5 questions autour de l’affaire Colonna
Le verdict dans le procès en appel d’Yvan Colonna devrait être prononcé vendredi prochain. A quelques jours de l’échéance, un point rapide sur l’essentiel du dossier.
Quelles charges pèsent au juste sur Yvan Colonna ?
Uniquement les mises en cause initiales des membres du commando qui a assassiné Claude Erignac le 6 février 1998, à Ajaccio. Les autres éléments du dossier (dont certains n’ont tout bonnement pas été pris en compte par une instruction menée exclusivement à charge) sont à décharge : l’analyse balistique qui conclut à un tireur de grande taille, les témoins oculaires qui ne reconnaissent pas Yvan Colonna, les écoutes téléphoniques qui n’indiquent rien de suspect, les rétractations des membres du commando, les contradictions dans leurs premières déclarations. C’est pourquoi la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), dans le rapport qu’elle a rendu après le procès de 2007, a dénoncé la faiblesse d’une accusation ayant conduit à une perpétuité.
Pourquoi ses "amis" l’auraient-ils désigné à tort ?
Pour minimiser leur rôle dans l’assassinat ; pour couvrir d’autres personnes ; parce que le nom d’Yvan Colonna leur aurait été "suggéré" par les enquêteurs. Il ne s’agit-là que d’hypothèses, mais leur simple formulation doit nous rappeler qu’il y a une place pour le doute. Dans d’autres affaires (Dominique Baudis, Patrick Dils...), des aveux circonstanciés ont conduit à accuser des individus finalement mis hors de cause. Lors de l’audience du 9 mars 2009, Pierre Alessandri a en outre lâché : « Effectivement, j’ai des reproches à faire à Yvan. Quand j’ai décidé de franchir le pas de la violence clandestine, j’ai espéré qu’il ferait partie de notre groupe. Ce que je lui reproche, c’est ça : d’avoir laissé Didier Maranelli et Martin Ottaviani monter au charbon alors que c’est lui qui aurait dû le faire, pour être cohérent avec son discours. » Aussi pourrions-nous imaginer le choix d’un bouc-émissaire (ou d’un leurre) qui s’expliquerait par un ressentiment : à l’encontre d’un "ami" qui partage les mêmes idées, et qui ne veut pas pour autant aller les défendre par l’action violente ou le meurtre. Depuis Dantès envoyé au château d’If par Morcerf et Danglars, on sait qu’avec certains "amis"... on n’a plus besoin d’ennemis. Combien de turpitudes humaines, trop humaines, font les grandes affaires qui marquent l’Histoire ?
Pourquoi la cavale ?
C’est l’un des arguments (sans valeur légale) qui revient souvent chez les commentateurs : on ne fuit pas la Justice lorsqu’on est innocent. S’ils lisaient le rapport de la FIDH de 1998 concernant les pratiques de la Division nationale anti-terroriste (DNAT), notamment en Corse, ils seraient probablement moins affirmatifs. Tous les abus révélés au grand jour à l’occasion du procès en appel se trouvent dénoncés depuis plus de dix ans dans les dizaines de pages de France : la porte ouverte à l’arbitraire : les instructions à charge, les pressions sur les témoins, les détentions "préventives" qui s’éternisent, les "femmes-otages" qu’on utilise pour faire avouer n’importe quoi en garde à vue, les multiples atteintes aux droits de la défense. Je m’étonne à cet égard du silence de la gauche, et plus particulièrement des mouvements altermondialistes ou d’extrême-gauche. Ces derniers, effectivement, sont toujours prêts à scander "Sarko=facho", à vilipender la guerre des Etats-Unis contre le "terrorisme" ou à s’émouvoir du sort des prisonniers de Guantanamo. Alors même que, toutes proportions gardées, les atteintes aux libertés individuelles et les dérives qui peuvent survenir au nom de la lutte contre le "terrorisme" existent en France depuis bien avant le 11 septembre 2001. Au lendemain du 6 février 1998, de nombreux insulaires, qui n’avaient rien à voir de près ou de loin avec l’affaire Erignac, sont passés dans les geôles de la DNAT ; certains ont fait des mois, voire des années de "préventive", avant d’être libérés. J’attends toujours que les bonnes âmes qui ont récemment appelé à une manifestation de solidarité avec la Guadeloupe daignent se pencher sur ce qui est en train de se passer à la cour d’assises spéciale de Paris.
Pourquoi l’Etat aurait-il intérêt à faire condamner un innocent ?
Parce que les institutions, pour assurer leur crédibilité, peinent à reconnaître leurs erreurs et ont besoin de sauver les apparences ; quitte à sacrifier un individu. Or, les enquêteurs de la DNAT, les magistrats de l’institution judiciaire ainsi que deux ministres de l’Intérieur (Jean-Pierre Chevènement puis Nicolas Sarkozy), au mépris de la présomption d’innocence, ont désigné Yvan Colonna comme étant l’assassin du préfet Erignac. Revenir en arrière équivaudrait pour eux à un camouflet. Pour l’institution médiatique également, qui a massivement relayé le postulat de la culpabilité. Condamner Yvan Colonna, qu’il soit coupable ou innocent, permettrait en outre à l’appareil d’Etat d’entériner l’affront du 6 février 1998 en affirmant qu’on ne défie pas impunément le pouvoir. Il s’agirait alors d’un rite symbolique et expiatoire.
Peut-on rapprocher cette affaire de l’affaire Dreyfus ?
Oui. Le spectre de la raison d’Etat n’est pas sans rappeler les mots de Maurras au sujet de Dreyfus : "Qu’importe qu’il soit coupable ou innocent ? L’intérêt de la Nation commande qu’il soit condamné !" L’affaire Dreyfus s’est par ailleurs déroulée sur fond d’antisémitisme. Or, lorsque Le Canard enchaîné titre Encore un procès bien corsé, ce n’est finalement pas très éloigné de quelque chose qui ressemblerait à Encore une histoire juive. Il y a un racisme anti-Corse, c’est-à-dire une manière d’attribuer à toute une population un ensemble de stéréotypes ou de travers. J’ai pu lire certains commentaires qui disaient en substance : "Si ce n’est pas lui [Yvan Colonna], de toute façon c’est un autre, ils [les Corses] n’ont qu’à se décider à parler." Comme si la Corse entière était collectivement coupable de l’assassinat du préfet Erignac. Comme si chaque insulaire était au courant (et complice, bien sûr) des agissements de tous les autres. Lorsqu’un crime a lieu à Paris, demande-t-on à chaque Parisien de se justifier et d’assumer l’acte du criminel ?
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