2011, une année aberrante de plus

Aberration, aberrant, voilà un mot qui caractérise parfaitement l’état de notre monde et notamment ce qui s’y passe actuellement. Dans le dictionnaire, aberration signifie erreur de jugement, alors que l’adjectif aberrant renvoie à une action qui s’écarte du bon sens, de la règle, de la norme et pourrions-nous ajouter, de l’intelligence guidant la volonté. Cette notion s’applique également dans le champ de la perception où elle caractérise une distorsion produite par un dispositif optique. Par exemple, une lunette de vue ou un télescope. En ce cas, il s’agit d’un défaut inhérent au dispositif. En astronomie, une aberration désigne un écart entre le mouvement réel d’un astre et le mouvement perçu. La cause étant liée au mouvement de la terre. Là, il s’agit d’un point de vue qu’un raisonnement scientifique peut aisément corriger. Mais dans le champ social, les aberrations sont légions mais souvent masquées et difficiles à corriger. Nous sommes tellement habitués aux aberrations que nous n’y faisons plus attention. C’est sans doute le propre du système industriel et médiatique que de produire des aberrations qu’on pourra interpréter comme des accidents du système productif car un monde parfait n’existe pas. Et d’ailleurs, tout dispositif secrète des effets non souhaités, comme par exemple les accidents de la route. En matière de politique et de développement technologique, les aberrations sont nombreuses, résultant d’un manque de discernement des dirigeants.
Il est nécessaire d’ouvrir une réflexion sur ces aberrations qui pour certaines sont liées à un manque de perception des réalités, à des actions mal calculées mais le plus souvent, se manifestent comme la conséquence de pratiques intéressées. J’en donne un exemple simple. Vendre un réfrigérateur à un esquimau ou un radiateur à un gabonais, rien de plus aberrant mais pas pour tout le monde puisque les industriels font quelques profits. Dieu merci, le monde n’est pas aussi fou et les aberrations sont plus délicates. Par exemple, quand un individu s’assure et s’aperçoit qu’il paye deux contrats pour se prémunir contre un même risque. Aberrant aussi l’acquisition de biens dont on ne se sert pas. La tâche du représentant de commerce est de vous faire acheter un bien dont vous n’avez pas besoin et qui se vous servira à rien, ou bien rendra les mêmes services qu’un bien équivalent dont le coût est divisé par deux. Les vendeurs à domicile ont disparu mais il ont été supplantés par la pub qui elle, n’a pas besoin de sonner chez vous et de mettre un pied dans la porte pour pénétrer dans votre domicile. C’est même l’inverse, vous accueillez la pub avec bienveillance, en offrant votre temps servile de cerveau aux médias. Le mécanisme de la pub comme de la propagande, fait souvent appel à une production d’aberrations. La lunette perceptive du monde est altérée par les émotions, les affects, les impulsions désirantes, les illusions phantasmatiques que de savants docteurs en perception cognitive concoctent dans les laboratoires publicitaires. La politique en use aussi. D’ailleurs, l’action publique est aussi très prolixe dans la production d’aberrations, dénoncées le plus souvent par la Cour des comptes, ou alors dans l’émission Combien ça coûte de Jean-Pierre Pernaud, docteur es-aberration préposé au JT de 13 heures. Une commune de 1500 habitants construit par exemple une salle de spectacle qui restera vide 350 jours dans l’année. Ou alors une cohorte d’élus régionaux en voyage d’étude en Irlande pour étudier comment ce pays utilise les nouvelles technologies. Un déplacement assez inutile mais pas forcément désagréable pour les chargées d’étude et plutôt coûteux pour les contribuables.
L’une des plus grandes aberrations de l’année précédente fut l’octroi de l’organisation du Mondial au Qatar. Ce pays va devoir construire des stades réfrigérés en plein désert. Après, on emmerde les gens avec les normes HQE, la taxe carbone, les indices de qualité énergétique… Mais pas plus loin que votre résidence, vous verrez des systèmes de chauffage aux terrasses des cafés pour permettre à quelques bobos de passage de siroter une bière en plein air en hiver. Et si affinité avec la nicotine, fumer une clope. Un survol des dépêches d’actu confirmera le constat d’une société aberrante qui s’est dessinée depuis bien longtemps et s’affirme en ce début d’année 2011.
La société Eurocopter a demandé 400 millions d’aides à l’Etat pour développer un programme d’hélicoptères civils alors qu’elle bénéficie déjà des dispositions issues du grand emprunt. Nul ne conteste l’utilité de ce type de véhicule aérien lorsqu’il faut acheminer des blessés ou secourir des sinistrés mais l’on sait bien que la plupart de ces hélicoptères servent aux déplacements de gens aisés et pressés. Voilà donc à quoi servent les aides de l’Etat alors que des tas de services publics souffrent d’un manque de moyens. Du haut de leurs déplacements héliportés, en hélico ou air sarko, les édiles qui nous gouvernent ne voient pas la société qui vit, qui bouge, qui souffre mais sont très au fait des désirs naissant lorsqu’on occupe de hautes fonctions bien rémunérées. Après on s’étonne que les membres du gouvernement, et même quelques notables socialistes, n’aient pas pris la juste mesure de l’exaspération du peuple tunisien (et des Français et souffrance). Une société aberrante est toujours le fait d’une distorsion dans la perception sélective et l’appréciation (champ moral) qu’on y porte. Ce sont là les deux catégories menant aux aberrations. D’un côté ne pas voir, se cacher, voir ce qui arrange, de l’autre porter un jugement éthique ou moral erroné. L’affaire du Médiatior en est un exemple parmi tant d’autres.
En matière d’optique, les aberrations peuvent être corrigées. En politique aussi. Après avoir été aveugle sur le Médiator, le ministre Bertrand est devenu plus sévère et cette fois, s’applique avec détermination dans la mise en place de mesures spécifiques visant à la transparence. Il est bien connu qu’une vitre sale peut créer des aberrations lorsqu’on observe le paysage. On nettoie alors la vitre. Après l’aveuglement face à la Tunisie, le gouvernement tente de corriger ses aberrations et ce matin, une dépêche annonce que la France déplore les morts dans les manifestations en Egypte. La morale politique n’est pas exempte d’aberrations dans le domaine moral, notamment les attributions de la légion d’honneur au gestionnaire de la fortune Bettencourt ou à un chanteur populaire qui s’installe en Suisse et maintenant fait l’objet d’une enquête pour fraude fiscale. Aberrantes que toutes ces nominations de complaisance d’anciens membres du gouvernement ou de dociles politiciens sur des postes de notable, notamment au Conseil économique et social. Aberrant que l’idée d’une énième loi sur la récidive à l’occasion d’un fait divers où l’on ne sait pas encore ce qui s’est passé. Aberration que cette disposition sur l’euthanasie rejetée par le Sénat sur ordre ministériel, au mépris de la liberté de la personne qui veut décider de sa fin et non pas la laisser entre les mains d’un acharnement médical. D’ailleurs, le clin d’œil au nazisme utilisé par les opposants à l’euthanasie est bien plus qu’une aberration. Les cobayes de Mengele n’avaient pas choisi leur destin et s’il faut joueur avec le feu des analogies, autant alors imaginer ces maisons médicalisées et cet acharnement thérapeutique comme un camp de la mort où l’on maintient des individus en état de mort prochaine et d’existence dévitalisée sans leur laisser le choix de quitter le monde.
Pour finir cette courte réflexion, soulignons que le plus souvent, les aberrations ne sont pas des fautes ou des accidents. Les aberrations servent les intérêts de quelques-uns. On l’a su avec le déroulement de la crise financière et s’agissant de la Tunisie, une dépêche nous apprend que la France savait pertinemment quelle était la situation selon les dires d’un ex-ambassadeur. Les politiques se servent consciemment des aberrations jusqu’à ce que les citoyens les repèrent suite à des investigations médiatiques. Des corrections sont effectuées par les pouvoirs en place. Mais combien d’aberrations restent dissimulées ? Et puis est-ce si grave ? Après tout, le consommateur se prête avec docilité aux aberrations de la pub et n’hésite pas à s’appliquer une couche de merde dans les yeux ou les oreilles pour acheter des marques où des disques de chanteur que même le porc, animal habilité à bouffer n’importe quoi, refuserait d’ingurgiter.
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