plus de gueule qu’un narcisse devant son miroir !
20 ans que ça dure
Et voilà, c’est étrange, mais ce schéma dure depuis 20 ans, voire plus. Et il risque bien de perdurer encore un bon moment. Notre bon vieux Général pensait qu’avec 500 milles chômeurs, la France serait au bord de l’insurrection. Pourtant, cela fait 20 ans que le chômage, additionné au sous emploi, représente entre 15 et 20 points selon les estimations, soit dix fois plus que le seuil fixé par le Général ! Quelle explication ? Résignation ou résilience ? L’homme s’adapte. C’est incroyable. Il s’adapte aux diktats de la pub, va voir les films qu’on lui vante, digère une sous culture produite par des financiers et interprétée par des chansonniers placés en tête de gondole médiatique par la VRP de la daube qui vient de recevoir la légion d’honneur. Ou va-t-on ? Y a-t-il encore une philosophie à venir ? Oui, je le pense, je m’en charge !
18 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON