25 000 euros pour avoir sauvé le monde ?
J'ai déjà évoqué ici ce qu'on appelé la Guerre Froide (*) et les folies qu'elle a pu engendrer, dont ces super-satellites d'observation grands comme des autobus, lancés au dessus de nos têtes, et dont les morceaux s'égaraient parfois sur terre (je vous en avais fait part ici-même sur Agoravox**) Aujourd'hui, je tiens à vous évoquer le vas d'un homme qui, il y a tout juste trente ans, a très certainement sauvé le monde, par sa présence d'esprit. Après trente années d'oubli, on vient tout juste de lui accorder une médaille et un prix bien mérités. Une bien petite consolation au regard de ce qu'il a fait... à savoir très certainement sauvé le monde d'un embrasement nucléaire... peu de temps après une très sombre histoire d'espionnage où une prise de risque inconsidérée semble avoir été de mise.
A l'époque où les faits se passaient, la tension entre les Etats-Unis et l'URSS n'a jamais été aussi vive. Un drame affreux venait juste de se produire, qui avait coûté la vie à 269 personnes, dont un député américain, Larry McDonald. Lui et les autres passagers (dont 22 enfants) était à bord d'un Boeing 747-230B des Korean Airlines parti de New York City direction Seoul via Anchorage, abattu alors qu'il s'approchait trop près semble-t-il d'un centre stratégique russe de l'île de Sakhaline ; le survolant à 11 000 mètres d'altitude. L'avion semble-t-il s'était égaré. Visiblement, ses trois centrales de navigation à inertie (INS) du Boeing avaient été mal programmées.. Le major Major Gennadi Osipovich à bord de son Sukhoï Su-15 "Flagon" n'avait en tout cas pas hésité à lancer contre lui deux énormes missiles Kaliningrad R-8 de 4 m de long, après avoir tiré au canon en sommation, d'après ses propres dires. Les deux engins arracheront presque l'aile gauche du Boeing, le forçant à un plongeon mortel. L'assaillant russe n'avait fait que répondre favorablement à Anatoly Kornukov, le commandant de la base de Sokol, sur l'île de Sakhaline, qui lui avait intimé l'ordre d'abattre l'appareil, un ordre partagé par le colonel Titovnin, responsable du centre de combat placé lui-même sous les ordres directs du Major Gennady Osipovich. L'avion civil avait froidement été abattu, et L'URSS ne fera jamais d'excuses pour sa bévue.
Outre le député américain décédé, la Korean Airlines pleurait aussi ce jour-là un de ses tous meilleurs pilotes, un ancien militaire : "le commandant Chun est une forte personnalité des Korean Airlines. Ce colonel de réserve des forces aériennes de la Corée du Sud, ancien leader de la patrouille acrobatique, âgé de 45 ans en 1983, est entré onze ans auparavant aux KAL. Richard W. Johnson le décrit comme “ un personnage taciturne, exceptionnellement endurci, confiant, agressif, au caractère trempé, sans compromis et aimant prendre des risques (…et) un pilote très expérimenté avec plus de 10 600 heures de vol à son actif, (…) que les autres pilotes des KAL avaient surnommé l’ordinateur humain ”. La catastrophe à peine produite, des rumeurs apparaissent, notamment d'espionnage, tant la situation paraît surprenante... l'époque extrêmement tendue entre les deux blocs voulait ça en effet... On craignait toujours un jour où l'autre un embrasement nucléaire et on s'y préparait tous les jours, justement, même chez les présidents prônant la paix comme Jimmy Carter. Sa "Presidential Decision Directive 59", du 25 juillet 1980, retrouvée des années après, avait en effet provoqué un choc quand on en avait découvert le contenu... l'époque de la Guerre Froide était une époque de dingues ! Des gens étaient prêts à faire sauter la planète entière avec un arsenal atomique sidérant (pour l'état actuel, voir ici) !! !
Ce n'était pas le premier incident de la sorte, pourtant : six ans auparavant on avait frôlé un drame similaire avec un événement resté longtemps mis de côté dans les informations mondiales (moi-même je l'ignorais jusque fort récemment, pour tout avouer). Peu de gens en effet l'avaient su, en effet, mais un autre Boeing parti de Paris pour Séoul avait failli se faire descendre de la même façon en survolant une zone interdite russe. Ou plutôt s'était fait tirer dessus de la même façon mais avait réussi à s'en sortir par miracle : "le 20 avril 1978, le Boeing 707-321B HL7429 du vol KE902, décolle de Paris à destination de Séoul, via Anchorage par la route circumpo- laire. Quelques heures plus tard, on le retrouve sur le ventre sur un lac gelé près d’Archangelsk, après être passé à la verticale de Mourmansk et après avoir volé une heure et demie en territoire soviétique ! Le survol de la base de leurs sous-marins nucléaires a fait voir rouge (!) aux Soviétiques et deux Su-15TM ont décollé avec l’ordre de forcer l’intrus à se poser ou de l’abattre. Le capitaine A. Bosov a tiré un coup de semonce, mais la rafale a traversé la cabine, tuant deux passagers. Ce sont, par chance, les seules victimes parmi les 109 personnes à bord. On peut, toutefois, imaginer que cet incident en a fait d’autres dans l’état-major de la défense aérienne de la région de Mourmansk...
Pour toute explication, le commandant de bord, Kim Chang Kyu, indiqua qu’il avait cru que son système de navigation était en panne et qu’il suivait un cap réciproque. Alors, parvenu à quelques centaines de kilomètres de l’Alaska, il avait brusquement fait demi-tour. Il fut le seul, parmi tous les passagers et membres d’équipage, à ne pas se rendre compte que le soleil qui l’avait jusque là accompagné sur sa gauche, brillait désormais sur sa droite !" raconte Aerostories. Peut-être bien, mais ce jour-là, un des deux pilotes de Sukkhoï avait tout fait pour retarder le tir de roquettes P-60 sur le Boeing, discutant longuement par radio avec sa hiérarchie, en lieu et place de tir au canon comme indiqué, utilisé en semonce. L'avion avait été atteint à l'aile gauche, des shrapnels ayant endommagé son fuselage et tué deux passagers. La catastrophe avait été évité de justesse, la présence d'esprit et l'adresse du pilote coréen avait permis un atterrissage en catastrophe sur le lac gelé Korpijärvi, où des hélicoptères russes étaient venu chercher les passagers, renvoyés ensuite dans leurs pays d'origine. Dans les jours qui suivront, l'URSS refusera de coopérer avec les experts internationaux dans l'enquête sur l'incident et n'acceptera pas de rendre les "boîtes noires" de l''avion,
qui sera démonté sur place et non rendu à la firme coréenne. On ne saura que bien des années après que l'avion avait effectivement dérivé sur sa droite pour pénétrer en territoire russe. Le virage effectué sera analysé comme étant trop lisse pour être intentionnel, et aurait donc pu et être causé que par un dysfonctionnement de ses équipements de navigation. Du moins selon l'avis des experts aéronautiques. En somme, six ans avant la catastrophe du 747 coréen, un événement similaire s'était produit. Et on n'en avait rien su !
Les Russes avaient toujours eu la gâchette ou le lance-missile facile (depuis Gary Powers), mais à leur décharge on peut aussi dire que la pression US était forte, comme je l'ai déjà expliquée ici avec leurs Boeing dopés aux radars de chez Hughes, tel le fameux "River Amber" (ici à gauche). C'est ce qui confirmera plus tard Gennadij Nikolaevitch Osipovitch, celui qui avait abattu le Boeing 747 coréen : “ l'année 1983 avait été difficile pour nous. Les Américains augmentaient sans cesse le nombre de leurs vols de reconnaissance dans notre zone et nous étions forcés de répondre. Nous haïssions tout particulièrement les RC-135 de reconnaissance électronique. J’ai lu dans les Isvestia l’opinion de James Oberg, spécialiste américain des ca- tastrophes aériennes. Moi, je trouve son avis d’expert risible. Par exemple, il dit que les pilotes soviétiques ont pris l’avion sud-coréen pour un RC-135. Si c’est vrai, c’est la preuve de notre totale incompétence. Il dit que le KAL 007 se déplaçait plus vite sur nos écrans de radar qu’un RC-135. En plus il volait en ligne droite alors que les RC-135 effectuent généralement des huit. Sommes- nous aussi incapables qu’il le dit pour ne pas connaître la manœuvre classique des RC-135 ? J’ai vu des tas de choses dans le ciel au-dessus de Sakhaline et je peux vous dire que les RC-135 volaient parallèlement à la frontière et pouvaient parfaitement intercepter nos signaux radar et les transmissions des stations au sol. Mais, en temps de paix, tous nos radars n'étaient pas actifs. Alors les Américains avaient trouvé une astuce. Ils volaient en faisant des huit. L’avion de reconnaissance fonçait droit sur la frontière et la franchissait pour nous obliger à allumer nos radars. Puis il rebroussait chemin en faisant des huit."...
le jeu parfait du chat et de la souris, effectué par exemple par le modèle surnommé "Cobra Ball", volant à partir de la base avancée ultra-secrète de Shemya, en Alaska, où des équipages complets parfois disparaissaient sans laisser de traces. En mission d'espionnage, ils n'avaient pas droit aux honneurs de la presse. Et le procédé décrit par le russe sera corroboré plus tard par des équipages américains de ces provocateurs aériens. Certains, jugés bien trop curieux, seront purement et simplement abattus en vol par les soviétiques. Sans qu'on ne le sache officiellement (la liste des avions espions KC-135 présente des trous mémorables et leurs missions sont toujours considérées comme secret défense). Lors d'une conférence, cinq jours à peine après la catastrophe, un ancien de la CIA, Ralph McGehee, affirmera que le Boeing de la Korean était bien lui aussi en mission d'espionnage...
Mais il faudra attendre encore 13 années pour que le pilote russe donne un semblant d'explication sur ce qu'il avait accepté de faire ce funeste 1er septembre 1983 . "Dans sa première entrevue avec un journaliste américain, le pilote à la retraite a abordé certains des mystères qui entourent encore l'incident, bien que la question centrale de savoir pourquoi l'avion - en route d'Anchorage, en Alaska, vers Séoul, Corée du Sud - était si loin de sa route est encore débattue. En bon communiste convaincu qui vit dans la région du Caucase, Osipovich a insisté sur le fait que l'avion de ligne était sur une mission d'espionnage et qu'il n'y avait aucun passager civil à bord. Il considère même de s'estimer heureux d'avoir obtenu une mesure de célébrité par avoir détruit le Vol 007. Une de ses rarses complaintes c'est que les autorités soviétiques ne lui ont donné qu'un plus petit bonus qu'il ne l'avait espéré pour avoir abattu l'avion : 200 roubles moins une petite taxe pour les frais de port. "L'agent au sol qui, avait vu l'avion le premier sur son écran radar a reçu un bonus de 400 roubles", se plaint-il. « Ceux qui n'ont pas pris part à cette opération ont reçu le double de leur salaire mensuel », a-t-il ajouté." A cette époque, le salaire mensuel était de 230 roubles. Donc, j'aurai du avoir au moins 400 roubles. " Pendant des années, les experts ont débattu pour savoir si le pilote soviétique était conscient qu'il était avait abattu un avion civil ou qu'il avait pris le 747 pour un Boeing RC-135, un avion de reconnaissance militaire. Mais Osipovich a dit qu'il savait qu'il n'avait pas de doutes qu'il avait affaire à un avion civil et non à un RC-135. Vu à travers le prisme froid de la guerre, le pilote a traité l'avion, non pas comme un avion de ligne commercial égaré, mais dans le cadre d'une mission infâme contre la patrie soviétique. Osipovich a également révélé qu'en raison de la pression du moment, il n'avait pas pu fournir une pleine description de l'intrus aux contrôleurs au sol soviétiques. "Je n'ai pas dit au contrôle qu'il s'agissait d'un avion de type Boeing (civil)," s'est-il rappelé. « Ils ne me l'ont pas demandé." Il a dit, cependant, aux contrôleurs au sol soviétiques que l'avion avait des lumières clignotantes sur, ce qui, selon lui, était une indication que cela pourrait être un avion de transport". Osipovitch n'aurait pas pu confondre, et il l'a d'ailleurs avoué : "C'était énorme", at-il dit. « J'ai vu tout, y compris les lumières clignotantes en haut et en bas. " Mais il avait tiré quand même quand on lui en a donné l'ordre : mais comment avait-il pu vraiment distinguer qu'il s'agissait d'un 747 à la place d'un RC-135, les missiles ayant été tiré son énorme missile à une distance de 5 km de sa cible ? A un moment de la poursuite, le 747 avait ralenti, et le Flagon s'était retrouvé à un moment devant lui en passant dessous : il avait logiquement largement eu le temps de s'apercevoir que ce n'était pas un RC-135 (ci-dessous un RC-135D) !
Les russes étaient d'autant plus à cran qu'ils avaient mis en place un programme spécifique pour tenter de contrecarrer les initiatives de Reagan qui laissaient entrevoir des frappes possibles sans temps de réponse. C'était l'opération Ryan. "L'objectif de l'opération Ryan était de réunir des informations sur le dessein présumé — mais inexistant — formé par l'administration Reagan de lancer une première frappe nucléaire contre l'Union soviétique. Cette pure invention reflète à la fois l'incapacité récurrente du KGB à pénétrer la sphère de pouvoir de son principal adversaire, les États-Unis, et son attirance récurrente pour la théorie du complot. L'opération fut lancée en mai 1981 par le directeur du KGB, Youri Andropov. L'opération Ryan prit une nouvelle dimension lorsque Andropov parvint au pouvoir en 1982, et notamment après l'annonce du déploiement des missiles Pershing II en RFA. Ces missiles étaient conçus pour être lancés depuis des véhicules mobiles, ce qui rendait les sites de lancement très difficiles à identifier. Le temps de vol des missiles depuis la RFA jusqu'en Russie européenne n'était que de quatre à six minutes, et de six à huit minutes jusqu'à Moscou, ce qui laissait aux autorités soviétiques un temps de réaction presque nul". Une des raisons supplémentaire de la nervosité soviétiques à l'époque était que l'ouest avait déclenché une série d'exercices de guerre psychologique visant Moscou, y compris les manœuvres navales dans les zones avancées soviétiques près de ses bastions stratégiques, tels que les bases de sous-marins dans la mer de Barents. L'ensemble des opérations, incluant les bâtiments de l'Otan, s'appelait Able Archer 83. Les russes, c'est simple, étaient devenus aussi paranoïques que les américains, qui continuaient alors à préconiser à leurs citoyens de continuer à construire comme des fous des abris anti-atomiques dans leurs jardins...
Pour ajouter à la parano soviétique, Reagan va se lancer dans une campagne dure sur la sécurité du pays, intervenant à la télévision pour annoncer ce qu'on appellera après "la Guerre des Etoiles" : "le 23 Mars 1983, Reagan a annoncé l'un des éléments les plus ambitieux et les plus controversés de cette stratégie, l'Initiative de défense stratégique (étiqueté "Star Wars" par les médias et les critiques). Alors que Reagan dépeint l'initiative comme un filet de sécurité contre la guerre nucléaire, les dirigeants de l'Union soviétique la considéraient comme un départ définitif de la parité relative des armes de détente et une escalade de la course aux armements dans l'espace. Youri Andropov-qui était devenu secrétaire général de la suite de la mort de Brejnev (Novembre 1982)-, a fustigé Reagan pour "inventer de nouveaux plans sur la façon de déclencher une guerre nucléaire de la meilleure façon, avec l'espoir de la gagner". On comprend ainsi un peu pourquoi on retrouvera sur les stations Saliout-1 (lancée dès le 19 avril 1971, 3 (le 25 juin 1974) et 5 ( 22 juin 1976)... un canon de Mig : baptisée Almaz, la station russe avait franchi l'interdit de l'armement en orbite. Les russes n'avaient pas attendu Reagan pour militariser l'espace avant lui !
Jusque là, pour le Boeing coréen, on avait retenu la thèse officielle de l'écart de trajectoire, par mauvais réglages des instruments de bord, donc. Mais l'épave n'ayant pas été retrouvée, d'autres thèses se mirent à apparaître quelques années plus tard. Côté soviétique, notamment, dans les Izvestia, avec un long article signé Andrej Illesh et Aleksandr Shalnev, le correspondant du journal russe à Washington. Leur thèse est en effet très impressionante, étayée par une enquête longue de six années. Selon eux, le Boeing avait bien pénétré dans le territoire russe, mais pas tout seul : l'accompagnait un des ces fameux RC-135 (ici à droite le fameux Cobra Ball) bourré d'électronique et bardé d'antennes, pour survoler ensemble le Kamtchatka. Les militaires russes, dès les premiers mois de l'enquête, avaient déjà évoqué le rôle de "plastron" joué par l'appareil civil (pour masquer le militaire sur les écrans radars). Le RC-135 avait-il prémédité son coup, où avait-il bénéficié de l'écart de trajectoire (qui aurait pu être réglé au départ par des mains malfaisantes), pour profiter de l'ombre radar du Jumbo pour passer inaperçu ? La découverte tardive des deux appareils profondément enfoncés dans le territoire de la défense aérienne soviétique, qui n'avait fait décoller aucun chasseur avant que l'impressionnant Jumbo ne soit à plus de cent kilomètres à l’intérieur de la frontière soviétique, avait rendu comme fous les militaires russes, ce qui aurait expliqué leur vive réaction. Mais jusqu'alors, la fin du vol 007 s'était terminée dans les eaux, et personne n'avait pu repêcher quoi que soit de la carcasse fumante du 747 abattu.
Aussi la surprise sera de taille quand neuf ans plus tard, lors d’une visite officielle en Corée, en novembre 1992, Boris Eltsine, en prononçant ses regrets pour l'affaire de 1983, prend tout le monde par surprise en remettant au gouvernement coréen les “ boîtes noires ” de KE 007. A savoir le CVR (Cockpit Voice Recorder), qui enregistre les conversations internes et externes dans la cabine de pilotage et le DFDR (Digital Flight Data Recorder), qui donne tous les paramètres techniques de vol, tous deux miraculeusement retrouvés par les soviétiques. Ce qui obligera l'OACI à rouvrir le dossier. Son deuxième rapport, remis le 6 juin 1993 ressortira pourtant les mêmes thèses que le premier : l'incident avait eu trois causes accumulées : une déviation du cap (involontaire), la fatigue de l'équipage et un pilotage automatique défaillant enclenché... mais rien ne collait pourtant dans les boîtes remises par Eltsine :
les voix n'étaient pas les mêmes entre le VCR et celles enregistrées par le contrôle aérien de Tokyo-Narita, et l'appareil décrit... était est un biréacteur : d'où provenaient ces faux enregistrements et pourquoi, surtout, on se le demande toujours. Qu'avaient cherché à faire les soviétiques, qui semblaient pourtant bien avoir réussi à localiser l'épave ? On n'était pas au bout des surprises, car entretemps, un jeune universitaire américian inscrit à Yale, David Pearson, avait rédigé une bien étrange thèse de doctorat (devenue ouvrage de librairie) : elle était consacrée à la catastrophe et contenait des éléments inédits et plus que troublants sur l'affaire. Notamment un séjour de l'appareil dans un hangar bien spécial, juste avant son vol fatal. Bienvenue le conspirationnisme !
Les faits racontés par Pearson étaient accablants... mais pour les américains, et non pour les russes : “ À 10h30, le 11 août, un avion des KAL, accompagné par un RC-135, est arrivé à la base aérienne d’Andrews, près de Washington. Immédiatement après son arrivée, l’appareil a été remorqué à l’autre extrémité du terrain, jusqu’au bâtiment 1752 où se trouve la firme E-Systems. Cette société est installée à Dallas, au Texas, et travaille pour le Pentagone et la CIA (aujourd'hui encore, rachetée par Raytheon elle a été longtemps dirigée par Erwin Rautenberg). Elle est spécialisée dans l’équipement électronique. On pense que l’avion coréen a reçu un appareillage électronique sans que l’on puisse en connaître la nature exacte. À 6h40, le 14 août, l’appareil est reparti d’Andrews, encore une fois en compagnie du RC-135. Selon les premières informations, son immatriculation était HL7442.
Cette histoire n’a jamais pu être publiquement révélée, car le Lt.Gen. Lincoln Faurer, directeur de la National Security Agency, s’est assuré le silence des médias en leur disant qu’elle avait été fabriquée de toutes pièces par les Soviétiques et que c’était de la désinformation et qu'aucune source et ne donne aucune preuve de ce qu’il avance.Toutefois, si cette information s’avérait exacte, on pourrait supposer qu’il existe un lien direct entre le séjour du Boeing à Andrews et l’interception de signaux codés soviétiques en morse. Nous en restons, cependant, au stade de l’hypothèse gratuite". Gratuite, mais lourde de sens : on aurait envoyé à la mort 269 personnes en toute connaissance de cause !
Jouer les espions avec un appareil civil, cela peut en effet se concevoir, car tout le monde l'a fait : dans un livre sur le SDECE ("Sdece, Services Secrets", de Philippe Bernert) on avait ainsi appris que des Caravelle d'Air France avaient été modifiées pour dissimuler une caméra dissimulée sur un des flancs, les pilotes recevant une gratification s'ils "s'égaraient" de leur trajectoire en survolant "certains endroits" en URSS. Les Russes étaient alors sous étroite surveillance, en 1983, et pour une raison très évidente :"dans la nuit du vol 007, les soviétiques étaient sur le point de tester un nouveau missile balistique intercontinental (SS-X 24), ce qui aurait été une violation de l'accord SALT II. Pour cette raison, plusieurs avions américains étaient déjà en vol à proximité de l'espace aérien soviétique, en attendant le lancement du nouveau missile.
En conséquence, dès que KAL007 avait pénétré l'espace aérien soviétique, des intercepteurs ont été envoyés sur ordre du gouvernement soviétique qui a cru que l'avion était une intrusion militaire américaine" rappelle un autre rapport de 2007. Un lancement crucial que ne pouvaient rater ni les satellites espions, dont nos fameux "Keyhole" Corona (voir en bas la série consacrée), et l'armada d'avions-espions de type RC-135 toujours en train de montrer le bout de leur nez aux frontières soviétiques. En 1983, on en était au KH-8 Gambit 3, 53 ième du nom, lancé le 15 avril de cette année ! Le lancement attendu était celui du missile SS-24 ; monté à bord d'un wagon, il représentait a réponse russe aux Pershing, et était perçu alors comme une menace difficilement détectable !
Une hypothèse ; mais aussi une autre, guère plus reluisante ; celle évoquée par Pearson : le 747 aurait été sacrifié délibérément, en servant d'appât pour les chasseurs russes et provoquer ainsi l'arrêt des négociations sur les missiles nucléaires qui étaient en cours entre les USA et l'URSS. C'est l'échec de ses pourparlers qui étaient visés. Côté américain, en effet, certains rêvaient toujours d'en arriver à la confrontation armée avec. L'URSS. Le sénateur de Georgie tué dans l'appareil Lawrence McDonald of Georgia, n'est autre qu'un des pires faucons anti-communistes existants, qui se fait souvent accompagner par son alter-ego Senator Jesse Helms (de Caroline du Nord), lui aussi un Reaganien de la veine des post-maccartystes où l'on trouve notamment A.G. "Fritz" Kraemer, Sven Kraemer, John Lenczowski, Paula Dobriansky, William Clark, Jeanne Kirkpatrick, William Casey, Henry Kissinger, le Dr. Ernest Lefevre, William F. Buckley, James Buckley, Richard Pipes, et le général Daniel O. Graham. Les deux premiers, invités en Corée du Sud avec une délégation de 38 personnes ont voyagé ensemble lors de la première partie du trajet, mais McDonald est resté seul à bord de la délégation sur le vol particulier terminé tragiquement : de quoi éveiller quelques soupçons. Car l'individu, à ce moment-là, est dans de beaux draps. On vient de découvrir toute une série de détournements de fonds qu'il aurait effectué pour remplir les caisses du candidat Reagan. Ce sont les policiers de Los Angeles qui ont découverts les faits, en fouillant divers ordinateurs bourrés de textes et de factures compromettants. Certains journalistes évoquent déjà un second Watergate à venir, à lire les premiers extraits de ce qui s'annonce comme un beau scandale.
Les mêmes accusant également le faucon John Lehman (ici à droite), alors secrétaire de la Marine (***), d'être derrière la perte du Boeing 747 coréen en raison de sa théorie de "l'Horizontal Escalation" à savoir un harcèlement perpétuel des frontières de l'URSS par des avions espions. Aurait-on cherché à se débarrasser d'un sénateur encombrant en en profitant pour réaliser un de ses rêves d'escalade anti-communiste ? On le voit, l'affaire du Boeing abattu avec 269 personnes à bord est loin d'avoir livré tous ses secrets. L'époque était folle, tout simplement, et toutes les possibilités sont envisageables. Deux ans plus tard, en 1985, l'accident étrange de Gander, ravivera l'idée comme quoi la vie de centaines de personnes ne représente que peu de choses chez certains aux idées extrémistes. Avec cette fois en toile de fond le marché juteux des ventes d'armes. L'accident de l'Arrow 1285 avait fait 256 victimes ; cette-fois-là. Encore une fois, le Cockpit Voice Recorder (CVR) retrouvé n'avait servi à rien : les voix enregistrées étaient inaudibles, et des éléments relevés à l'impact avaient été déplacés ou subtilisés. Pour ajouter à l'horreur, un appel téléphonique fait à Beyrtouth par un chiite, au téléphone d'une agence de presse française revendiquant l'attentat, avait provoqué la stupeur... et un temps orienté les recherches bien loin...
Trois semaines à peine à peine après le drame du 747 coréen, alors qu'on ne sait toujours pas exactement ce qui s'est passé et que le nom même d'Osipovitch n'est toujours pas connu, et encore moins les malversations possibles dans le dossier sulfureux du Boeing Coréen, un autre événement va à nouveau provoquer la même tension entre les deux pays. Cette fois, c'est même pire encore. L'excitation du Boeing abattu est loin d'être retombée, aux USA, et en URSS on se méfie des représailles possibles. C'est là qu'entre en jeu notre héros du jour, qui s'appelle Stanislav Petrov. Spécialiste des procédures de sécurité militaire et de leur rédaction, il travaille ce soir-là au fond du Serpukhov-15, un bunker russe secret, un poste de suivi de satellites d'alerte avancée. Le 26 Septembre 1983, l'officier Pietrov, âgé de 44 ans, surveillait en effet les départs potentiels des missiles nucléaires américains vers la Russie, déclencheurs d'une attaque et d'une guerre nucléaire. Des départs fournis par tout une gamme de nouveaux satellites et un ordinateur géant tout neuf installé dans son bunker.
Ce n'était pas son travail habituel ; il effectuait cette veille deux fois par mois seulement comme pour entretenir ses compétences sur le sujet. Peu après minuit, Petrov remarque un départ de missile US sur son écran. Pensant à une erreur possible, il n'a pas tout de suite enclenché la riposte immédiate prévue. Mais l'annonce du départ de quatre autres missiles supplémentaires commencent à l'inquiéter, surtout qu'une lumière rouge clignotante lui indique une attaque qui se voudrait donc bien réelle. L'homme hésite toujours, malgré tout à contacter Jurij Votincev, le commandant en chef de la défense anti-missile russe, placé directement sous les ordres de Jurij Andropov porteur de la « valise nucléaire » car il sait qu'ils auraient immédiatement ordonné une contre-attaque dévastatrice. Il ne semble pas personnellement persuadé d'un conflit nucléaire puisse résoudre l'antagonisme des deux super-puissances du moment. Dans le poste de commandement, ils sont une centaine maintenant à avoir depuis quelques minutes les yeux rivés sur lui : il doit impérativement lancer sa contre attaque avant les quinze minutes à venir. Sinon, ses propres missiles seront réduits au silence. Il sait que celui qui attaque le premier sera détruit totalement 27 minutes plus tard...
La fin du monde est alors dans les mains d'un homme, qui va faire marcher sa cervelle au lieu d'appliquer bêtement les règles... qu'il avait lui-même rédigées en cas d'attaque de l'adversaire. Soudain, il se décide et déclare que ce ne peut-être qu'une fausse indication des radars de veille ou du satellite observateur qui a alerté tout le bunker. Pour lui, si les américains auraient eu l'idée d'attaquer ; ils ne se seraient pas contentés en effet d'un missile, voire même de cinq, étant donné leur arsenal de l'époque et la pléthore de têtes nucléaires qu'ils possédaient (les russes disposant des mêmes stocks faramineux). Ils n'auraient pas non plus déclenché d'attaque de jour (il est 15 heures là-bas quand il est minuit à Moscou). Il annonce donc de lui-même la fin de l'alerte et demande à ce qu'on répare le l'indicateur défaillant de départs de missiles.
C'est le tout nouveau système informatique d'alerte anti-missiles Krokus du SPRN (Sistemi Predouprejdienia o Raketnom Napadienii, pour "système d'alerte en cas d'attaque par missile") qui s'est montré défectueux, selon notre spécialiste : les premiers essais ont débuté en 1976, et le bunker venair juste de recevoir la dernière mise à jour des ordinateurs de contrôle des tirs adverses. Les satellites russes comme américains ayant déjà montré des défaillances dans la détection infra-rouge des départs de missiles. En l'occurrence, on apprendra après que c'est une réflexion de rayon de soleil sur une couche nuageuse composée de glace qui avait provoqué l'erreur. Un peu secoué par l'intensité de ce qu'il vient de vivre (il vient tout simplement d'éviter une guerre nucléaire !) il quitte ce soir là son poste, en oubliant de remplir son cahier de présence. Ce qu'on lui reprochera bien sûr, en le poussant même l'année suivante vers la sortie.
Il quitte en effet juste après l'armée et tombe dans la plus complète indifférence. Il faudra attendre des années pour qu'on sache qui il était et ce qu'il avait fait. Un film de 52 minutes de Ewa Pieta et Miroslaw Grubek intitulé fort justement "Le bouton rouge" lui rendra hommage en 2005. A noter cependant qu'après avoir été réprimandé, Stanislav Petrov sera néanmoins félicité par son supérieur direct, le général Yury Votintsev, commandant des unités de défense de missiles soviétiques, pour sa "présence d'esprit" : en réalité, elle avait aussi démontré que le matériel employé par les russes n'était pas fiable, ce qui explique aussi pourquoi pendant des années personne n'en avait rien su... et encore moins les américains ! A noter que c'est Yury Votintsev qui avait le premier, dans ses mémoires, révélé le nom de Petrov.
L'incident ne sera révélé en effet qu'en 1998 par les russes, quinze ans après les faits. Il faudra encore attendre 2004, soit 21 ans après encore, pour qu'un groupe de citoyens américains de San Francisco, "l'Association of World Citizens" lui offre une récompense méritée pour son action pour qu'on s'aperçoive de son existence : grâce à eux, il sera mème reçu et salué à l'ONU. Le film hommage sera tourné l'année suivante. En France, c'est Patrick Baud, auteur du livre "L’Homme qui sauva le monde et autres sources d’étonnement " qui l'a fait découvrir dès 2009. L'homme a une vision très saine des phénomènes "à part", en déclarant par exemple ne pas mélanger les phénomènes OVNI avec le paranormal (c'est à ça qu'on reconnaît les escrocs dans le genre, sans doute !), mais il dérive vite lui aussi sur des thèses farfelues (telle la thèse de "l'idéomoteur ")
Pour Petrov, il lui faudra attendre encore 9 années après sa reconnaissance aux USA pour qu'on lui décerne le 17 février dernier le Dresden Preis 2013, un prix agrémenté d'une somme de 25 000 euros, ce qui est bien peu en regard du prix de la planète qu"il a effectivement sauvée il y a trente ans par sa présence d'esprit. Humble, il déclare aujourd'hui : « Cela me gène d’en parler, je faisais mon travail et c’est tout. Je n’ai rien fait d’héroïque ». Peut-être, mais on lui doit bien davantage que ce qu'on lui offre aujourd'hui, il me semble.
(*) j'y reviendrai bientôt.
(**) ...dans ma série sur la guerre froide et ses satellites lisible ici :
1) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121107
2) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121128
3) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121180
4) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121141
5) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121258
6) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121319
7) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121755
8) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-fin-de-la-navette-spatiale-8-87984
9) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121418
10) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121202
11) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121184
12) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-122507
13) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121661
14) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121419
15) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-122014
16) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121458
17) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-122879
18) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121464
19) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-122180
20) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-122389
21) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-122876
22) http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-folies-de-la-guerre-froide-121933
(***) le faucon n'était pas désinteressé : on l'a retrouvé récemment comme conseiller de Mitt Romney, préconisant la construction d'au moins 15 navires de guerre supplémentaires par an, alors qu'il est toujours au conseil d'administration des principaux chantiers navals militaires. Romney en aurait fait son secrétaire à la Défense !
Sources diverses :
-le documentaire sur le vol 007 :
http://www.youtube.com/watch?v=10O3fKZBxz0
http://www.alvinsnyder.com/the_truth_about_korean_airlines_flight_007_8994.htm
-les journaux télévisés du moment
http://www.live2times.com/1983-un-747-coreen-abattu-par-un-mig-russe-e—10356/
http://www.ina.fr/video/CAB01016757/ja2-20h-emission-du-1er-septembre-1983.fr.html
l'occasion de réécouter le regretté Georges Bortoli, et d'écouter le correspondant du Washington Post dire que ça tombait fort mal pour les discussions de paix engagées par Reagan...
http://www.airdisaster.com/cvr/kal007.shtml
http://www.airliners.net/aviation-articles/read.main?id=72
-un avis russe
http://www.erudit.org/revue/ei/1994/v25/n1/703279ar.pdf
-le dossier d'Aerostories
http://aerostories.free.fr/events/kal007/
-les documents (photos en particulier) sur l'incident du 707 de 1978
http://heninen.net/flight-902/english.htm
Un "River Joint" vu de près
http://www.greatamericans.com/video/RC-135-Rivet-Joint-recon-aircra
-les documents de la CIA sur l'affaire du Boeing
57 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON