80e anniversaire du débarquement : l’Opération Gambit
L'opération Overlord fut précédée de l'opération Gambit, la reconnaissance des plages et de leur balisage, tandis que l'Opération Neptune portait sur l'acheminement des forces par voie navale. Au mois d'août 1943 Churchill et Roosevelt fixèrent la date et le lieu du débarquement au 5 juin 1944 sur la côte normande qui s'étend de la baie de Seine à la pointe du Cotentin, portion moins défendue que celles du Nord et qui offre des plages courtes sablonneuses face au sud de l'Angleterre. L’objectif pour les troupes alliées est d’installer une tête de pont, de s’emparer du port en eau profonde de Cherbourg afin d’intensifier le débarquement et de renforcer les troupes et le ravitaillement. La classification Bigot, supérieure au Top Secret, s'applique à tous les documents sur lesquels figure la date ou le lieu du débarquement.
Les conditions optimales requièrent un début de nuit sans lune, une hauteur de marée convenable, et une météo favorable. Un « coup de mer » suffit pour modifier le profil d'une plage et compromettre le succès d'une opération amphibie. Les inconvénients sont : champs de mines - obstacles divers et variés - portion de côte placée en zone interdite ce qui limite l'action de renseignement de la résistance. Les missions d'observation et renseignement sont confiées à la Royal Air Force, à la Royal Navy, aux hommes du Combined Operations Pilotage Parties, une unité créée en 1942 qui a participé aux opérations Torch novembre 1942 (débarquement en Afrique du Nord) et Husky 10 juillet 1943 (débarquement en Sicile).
L'essentiel d'une mission reconnaissance des sites retenus consiste à y prélever des échantillons de sol afin de s'assurer de la nature du sol et de sa cohésion sous les chenilles des engins blindés, à relever le profil de la plage (topographique), localiser les obstacles émergés et submergés, repérer les voies d'accès et l'emplacement des défenses adverses. La section du Smal-Scale Raiding Force de la Royal Navy qui accomplit des missions spéciales (destruction de bunkers, capture de prisonniers, reconnaissance, renseignement) sur les côtes bretonnes, normandes et qui participe à la formation des pilotes des péniches de débarquement est dissoute fin avril 1943. Ces opérations dépendantes de l'Intelligence Service risquent d'alerter l'ennemi.
Les Allemands ont installé sur les plages toute une série d'obstacles échelonnés en profondeur visant à en interdire l'accès par la mer, principalement : des éléments Cointet construits avec des poutres d'acier et d'un poids d'une tonne (plusieurs charges sont nécessaires pour la détruire correctement, affaissement sur elle-même afin de ne pas représenter un danger pour la navigation) - rampes constituées de troncs d'arbre inclinés pointant vers le large soutenu par un bipied à demi-longueur et un monopole à l'extrémité, le tronc est surmonté d'une lame en acier pour éventrer les embarcations - des pieux inclinés à une trentaine de degrés coiffés d'une Tellermine - hérissons tchèques, poutres métalliques croisées pour assurer la stabilité (tripode) - une bande minée - fossés et/ou murs antichars - des rouleaux de fil barbelé. Les Allemands pensaient que les chalands de débarquement viendraient s'échouer à marée basse et que le flot montant viendrait submerger les obstacles retenant prisonniers le matériel et les hommes. La seconde vague d'assaut qui arriverait à marée haute se retrouverait bloquée.
La première reconnaissance des plages Gold, Juno et Sword fin décembre 1943 engage trois Landings Craft Assault, chaland de débarquement d'une dizaine tonnes. Sa silhouette basse réduit le risque d'une détection par les radars et son faible tirant d’eau (50 cm) permet aux hommes de débarquer avec de l'eau à mi-cuisses. Si la faible puissance des deux moteurs (V8 Ford de 65 ch) en limite la vitesse à 8 nœuds, ils sont relativement silencieux. D'une longueur de 12 mètres pour 3 mètres de large, les LCA équipés d'un Asdic (sondeur à ultra-sons) et d'un radiogoniomètre sont remorqués chacun par un Motor Gun Boat (vedette rapide). Le convoi fait route vers le cap d'Antifer très à l'ouest de leur objectif dans l'espoir de déjouer une éventuelle surveillance. La limite de la couverture des radars allemands atteinte, les amarres sont larguées. La pluie et le brouillard est cause de désagréments : temps de navigation plus long, difficulté à identifier les amers, position imprécise. Il est 22 h quand l'équipage aperçoit le feu de la pointe de Ver, puis celui d'Ouistreham ! Cette aubaine ne peut être due qu'à la présence d'un navire allemand dans les parages (black out). Un des LCA mouille l'ancre tandis que les deux autres poursuivent leur route en sondant le fond à l'aide d'une gaffe car la faible profondeur entrave le bon fonctionnement du sondeur.
Le LCA parvenu à 200 mètres de la laisse de mer avec une profondeur inférieure à 3 mètres, les deux nageurs se mettent à l'eau emportant avec eux : piquets, dévidoir, ligne de sonde, compas, « ardoise » et crayon gras (avant c'était stylet pour écrire sur une feuille de plomb) pour relever le profil de la plage, truelle, tarière, cartouchière, pistolet, rations, torche avec filtres colorés, et une montre. Les nageurs mis à l'eau, le pilote du LCA s'éloigne à 500 mètres de la côte en battant arrière de façon à garder constamment la proue de l'embarcation dirigée vers la côte et faciliter la récupération des nageurs-palmeurs.
Les nageurs, après avoir vérifié leur position, fixent leur ligne au fond et sortent de l'eau en dévidant ce fil d'Ariane derrière eux et sondant la grève à la main pour y localiser toute mine enfouie (le détecteur métaux étanche n'existe pas). Les mesures (cap, inclinaison, longueur et hauteur) sont reportées sur l'« ardoise », et les nageurs prélèvent des échantillons de sol à l'aide de la tarière selon un « damier » défini. Une quinte de toux après avoir « bu la tasse » peut compromettre la mission. Chaque échantillon de sol est placé dans un sachet référencé et va rejoindre une poche de la cartouchière. Cette opération accomplie, en veillant à ne laisser aucun indice de leur passage, les nageurs palment vers le large avant de se signaler au LCA en utilisant des signaux colorés, soit une lumière infra-rouge. L'autre LCA a joué de malchance. Après avoir dérivé sur plusieurs milles, il a atteint le Point de Non Retour, faute de carburant, et ne parvient pas à établir le contact radio ni par IR. Le timonier tire une fusée rouge, deux fusées, une verte et une blanche sur bâbord crèvent le ciel. Les LCA peuvent récupérer les nageurs et rejoindre les chalutiers qui attendent à 35 milles de la côte.
Au mois de janvier 1944 les LCA sont délaissés au profit de sous-marins X-craft à bord duquel deux officiers et trois nageurs partagent quelques mètres cube d'espace libre. Ce sous-marin de poche Classe « X » craft de 27 tonnes en surface, 15.6 mètres de long pour 1,74 m de large et de hauteur, vitesse en surface 6,5 nœuds et 5,5 en plongée, autonomie en surface de 1300 miles et 80 en plongée, va permettre d'assurer : une présence sur zone de plusieurs jours - l'observation périscopique - naviguation par faible fond - se faufiler au travers des obstacles - s’approcher de la côte pour la mise à l'eau des nageurs et les récupérer - rester tapi sur le fond jusqu'à la nuit suivante.
A la nuit tombée les sous-marins remorqués par un chalutier quittent leur base de fort Blockhouse, à l'entrée ouest de Portsmouth, escortés par deux vedettes. A 40 milles de la côte française, les amarres sont larguées et les pilotes mettent cap au sud. Les sous-marins nains n'ayant pas d'abri ponté, l'homme de quart est relié au manche à air par une ceinture en cuir et scrute les flots à la recherche de mines marines. La position atteinte, l' « X » Craft se pose sur le fond et attend la nuit. L'obscurité tombée, les nageurs vêtus d'une combinaison entoilée « étanche » renforcée aux coudes et aux genoux, et porteur d'une Mae West (brassière) se hissent sur le pont et se laissent glisser furtivement dans l'eau. Les nageurs ne sont reliés par aucune sangle (menotte), ce qui sera source de quelques problèmes. Deux points de RDV ont été convenus. En cas de découverte possible, ils doivent se débarrasser de leur équipement, se déplacer sur les rochers, et prendre contact avec la Résistance. Chaque nageur possède des faux papiers qui tendent à le faire passer pour un marin de commerce d'un pays neutre dont le navire a sombré après avoir heurté une mine.
L'opération Gambit est lancée le 2 juin 1944. Les sous-marins X-20 et X-23 quittent Portsmouth à 21 h 30 remorqués par les chalutiers, Darthema et Sapper escortés par des MGB. Le 4 juin 1944 à midi, les sous-marins sont à 20 miles des côtes françaises et distants l'un de l'autre d'une vingtaine de miles. Les hommes ont avalé un comprimé d'hyocine contre le mal de mer. Vers 23 heures ils franchissent un champ de mines qui sera « nettoyé » par les dragueurs de mines précédant le corps de bataille. Arrivés sur zone, les pilotes font surface pour observer la côte. Les équipages ont pour mission le balisage des chenaux qui seront utilisés par la Force amphibie le 5 juin 1944. Un message de la BBC les informe que le débarquement est reporté de 24 heures ! L’espace exigu des sous-marins (environ 6 m²) et les odeurs accentuent le confinement et la fatigue, les équipages sont sous Benzédrine.
Le mardi 6 juin il est à 4 heures 45 et le jour commence à se lever quand les opérateurs-radios des sous-marins captent le mot-code « Padfoot ». Les équipages doivent installer une série de mâts télescopiques de 5,5 mètres surmontés d'une lampe visible à une huitaine de kilomètres et d'un réflecteur radar délimitant les secteurs que les chalands devront emprunter. Un sous-marinier frappe sur une tige d'acier et les sons captés par les hydrophones des bâtiments distants d'une dizaine de miles. Les équipages vont observer le passage de la plus grande armada aéronavale et amphibie. Les navires se détachent sur la ligne d’horizon quand les canons des navires se font entendre suivis du vrombissement des vagues de bombardiers. En fin d’après-midi les équipages des deux sous-marins de poche, leur mission terminée, se faufilent au milieu de l'armada pour rejoindre leur chalutier après avoirpassé quatre-vingt-seize heures dans en espace clos.
Les premiers à fouler les plages pour détruire les lignes de défense en grande partie submergées et invisibles aux chalands, sont les frogmen et les sapeurs chargés d'ouvrir des brèches et détruire les obstacles. Les premiers Landing Crafts Infantry transportent une trentaine de fantassins et cinq hommes du génie ; suivis des Landing Crafts Tanks qui mettent à terre des blindés (funnies) capables d'écraser les obstacles, chars : Crab (un fléau fait exploser les mines) - Churchill (lance-mines pour détruire obstacle à bout-portant) - Crocodile (lance-flammes portée 130 m) - Duplexe Drive (amphibie) - bobine (déroule un « tapis » pour éviter aux véhicules de s'ensabler) ; les Landing Crafts Gun et Landing Crafts Personnal Vehiculs.
Les généraux américains se sont refusés à planifier des missions de reconnaissance et à baliser Omaha et Utha beaches de crainte de voir l'opération compromise. Les chalands de la force Omaha Beach vont s'échouer sur les plages dog green et fox green, emplacements les plus fortifiés... Les frogmen et sapeurs vont détruire les trois rangées de défense en 45 minutes au prix de 51 % de pertes ! Omaha Beach sera surnommé Bloody Omaha. Une correction, une précision, une remarque ?
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