6 mai 2007, la démocratie de marché s’installe en France
Importée des USA le 6 mai 2007, la démocratie de marché s’est définitivement installée en France. Ses intellectuels et ses grands penseurs qui donnent des leçons de démocratie aux USA, à la Russie et à bien d’autres pays dans le monde ont disparu de la scène. On les entendra bientôt valider le fruit de la grande escroquerie par un très respectueux et convaincu "monsieur le président de la République". Leur silence me fait bien plus peur que les conséquences de la manipulation réussie. Des millions de personnes sans voix attendent que quelques grands esprits viennent les éclairer en joignant leurs analyses profondes aux frustrations aiguës qui les déchirent et qui risquent de les éloigner définitivement des urnes. Le pire est que les quelques rares qui s’expriment, comme atteints d’une soudaine maladie mentale électorale, commentent cette élection très particulière comme s’il ne s’y était rien passé de grave, comme si elle avait respecté tous les fondamentaux d’une véritable démocratie.
En 2005, les banlieues étaient en feu, on a dit aux jeunes qu’il fallait s’exprimer dans les urnes. Ils l’ont fait massivement, mais je crains que ce ne soit la dernière fois pour certains, car ils viennent de se rendre compte que ça ne sert à rien, que les jeux sont truqués, qu’ils se sont fait avoir et, voire pire, qu’ils ont nourri par leur forte participation la légitimité de ce à quoi ils voulaient que le pays échappe. On nous sert déjà de grands discours sur le suffrage universel qui aurait parlé, mais beaucoup de simples gens ont vu dans quelles conditions extrêmement défavorables Ségolène Royal a dû évoluer. La démocratie ne se traduit pas simplement par la possibilité de choisir le bulletin qu’on met dans l’urne, on doit pouvoir s’assurer qu’aucune puissance ne peut être mise en œuvre pour déformer le programme ou les qualités d’un candidat, hors, lancée aux USA en 2001 par les Bush, la démocratie de marché vient de faire son entrée en France de façon fracassante.
En 2002, Jospin est éliminé au premier de l’élection présidentielle et voilà que de grands analystes de l’échec des campagnes sortent du bois et nous abreuvent de théories fumeuses sur la mauvaise campagne qu’il aurait faite, sur l’échec de la politique qu’il aurait menée et qui n’était pas assez à gauche, etc. Jospin n’a échoué que pour une seule et unique raison : le nombre élevé de candidats de gauche, qui paradoxalement était dû au fait que son gouvernement avait si bien travaillé qu’absolument personne n’imaginait qu’il puisse être absent du second tour, voire même en sortir vaincu. Le discours après coup de pseudo-spécialistes des campagnes électorales est une véritable escroquerie intellectuelle qui n’a qu’un but, construire une démonstration complexe qui conduit au résultat final pour démontrer qu’ils ont de la compétence, un peu comme s’ils disaient : "Si Jospin était venu consulter nos subtiles intelligences, on lui aurait dit ce qui clochait dans sa campagne et ce qu’il devait faire pour éviter l’échec".
Cette fois-ci encore, les mêmes vont se pencher sur la campagne électorale de Ségolène Royal et ils vont se charger de brouiller les esprits et de noyer la seule véritable raison de son échec : une campagne de la droite savamment orchestrée avec l’aide des médias, des analystes et des sondages qui ont incrusté dans les cerveaux des électeurs le fait qu’elle était incompétente et qu’elle manquait de cohérence, les plus indulgents lui laissant une toute petite chance de démontrer qu’elle pouvait corriger ses graves lacunes. Alors qu’on criait à la diabolisation de Sarkozy, que des intellectuels volaient à son secours pour dire qu’on allait trop loin avec les "Sarko facho" et les "Tout sauf Sarko", personne ne semblait s’offusquer du fait que la campagne de ce dernier n’était portée que par un seul et obsédant thème : "Tout sauf la médiocrité de Ségo". Il n’y a rien de pire que le diable, alors les partisans du "diable doté d’intelligence", naturellement bien plus à plaindre, ont pu assener de "l’ange écervelé", sans qu’on ne puise les accuser de manier la plus terrifiante des diableries pour voler une élection capitale. Car il s’agit bien d’un véritable vol, un vol au grand jour, et donc avec la complicité de ceux qui se disent dotés de grandes intelligences, une complicité qui deviendra encore plus pesante au regard de l’Histoire s’ils font forte allégeance à une légitimité acquise d’une escroquerie réussie. Les dés étaient totalement pipés et personne dont la voix porte n’a réellement volé au secours d’une intelligence féminine noyée dans le plus sombre des obscurantismes masculins. Les intellectuels les plus engagés ont disparu de la scène et ont laissé démolir la femme. Un crime d’une violence extrême contre l’avenir de la femme s’est déroulé sous leurs yeux sans qu’ils ne bronchent. La pauvre femme s’est époumonée à essayer de prouver qu’elle avait fait des études, qu’elle avait été durant sept ans conseillère du président Mitterrand, qu’elle avait été quatre fois ministre, qu’elle avait été plusieurs fois réélue députée, qu’elle était magistrate, qu’elle était avocate, qu’elle était présidente de région, mais les jeux semblaient faits, il n’y avait rien à faire, ce n’était pas elle la victime, mais l’autre, il était traité de diable, le pire pour un homme, alors qu’elle n’était traitée que d’idiote, une presque nature pour une femme. Courageuse, elle a tenu, elle s’est battue, seule, pire que seule, car négativement soutenue par des mâles de son parti qui espéraient et construisaient son échec, elle a préparé son débat. Cela devait être le grand jour pour elle, elle allait démontrer à tous ces mâles et à leurs femelles suiveuses qu’il n’était plus nécessaire d’être un agile et musclé manipulateur de gourdin pour devenir le chef de la tribu. Voici venu le grand jour. La tigresse déploie ses mots, déstabilise fortement l’escroquerie, met le mâle à mal, il se fait tout petit, évite son regard, il est épuisé, assommé, il fuit le ring, abandonne trois précieuses minutes alors qu’elle est prête à en découdre toute la nuit. C’est elle la reine, c’est elle la force. Elle a semé un sérieux doute dans le camp du vainqueur annoncé. La nuit a dû être agitée, on a mobilisé les ressources médiatiques, financières et sondagières, on a préparé le terrain le jeudi 3 mai, ils se seraient trompés tous les deux sur le nucléaire, l’erreur de mot de l’une étant astucieusement mise sur le même pied que la grave erreur de chiffre de l’autre, ils seraient tous les deux rejetés par des associations de handicapés, cette journée se termine donc sur un match nul concocté pour préparer le coup de grâce du lendemain, et le vendredi 4 mai le verdict est tombe, violent, sans appel : ses prétentions insultantes pour les gènes mâles sont sévèrement et définitivement censurées par les sondages, "les carottes sont cuites".
L’assommoir comporte deux parties bien façonnées. On a d’abord sorti des sondages sur le vainqueur du débat, ils ont déterminé le candidat "qui aura été le plus convaincant". Etait-ce le but du jeu ? N’avait-on pas dit que ce n’était pas un débat de Premier ministre et qu’un tel débat devait dégager la stature présidentielle des candidats ? N’avait-on pas durant toute la semaine diffusé en boucle sur les chaînes de télévision les plus grands moments de débats du passé qui auraient fait basculer les élections ? Etait-ce des moments où les candidats avaient été convaincants ? N’avait-on pas toujours décrété comme vainqueur celui qui avait su déstabiliser l’adversaire, démontrant ainsi qu’il n’avait pas l’aplomb requis pour devenir chef de l’Etat ? Ne s’était-elle pas préparée pour cette bataille-là ? Ne l’avait-elle pas emporté sur le terrain où l’on lui avait fait croire que le duel se jugerait ? Les détails des sondages sur le débat ne reconnaissaient-ils pas tous qu’elle avait porté les coups les plus rudes à son adversaire lors des chocs essentiels ? La presse internationale n’avait-elle pas salué sa combativité et sa pugnacité ? Mais les manipulateurs avaient choisi de changer les règles du jeu, de mettre en avant un autre paramètre pour déterminer le vainqueur du débat. Les médias l’ont clamé à longueur de journée : "les Français pensent qu’il a été le plus convaincant". Quelle effroyable escroquerie, c’est du même ordre que la manipulation des urnes en Floride en 2001 pour faire gagner George Bush. Novateurs dans de nombreux domaines, les Américains ont démontré que même dans les plus grandes démocraties du monde tout pouvait s’acheter, même la présidence de la République, c’est du libéralisme politique, il y avait l’économie de marché, ils ont inventé l’élection de marché, ils ont définitivement imposé les lois du marché aux élections. La France s’est aligné sur cette évolution du grand frère d’outre-Atlantique et elle l’a doté comme elle sait le faire de nuances et d’intelligence.
Il y a donc eu cette manipulation des sondages sur le débat, mais certainement parce que le marché avait peur que cela ne suffise pas, il a fallu doter l’outil de démolition d’un second casse-urne portant sur le tableau des sondages sur les intentions de vote. Tous les instituts donnaient Sarkozy vainqueur avec un score autour de 53% avant le débat. Ce sera son résultat final. Où sont donc passé les 2% de bonds, gigantesques car acquis en deux jours, que les enquêtes de nombreux instituts lui prêtaient et dont on a matraqué les électeurs tout au long de la journée du vendredi 4 mai ? Je suis extrêmement étonné qu’aucun média n’en fasse état aujourd’hui, qu’un fait aussi important pour la validation de cette élection n’intéresse personne. Le faux terrible tremblement de campagne de cette journée a été passé par profits et pertes même par les socialistes. Où est donc passée la rigueur intransigeante des démocrates si prompts à dénoncer la moindre irrégularité dans les élections d’autres pays ? La France ne la mérite-t-elle pas ou lui paraît-elle trop civilisée pour qu’elle salisse son honneur de ses soupçons ? Est-elle fatiguée ? Est-elle découragée ? A-t-elle seulement un jour existé ? Etait-ce un leurre ? N’y a-t-il personne pour accorder de la profondeur aux évènements de cette journée du 4 mai, ce vendredi noir de la démocratie française ? Comment est-il possible que personne ne constate que ces fausses progressions spectaculaires et la mise en avant d’une des questions posées pour les sondages sur le débat ont été décisifs, qu’ils ont certainement fixé le choix de millions d’indécis sur Sarkozy ? Quand on hésite entre deux candidats, et que l’on vous annonce que par un phénomène étrange non identifié d’après débat, la France penche massivement dans une direction, vous vous laissez emporter par la vague. Elle l’a compris ce jour-là Ségolène, on l’a vue se battre toute la journée avec son courage habituel et sans l’aide d’aucun média, d’aucun commentateur (on peut comprendre que les deux coups portés désignant à coup sûr le vainqueur, des courageux capables de se placer sur son chemin se fassent rares), d’aucun ténor socialiste pour essayer de déjouer la machination diabolique. Je ne dis pas que Ségolène Royal aurait gagné, mais il est clair qu’on lui a volé toutes ses chances par un tour de passe-passe machiavélique, inédit et dangereux, qui selon moi constitue un tournant néfaste pour la démocratie française.
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