2020 : la relance de l’économie sera-t-elle inflationniste ou déflationniste ?
Afin d’atténuer les conséquences économiques de la crise du Covid-19 et pourvoir à la relance des économies, les milliards commencent à couler à grands flots dans l’Union européenne, via les États, la Commission, la BCE (Banque centrale européenne) et la BEI (Banque européenne d'investissement). Et, ce n’est pas fini : par centaines, voire même par milliers de milliards. C’est la même chose aux États-Unis et ailleurs dans les pays développés.
Pourtant il ne devrait pas y avoir d’inflation. Peut-être même une déflation. Pourquoi ?
Les pays occidentaux ont appris à ne pas renouveler l’erreur commise durant la Grande dépression où la pénurie de monnaie – jusqu’à l’élection de Franklin D. Roosevelt en 1933 - avait succédé à l’abondance monétaire d’avant cette grande crise.
Nous allons probablement vivre une crise économique comparable à celle des années 30.
Beaucoup croient qu’avec autant de milliards injectés dans nos économies, nous allons vivre une période inflationniste. Erreur paradoxale !
Nous savons 3 choses :
- La monnaie est à l'économie ce que le sang est au corps humain. Indispensable en qualité, mais surtout en quantité ;
- La planche à billets est à l’économie ce que l’érythropoïétine (EPO) est au sang. Mais ce n’est cela que dans certaines circonstances, car si un mauvais dosage peut tuer le sujet, un dosage très équilibré peut lui être bénéfique ;
- « La cause immédiate de l'inflation est toujours et partout la même : un accroissement anormalement rapide de la quantité de monnaie par rapport au volume de la production. » (Milton Friedman (1912-2006), Nobel 1976)1
La planche à billets, voici l’un des maîtres mots pour remédier à la plupart des crises économiques en relançant massivement la demande grâce à l’abondance de liquidité.
La planche à billets est le processus par lequel la Banque centrale injecte des signes monétaires (« monnaie banque centrale » en euros pour la BCE, en dollars pour la Fed, etc.) dans ce qu’on appelle la base monétaire (M0). M0 sert de substrat aux banques commerciales pour créer/alimenter – principalement par l’octroi de prêts et de crédits à l’économie - la masse monétaire à partir de sa composante M12. M1 est par nature très liquide, car ses signes monétaires peuvent passer librement d’un agent économique (personne physique ou morale) à un autre sans préavis ni autre restriction. Ce n’est pas le cas pour M22 qui est moins liquide et M32 qui l’est encore moins.
Nous savons aussi que, selon la théorie quantitative de la monnaie (TQM), le volume de la masse monétaire - et notamment sa composante M1 - doit toujours être en adéquation avec la production de biens et de services monétisée (équivalent approximé du PIB) de la zone concernée. Ceci afin d’éviter, ceteris paribus : soit une baisse générale des prix (déflation, c'est-à-dire une inflation négative) ; soit une hausse générale des prix (inflation). En France, l’indice des prix à la consommation (IPC) mesure cela, et nous informe – cet indice ne mesure pas uniquement, comme on le croit généralement, le prix des produits alimentaires.
La relation entre la masse monétaire et la production de biens et de services a été mise en équation par l'économiste-mathématicien américain Irving Fisher (1867-1947) dans la célèbre formule, base de la TQM : MV = QP.
Dans la TQM, désormais admise, quel que soit le régime économique, politique et idéologique :
- MV concerne la circulation de monnaie potentiellement nécessaire à la demande de biens et services de consommation, et d’investissement ;
- QP concerne l’offre de biens et services en termes de quantité et de prix.
Traditionnellement, l’équilibre des deux membres de l’équation se fait grâce à P.
Avec :
- M est la quantité de monnaie ;
- V est la vitesse à laquelle circulent les signes monétaires entre les agents économiques - signes fiduciaires de main en main ; signes scripturaux (dont électroniques) de compte à compte ;
- Q est la quantité de biens et services produits ;
- P est le niveau général des prix.
Donc : si les variables M, V et Q sont stables, P est obligatoirement stable.
Aujourd’hui, pour 2 d’entre elles… dans un grand nombre de pays, ce n’est pas le cas, car :
- La production (Q) diminue. Beaucoup de commerces sont fermés, beaucoup d’entreprises tournent au ralenti, sont en difficulté et/ou ont déposé leur bilan ou vont le faire. Nous sommes désormais en récession !
- La masse monétaire (M) augmente. Elle va augmenter encore plus, suite aux milliards déversés par les intuitions.
Avec ces éléments (Q qui diminue et M qui augmente) … si V (vitesse de la monnaie) reste stable, P (indice des prix) doit obligatoirement augmenter – c’est-à-dire, nous emmener vers une inflation d’autant plus grande que M sera important et Q faible (cf. Milton Friedman).
Mais V (la vitesse de circulation de monnaie) est-elle vraiment stable en cette période où, notamment – exemples en France :
- Le pouvoir d‘achat ou la trésorerie des agents économiques baisse de manière significative pour cause de chômage partiel ou de chômage réel pour les personnes physiques ; et celle des entreprises, pour cause de fermeture administrative, de manque de clients ou de dépôt de bilan ;
- Les consommateurs confinés ou déconfinés, peu enclins à se déplacer, pensent plutôt à épargner qu’à consommer ne sachant pas de quoi l’avenir sera fait ;
- Les banques sont de plus en plus frileuses à faire des crédits à leurs clients quels qu’ils soient, ainsi qu’aux entreprises malgré la garantie de l’État (en France le PGE) ?
Il paraît évident que, dans cette conjoncture, chaque signe monétaire circule de moins en moins vite, car chaque agent économique le garde aussi longtemps qu’il n’a pas un besoin impérieux… justifiant de le dépenser.
La vitesse (V) de la monnaie – qu’elle soit de transaction ou de revenu – a, selon nous, effectivement bien diminué (la Banque de France devrait prochainement nous dire de combien). Plus la crise sera longue et profonde, plus l’avenir sera incertain, inquiétant… et plus V diminuera !
Et, si V se rapproche de zéro – cas d’école - la machine économique s’arrêtera. Et ce, quel que soit le montant de la masse monétaire et de ses milliards injectés… contrairement à ce que suggère Milton Friedman !
Exemple d’école : si M = 100, V = 0 et P = 1, que devient Q ? Q est égal à 0, car la demande garde tous ses signes monétaires sur ces comptes, et n'achète ni produit ni service - tout se passe exactement comme si la masse monétaire avait elle-même diminué de manière excessive, privant les agents économiques de monnaie. Cet exemple pose la question : à quoi sert une masse monétaire importante si l’argent ne circule pas, pour une raison ou une autre ?
Rassurons-nous, ce n’est pas le cas aujourd’hui, bien que l’épargne – de protection, mais pas seulement elle – connaît une hausse incroyable malgré sa très faible rémunération. On peut cependant très facilement estimer que les signes monétaires circulent de moins en moins vite dans l’économie.
Ainsi, M et Q étant ce qu’ils sont - c'est-à-dire : massif pour l’un et faible pour l’autre - et V diminuant, P (l’indice des prix) va donc obligatoirement diminuer afin que l’équation de Fisher soit équilibrée.
- Il n’y aura donc pas d’inflation !
Par ailleurs, si V (la vitesse de circulation de la monnaie) poursuit son ralentissement, nous entrerons dans une période de DÉFLATION – malgré une masse monétaire importante.
Les prix (P) vont baisser…et les salaires aussi, car les entreprises - qui ont aussi l'option de licencier - vont tout faire pour éviter d’être défaillantes suite à la baisse importante de leurs marges, in fine, de leur rentabilité.
Cela serait de bien mauvais augure, car nous savons, depuis John M. Keynes (1883-1946), que :
- "[...] la DÉFLATION est pire que l'inflation."3
… Rendez-vous en 2021 ou 2022, pour la confirmation ou l’infirmation de notre analyse.
1) Inflation et systèmes monétaires (Éd. Calmann-Lévy, Paris, 1976) : première partie, chapitre 1, L'inflation, mal incurable, p. 67 et 79. Friedman parle aussi d'imposition indirecte pour qualifier l'inflation, p. 76.
Étrange, Friedman ne tient pas compte de la vitesse de circulation de la monnaie. Même l'équation de Cambridge : M = kPY, en tient compte...sous une formulation différente !
Il est vrai que Richard Cantillon (1680-1734) avait déjà formulé : "L'augmentation de l'argent entrainera une augmentation de dépense, et cette augmentation [...] entrainera une augmentation des prix du marché [...]." dans Essai sur la nature du commerce en général, seconde partie, chap. VI, p. 90.
2) M1 = billets et pièces en circulation + dépôts à vue. Cet ensemble forme l'agrégat "étroit" de masse monétaire. Il a pour fondement M0 : la base monétaire ;
M2 = M1 + dépôts remboursables avec un préavis inférieur ou égal à 3 mois + dépôts à terme d'une durée initiale inférieure ou égale à 2 ans. Ce nouvel ensemble forme l'agrégat monétaire "intermédiaire" ;
M3 = M2 + pensions + titres d'OPCVM monétaires + titres de créance de durée initiale inférieure ou égale à 2 ans. M3 est dit agrégat monétaire "élargi".
Composantes de la masse monétaire française en mars 2020, avant l’injection massive des institutions.
3) Sur la monnaie et l'économie (Éd. Petite Bibliothèque Payot, Paris, 2009) : Chap. VI : Les objectifs possibles de la politique monétaire (1923), p. 113. Keynes parle ici de l'inflation "normale", et surtout pas de l'hyperinflation qui a conduit à ce que l’on sait en Allemagne.
Crédit photo : planche à billets.
5 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON