44ème couverture de « Paris-Match » avec Alain Delon : un bel exemple de « l’information indifférente »
Pour la 44ème fois depuis 1961, « Paris-Match » vient, le 20 novembre 2008, d’exhiber en couverture l’acteur Alain Delon : on le voit cette fois danser avec sa fille. L’hebdomadaire s’en flatte et en profite pour réunir sur son site internet les 44 couvertures auxquelles il convient d’en ajouter 11 autres où se pavanent ses proches, épouse et fils aîné. En 47 ans, l’acteur avec sa famille a donc été à lui tout seul en couverture de « Paris-Match » 55 semaines, soit plus d’une année.
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La star et ses frasques, un des ingrédients de « l’information indifférente »
Pour avoir été régulièrement choisie, depuis si longtemps, nul doute que la star ait été pour l’hebdomadaire un bon produit d’appel, jouissant d’une capacité constante à capter l’attention des lecteurs, en stimulant à la fois réflexe d’attirance, voire de voyeurisme et pulsion d’achat. Mais, hormis une séduction sexuelle susceptible de déclencher un réflexe d’identification, on ne voit rien d’autre qui ait pu motiver un tel affichage répété. On tient là un bon exemple de ce que l’on peut appeler « l’information indifférente » qui est cette information en apparence non-stratégique car elle ne dérange personne et ne nuit surtout pas à son émetteur : la vie d’une star avec ses extravagances répond à cette définition ; elle est donc un des ingrédients de « l’information indifférente ».
À vrai dire, si Delon apparaît pour la première fois en 1961, en amant de Romy Schneider, il faut attendre près de vingt ans tout de même pour le revoir et cette fois continûment. Ce n’est que depuis 1980 qu’il occupe chaque année la couverture, avec toutefois six interruptions dont une de deux années (1988 et 1989 ) et cinq d’une seule (1982 – 1993 – 1999 – 2001 et 2004). Ce sont les années 80 – où la Gauche est au pouvoir - qui constituent l’apogée de son exhibition : de 1980 à 1987, Delon totalise à lui tout seul quinze couvertures, dont 4 chaque fois en 1980 et en 1984. Si on compte ses proches, Mireille Darc et le fils aîné de Delon, Anthony, il faut en ajouter 9 autres. En 1984 et 1985, par exemple, la famille Delon se voit réserver chaque année 6 couvertures. Pour les années qui suivent, on relève 2 couvertures plutôt qu’une, et une seule fois trois en 1997, comme autant de « piqûres de rappel ».
Quel prétexte vaut ainsi à Delon ces assiduités de Paris-Match ? Curieusement, ce ne sont pas ses performances d’acteur, puisque, sauf erreur, il tourne ces plus grands films entre 1960 et 1980 : « Rocco et ses frères » et « Le Guépard » de Visconti sont de 1961 et 1963. Or, elles ne lui donnent pas accès à la couverture.
Est-ce ensuite un effet de « l’affaire Markovitch », nom d’un de ses anciens gardes du corps retrouvé assassiné, le 1er octobre 1968, dans une décharge ? Celle-ci est devenue une affaire d’État puisqu’on y a vu un complot pour compromettre Mme Claude Pompidou et à travers elle son mari, Georges Pompidou qui briguait la succession du Général de Gaulle avant l’heure.
En revanche, les amours agitées et changeantes de Delon le conduisent en couverture et l’y installent. Il y paraît la première fois, on l’a dit, avec Romy Schneider en 1961 et y revient régulièrement dans les années 80 avec Mireille Darc. Mais on le voit aussi avec Catherine Deneuve, Anne Parillaud, Nathalie Baye, Arielle Dombasle, Catherine Peroni, Rosalie van Breemen, son ex-épouse. Un temps, à partir de 1991, il s’exhibe avec sa femme et leurs enfants. Après 2002, date de son divorce, entre deux retours de Mireille Darc, il se montre essentiellement avec ses deux enfants. Il assure à l’évidence la promotion de sa fille qui, comme cela ne surprend pas avec les enfants d’acteurs, entre « en scène » à son tour. Il n’y a guère que trois couvertures où il pose en compagnie d’un autre acteur, deux fois avec Belmondo et une fois avec Francis Huster.
Les trois fonctions de « l’information indifférente »
Cette « information indifférente », ainsi nommée pour son apparente innocuité, puisqu’elle ne paraît menacer les intérêts de personne, n’en remplit pas moins trois fonctions essentielles.
1- La première est d’établir une relation quand on se salue, qu’on évoque le temps qu’il fait, qu’on s’inquiète de la santé des uns et des autres, que l’on parle de tout et de rien et surtout de rien qui fâche ; les sports et les stars sont des sujets consensuels qui s’y prêtent ; et dans un journal, ils captent l’attention du grand nombre.
2- Une seconde fonction est d’occuper abusivement l’espace exigu de diffusion disponible et donc d’écarter les autres informations faute de place. « L’information indifférente » peut être ainsi une façon de procéder à une censure discrète.
3- La troisième fonction est de fournir des modèles, comme on le voit avec Delon : son allure, ses postures, ses goûts sont offerts en exemple. Stimulant un réflexe d’identification, la star exerce une séduction sur ses fans et joue par le fait même auprès d’eux un rôle de prescripteur.
Delon, comme porte-parole de la Droite
Le plus souvent, il lui suffit de paraître. Mais il lui arrive de s’exprimer explicitement, comme le montrent deux couvertures de Paris-Match. Sur celle du 18 mai 1984, on apprend ainsi que « Delon attaque. Sa cible : les hommes politiques. Son combat : le sursaut des Français ». L’union de la Gauche est, en effet, au pouvoir depuis 1981. Le militant Delon, trouve, entre ses amours, le temps de donner de la voix contre le pouvoir en place.
Il remet ça le 8 janvier 1998 ; Paris-Match lui offre à nouveau sa tribune pour une nouvelle harangue : « France où en es-tu ? s’écrie-t-il. La connerie de la Droite fait le triomphe de la Gauche ». Il est vrai qu’une malheureuse dissolution de l’Assemblée nationale a remis en selle depuis 1997 une nouvelle union de la Gauche, dite « Gauche plurielle ». Ainsi, quand il cesse d’amuser la galerie avec ses frasques et ses galipettes, Monsieur Delon profite de son audience et de la tribune que s’empresse de lui offrir Paris-Match pour haranguer ses fans et dénoncer la Gauche au pouvoir.
Ses mâles accents patriotiques ont-ils eu les effets escomptés ? Ils font en tout cas sourire. Car après sa première sortie de 1984, le patriote court s’installer en Suisse en 1985. Après la seconde de 1998, il obtient la nationalité suisse l’année suivante. Comme d’autres richissimes sportifs, chanteurs et acteurs, sans doute n’a-t-il pu résister aux charmes des lacs et montagnes helvétiques. On trouve meilleur modèle de patriote. Mais, on l’a vu avec Johnny Halliday, réfugié lui aussi en Suisse, le comble est que le crédit de ces stars ne paraît pas en souffrir auprès de leurs fans.
« L’information indifférente », sous ses airs inoffensifs, se prête ainsi à des campagnes d’influence de longue haleine. L’audience que recueille une star se travaille avec patience pour créer et entretenir entre elle et ses fans une relation d’identification par laquelle inculquer à leur insu une manière d’être avec ses vêtements par exemple ou une manière de penser avec ses postures. Le moment venu, la star peut carrément s’ériger en guide. Quand une élection peut dépendre d’un nombre infime de voix, on comprend que son intervention puisse être recherchée.
Paul Villach
Documents joints à cet article
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