8-9 Mai 1945 : commémoration, controverses et polémiques

L'an dernier, avait été projetée pour mai 2020, la venue à Moscou du président Macron, pour la célébration de la victoire sur le nazisme, au côté du président Poutine. Coronavirus oblige, cette commémoration qui devait être mémorable, n'aura pas lieu dans la dimension arrêtée.
La célébration de la fin de la seconde guerre mondiale et la victoire des Alliés sur l'hitlérisme, le nazisme et le fascisme, apportent chaque année dans le monde des historiens, son lot d'ouvrages commémoratifs,de controverses et de polémiques. Malgré les 75 ans qui se sont écoulés depuis la fin du conflit meurtrier et les milliers d'études sur cette période de guerre calamiteuse, des tensions historiques subsistent encore.
La preuve, en cette année 2020, avec la contestation ouverte sur la personnalité politique de Garegin Nzdeh.
L'assemblée générale des Nations Unies en 2016 a insisté, dans une résolution essentielle, sur la lutte contre la résurgence du nazisme, le néo-nazisme, le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance. 126 états ont voté cette résolution. Or Garegin Nzdeh se trouve honoré en Arménie comme un héros national. En 2004 le parti au pouvoir fait publier "Garegin Nzdeh et ses enseignements". En 2016 à Erevan capitale de l'Arménie, près du siège du gouvernement, un monument de 6m de haut, érigé dans le parc de la rue Hanrapetutyan dans le quartier Kentron, est inauguré par le chef de l'état, en présence de l'arrière petit-fils de Nzdeh. Ce qui provoque les plus fortes critiques de l'opposition. Celle-ci fustige cette "insulte à la mémoire des victimes du nazisme et des combattants anti-fascistes".
Qui est Garegin Nzdeh ? D'abord un philosophe et homme politique révolutionnaire et activiste qui s'est illustré dans les luttes politiques et armées arméniennes de la première moitié du 20 ème siècle, contre les turcs et les bolcheviks. Son idéologie nationaliste le pousse à former un mouvement de jeunesse et à charpenter sa pensée du "Tseghakronisme" qui part de l'idée d'une "essence biologique et spirituelle de la nation arménienne regroupée sur le territoire d'une grande Arménie". Et pour parvenir à ses fins il indique : "Nous devons apprendre à agir avec Hitler".
Pendant la seconde guerre mondiale il crée une force armée arménienne qui devient en 1942 la légion arménienne de la Wehrmacht,avec des instructeurs allemands, recrute des prisonniers de guerre soviétiques d'origine arménienne et dirige des groupes de sabotages dans le nord-Caucase, sur le front ouest de l'Union Soviétique, en Crimée. On retrouve même cette légion engagée au sud de la France contre les juifs, les résistants français et les Alliés. De nombreux arméniens qui rejettent ces idées et l'alignement sur Berlin, sont tués dans des combats meurtriers.
Après son arrestation par les soviétiques, il reconnait toutes ces actions. Il est condamné à 25 ans de prison pour crimes de guerre et incarcéré dans la prison de Vladimir où il mourra en 1955, à l'äge de 69 ans. Des officiers du renseignement allemand témoignent de sa collaboration avec l'armée allemande, pour obtenir la reconnaissance d'une nation arménienne. Le ministre de l'URSS Sergueï Kruglov, en novembre 1948, parle d'intelligence militaire et économique avec le III ème Reich, de vols de biens des victimes de l'Holocauste. Les archives soviétiques font apparaitre une véritable collusion avec l'Allemagne.
Dans la Russie post-soviétique, une plaque commémorative sur Garegin Nzdeh a été démontée dans la ville de Armavir près de Krasnodar après de vives critiques sur son installation et après avoir été dans un premier temps recouverte de peinture.
En Arménie le premier ministre Nikol Pashinyan au pouvoir depuis 2 ans va devoir se pencher sur ce "héros national" plus qu'encombrant. Alors qu'il a déjà à résoudre la grave crise avec le pays voisin, l'Azerbaïdjan, qui dénonce l'occupation illégale d'une partie importante de son territoire, en violation des résolutions de l'ONU et des grandes organisations internationales comme la Cour européenne des droits de l'homme et le Parlement européen, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. La république du Haut Karabagh soutenue par l'Arménie n'étant d'ailleurs reconnue par aucun état dans le monde. Les azerbaïdjanais se font fort de rappeler que plus de 600 000 hommes et femmes d'Azerbaïdjan ont participé aux combats contre le nazisme et que plus de 300 000 en sont morts.
Des organisations juives internationales se sont émues de la glorification de Nzdeh en Arménie mais aussi de son aura dans d'autres pays. Elles craignent une résurgence forte de l'antisémitisme. Elles ont déploré cette année, lors de la commémoration de la libération du camp d'extermination d'Auschwitz du 27 janvier 1945, l'importance donnée à Garegin Nzdeh et surtout l'oubli de son action aux côtés des nazis responsables de l'Holocauste.
En revanche, les initiatives du gouvernement hongrois sont saluées comme positives, lorsque celui-ci propose d'ouvrir à Budapest,en 2021, un musée sur la Shoah. En 2014 sur la place de la liberté à Budapest,un mémorial des victimes de l'invasion allemande, avait déjà rendu hommage à l'ensemble des hongrois victimes des nazis dont la population juive du pays. Sur ce mémorial un aigle allemand s'attaque à un ange Gabriel hongrois.
Alors qu'un musée juif édifié dans l'ancien quartier juif de la ville existait déjà, avec un mémorial de l'Holocauste, un bel espace d'exposition et un centre de recherches, le gouvernement hongrois a donc affecté des crédits pour la construction d'un nouveau musée. La créatrice de la "maison de la terreur", mémorial mêlant les exactions des Croix fléchées mouvement hongrois pro-nazi et des communistes de l'ère soviétique, a été dans un premier temps chargée de la muséographie de ce nouveau musée. Cette "maison des Destins" doit mêler les témoignages des victimes de l'occupation nazie et les actes courageux des hongrois (des Justes) en direction de leurs concitoyens juifs.
Mais cette volonté, du premier ministre Viktor Orban, de célébrer l'unité nationale hongroise, juifs et non juifs confondus, se heurte à une opposition qui considère qu'on oublie le rôle de l'amiral Horthy régent du royaume de Hongrie de 1920 à 1944. Horthy proche de l'Italie fasciste, de l'Allemagne nazie, cherche, dans un premier temps, par tous les moyens, de regrouper tous les hongrois dans un même pays, en retrouvant les territoires perdus à la suite de la signature du traité de Trianon en 1920. Jusqu'à s'associer à l'attaque de l'URSS, en 1941. Dans un deuxième temps, il essaiera de revenir à la neutralité et de négocier avec les puissances alliées. Hitler envahit la Hongrie début 1944. Joseph Goebbels s'emportera ouvertement contre le philosémitisme de Horthy. L'armée allemande occupante se livre à d'innombrables exactions avec la collaboration du parti nazi hongrois qu'elle a porté au pouvoir. C'est la déportation de la population juive, notamment vers Auschwitz ( il y aura 400 000 morts). Horthy renversé, enlevé par les SS, est interné en Bavière. Libéré par les Alliés en 1945, entendu comme témoin au procès de Nuremberg, il finira sa vie au Portugal.
Quelles seront les controverses de la prochaine commémoration 2021 de la victoire des Alliés contre le nazisme ? Le fait même que les chercheurs, les historiens continuent leurs travaux érudits ou de vulgarisation, est un formidable atout pour que les jeunes générations n'oublient pas les abominations perpétrées, pour qu'elles ne se renouvellent jamais. Il y a seulement 75 ans, c'était la fin de l'abominable période, de ce régime dévoyé qu'était le III ème Reich, de cette innommable guerre qui a fait 50 millions de morts, qui a vu l'extermination de millions de juifs, la Shoah unique dans l'histoire de l'humanité, le système concentrationnaire poussé à l'extrême de l'insupportable.
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