88-98 : vingt ans après, les problèmes de l’Algérie attendent d’être résolus
« Nous n’avons pas reçu cette planète en héritage, nous l’empruntons seulement à nos petits-enfants »,
Parallèlement et pendant les années 1990-2000, la balkanisation du monde se poursuit. Après l’Union soviétique qui perdit toutes ses Républiques, la Yougoslavie fut le second domino à tomber. Le problème palestinien connut plusieurs redditions des Arabes en rase campagne, ce fut les accords de Madrid, ceux d’Oslo. Les potentats arabes plus divisés que jamais cherchèrent protection auprès des Etats-Unis maintenant que le « monde était américain ». L’Occident se cherchait un nouvel ennemi maintenant que la guerre froide était terminée, le capitalisme triomphant et le complexe militaro-industriel avaient besoin d’entretenir la tension mondiale. L’Islam, le tiers exclus de la révélation abrahamique, fut le coupable idéal. On donna du service à tous ceux qui ont combattu l’Empire soviétique au nom de l’islam aidé en cela par la CIA. Ben Laden reprit du service et on aboutit après bien des années au 11-Septembre 2001. La doctrine Monroe et le consensus de Washington formatèrent le monde et gare à celui qui avait des velléités de s’en affranchir.
Pendant ce temps et malgré toutes les manœuvres, un pays a réussi le tour de force de marier l’efficacité du capitalisme avec la dimension sociale. La Chine qui a traversé ces deux décades à la vitesse d’une fusée en étant pratiquement première partout, notamment dans les réserves de change où ses 1 800 milliards de dollars sont d’un grand secours pour l’économie américaine.
Que se passe-t-il après. Il faut dire que le début des années 80 a correspondu avec l’euphorie d’un baril à 40 $ et un dollar à 10 francs. L’Algérien découvrait le PAP (Programme anti-pénurie), ce fut le début de la bazarisation du pays, à coup de dollars l’Algérien découvrait - sans effort, sans sueur, le fromage emmental, la machine à laver, le hors-bord - même pour ceux du sud, au nom de l’équilibre régional… C’était aussi l’époque de la suppression de l’autorisation de sortie avec possibilité de changer 5 000 francs !
A partir de 1984, la consommation mondiale connaissait une pause, notamment à cause du prix élevé, du développement des énergies renouvelables, mais aussi et surtout de l’irruption sur le marché pétrolier de nouveaux producteurs hors Opep. Ce fut le cas notamment de la Norvège et de la Grande-Bretagne. L’Opep ou plutôt l’Arabie saoudite voulant protéger sa part de marché du fait de la diminution de la part de l’Opep, qui est passée de 30 à 15 millions de barils/jour, a cru bon d’inonder le marché. Résultat des courses, le baril tombe à moins de 10 dollars en juillet 1986. Ce qu’on appela le contrechoc pétrolier. Du même coup, des petits pays furent ruinés. Les recettes de l’Algérie ne dépassèrent pas les 4, 5 milliards de dollars. L’Algérie s’endetta lourdement pour nourrir la population. Les Algériens se réveillèrent brutalement et découvrirent que le mirage était terminé, la révolte du pain fut certainement un facteur déclenchant qui a donné lieu à l’éruption sociale et ouvert la porte à toutes les récupérations de la douleur des jeunes. A la veille de 88, dans un de ses discours, le chef de l’Etat avait assuré la nation en disant que nous n’étions pas concernés par les convulsions du monde. Mal lui en a pris. Ce fut octobre 88 qui attend toujours son autopsie sur les tenants et aboutissants de ce début de tragédie qui a fait entrer l’Algérie dans la spirale de la violence. On cite 500 morts. Pourquoi sont-ils morts ? Bien que son intérêt est beaucoup plus historique, la question reste toujours posée.
Où en sommes nous vingt ans après ? A défaut de lister tout ce qui ne va pas et qui pourrait aller mieux, écoutons ce qu’écrit dans un article pertinent Khaled R. à propos de la rémunération de nos chers « élus ». Interviewant un responsable du CNES, il écrit : « Pour une catégorie privilégiée, la rémunération ne tient pas compte du résultat, voire de l’efficacité. En plein mois de Ramadhan, l’État a décidé d’une augmentation des salaires des députés de 300 %. Cette hausse a créé un malaise au sein de la masse des fonctionnaires. Le membre de l’APN ou du Sénat touche désormais un salaire de 30 millions de centimes, sans compter les primes et autres avantages, contre 13 millions de centimes auparavant, avec effet rétroactif à partir de janvier. Il recevra donc en sus un pactole de 240 millions de centimes. La décision crée ainsi de grandes disparités dans le système de rémunérations. “Cette augmentation des députés n’a aucun sens. On verse de très hauts salaires à des députés qui se tournent les pouces. Pourquoi ces députés n’ont pas demandé par exemple un débat sur la politique des salaires en Algérie... En somme, le système des salaires en Algérie est lié à la rente. On ne demande en contrepartie du versement de hauts salaires aucune contrepartie en termes de rendement, de résultat ou de performance. Tant que le baril de pétrole dépasse les 80 dollars, ces salaires de la rente ou de la honte menacent, en outre, la cohésion sociale et démobilisent les travailleurs. (1)
Certes nous avons traversé plusieurs décennies : "la décennie noire", "la décennie rouge " voire aussi "les décennies blanches" en ce sens que nous n’avons rien créé de pérenne. La population de 1988 n’est pas celle de 2008 qui à bien des égards est toujours aussi fragmentée et en errance. A quand "la décennie verte" de l’espoir ? Certes, il ne faut pas nier en bloc des réalisations qui malheureusement n’ont pas associé des Algériens et des Algériennes à qui on distribue une rente sans qu’il y ait une contrepartie tangible. Il est vrai que l’on ne peut pas mettre sur le même pied l’ouvrier d’El Hadjar qui sue sang et eau et le député gros et gras car bien nourri. Il est vrai que l’on ne peut pas mettre sur le même plan l’enseignant qui fait son djihad au quotidien pour des clopinettes et le trabendiste du conteneur qui gagne en une fois le salaire d’un enseignant qui doit se réincarner plusieurs fois comme Highlander pour y arriver.
Que faisons-nous de notre seule source de devises ? Selon les analystes de la banque Merrill Lynch, en cas de forte récession mondiale, le baril du brut de pétrole pourrait tomber à 50 dollars. Pour la banque américaine, « Le déclin de la demande de pétrole aux Etats-Unis dépasse nos attentes, la demande européenne recule également rapidement ». Le cours du brut léger américain s’établissait hier autour des 98 dollars à New York et le baril de brent de la mer du Nord autour est sous la barre des 90 dollars. Que fait l’Opep à laquelle nous avons lié notre sort ? Rien, tétanisée, elle ne bouge pas, nous risquons à la fois de perdre sur les prix et les volumes. Depuis le 11 juillet, le baril a perdu 58 dollars, soit 40 % de sa valeur et nous continuons à produire 1,5 million de barils par jour qui nous donnent une autonomie d’une génération.
C’est tout ceci qui fait mal. Ne peut-on pas mettre à profit toute cette expérience, toute cette douleur accumulée pour repartir du bon pied. L’Algérie appartient à celles et ceux qui croient en elle. Où en sommes-nous ? Maintenant à la veille d’échéance électorale ? Nous n’avons pas tiré les leçons de 88 nous avons vingt fois plus de ressources qu’en 88 et pourtant nous sommes toujours en panne quand les partis politiques ne réagissent pas dans le coulage de l’école qui ne disent rien du scandale de la rapine des députés, qui voit l’économie de bazar s’installer et les Algériens au chômage, c’est qu’il a quelque chose de détraqué dans la mécanique Algérie.
Comment vingt ans après conjurer ces signes indiens qui font que l’on continue à errer. Seuls le consensus, le dialogue, la parole désarmée, l’intérêt supérieur du pays permettront de réconcilier les Algériens et mettre fin à la guerre sourde de positions entre deux visions pour l’Algérie, celle d’une Algérie satellite d’une nation arabe qui n’existe pas et celle nostalgique de fafa, d’un art de vivre type quartier latin. Ces deux visions tentatrices n’ont évidemment aucune idée de ce que pourrait être la vie selon la mentalité algérienne. Qu’allons-nous laisser aux générations suivantes. Mutatis mutandis, la boutade de Saint-Exupéry s’applique sans conteste à notre frénésie de gaspillage d’une ressource qui ne nous appartient pas. A nous de nous organiser pour donner de l’espoir à cette jeunesse qui a perdu ses illusions. Pour cela, seul le parler vrai, le patriotisme, la fidélité à des valeurs nous permettront enfin de bâtir une Algérie qui sortira de la malédiction de la rente pour se mettre au travail.
(1)1. Khaled R. Après l’augmentation des rémunérations des parlementaires. Quels salaires pour les hauts cadres algériens ? Liberté 29 septembre 2008.
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