A Bobigny : camping imposé pour une carte de séjour
Plutôt que de décrire par moi même l’immense sentiment de honte qui remplit mon âme et mon coeur d’être humain : je viens de vivre l’horreur, en faisant la queue avec ma compagne devant la Préfecture de Bobigny pour renouveler son titre de séjour. J’ai donc choisi les mots et les maux des autres au sujet de ce qui se passe à la Préfecture de Bobigny sans que personne n’en parle et /ou le passe sous silence dans une indifférence assourdissante :
Selon le sociologue Alexis Spire*, cette contrebande illustre les mauvaises conditions dans lesquelles les étrangers sont reçus par l’administration française : « cette difficulté d’accès caractérise en premier lieu les administrations chargées de l’immigration. Elle matérialise la relation de domination bureaucratique qui s’instaure par la suite, assignant l’étranger à une position de sujet déférent ».
De son côté, la préfecture affirme qu’entre 2006 et 2008, la longueur des files d’attentes a été divisée par deux. Elle ajoute avoir obtenu un crédit de 543.000 euros pour l’amélioration de l’accueil et la réduction des délais d’examen des dossiers. Mais là encore, les étrangers devront attendre : les travaux prévus pour « fin 2008-début 2009 », ont été reportés « courant 2009 ».
Par Najib
*Auteur d’Accueillir ou reconduire : enquête sur les guichets de l’immigration, Editions Raison d’agir, 2008.
Chaque nuit, la semaine, ils sont des centaines à camper devant la préfecture de Bobigny (Seine-Saint-Denis), couchés dans une couverture, assis sur un tabouret ou debout contre un mur, dans l’espoir d’être reçus le matin, à partir de 08H30, au service des étrangers.
Selon la préfecture, chaque matin, un millier d’étrangers se pressent pour obtenir des informations, demander une carte de séjour, retirer un document de voyage. La plupart d’entre eux, sans convocation, convoite l’un des 500 tickets synonymes de rendez-vous délivrés chaque jour.
Willy, un Congolais de 42 ans dont dix passés en France, est arrivé le premier, sandwich en main, vers 22 heures. Devant lui, onze heures d’attente pour obtenir le précieux ticket et demander une carte de séjour pour sa sœur. "Je viens souvent ici. Une fois j’y ai passé la nuit en plein hiver. J’étais couvert de neige et tout ça pour quoi ? Pour déclarer un changement d’adresse", dit-il avec un bagout détonant. "Que le préfet vienne ici passer la nuit avec sa femme, il comprendra vite", le coupe Hacen, venu pour une carte de séjour.
Soniya, veuve indienne de 32 ans et mère de trois enfants, s’est installée juste derrière eux vers minuit. Par terre, son fils aîné de 9 ans dort dans des couvertures. Pour son père sans-papiers, Soniya est déjà venue la veille, à six heures du matin. Trop tard pour faire partie des 500 élus.
"Je suis venue avec mon garçon parce que j’ai peur des bagarres. Comme ça les gens me respectent, ils ne pensent pas que je suis une mademoiselle" explique-t-elle, souriante.
Selon la préfecture, 300.000 euros de travaux doivent être réalisés en 2006 pour améliorer l’accueil. Après la sous-préfecture du Raincy, celle de Saint-Denis doit bientôt accueillir les demandes d’étrangers.
A 01h30, une trentaine de personnes patientent dont un groupe d’Indiens dont le radio cassette inonde le parvis de musiques orientales. Un homme se balade avec un thermos argenté pour leur vendre des cafés à un euro.
Patrick, un Haïtien de 40 ans, fait la queue pour la troisième fois cette semaine. "Ils font tout pour nous décourager, pour éviter un afflux d’étrangers en France", déplore-t-il devant un panneau lumineux qui précise : "la direction des étrangers est heureuse de vous accueillir".
A partir de 06H00, les premiers métros déversent sur le parvis de la préfecture des dizaines d’étrangers qui nourrissent une file d’attente longue d’une centaine de mètres.
Parmi eux, Kader, 44 ans, Algérien né en France. Ajusteur, il a pris un jour de congé pour renouveler sa carte de résident. "A Bobigny, c’est déjà l’immigration choisie, seuls les plus courageux auront finalement des papiers", commente-t-il, amer.
A 08H00, les files d’attente s’étendent sur 150 mètres jusqu’au Mac Donald, de l’autre côté du parvis. Devant l’entrée de la préfecture, les esprits s’échauffent. Il n’y a ni policiers ni vigiles pour organiser l’attente et des bagarres éclatent quand des petits malins tentent de couper la queue.
Quand à 08H45 les portes s’ouvrent, les premiers s’engouffrent dans la préfecture pour en ressortir immédiatement avec leur ticket victorieux. Souvent, à en croire des habitués, des jeunes qui ont fait la queue toute la nuit revendent leurs tickets, jusqu’à 200 euros, à ceux qui n’ont pu entrer.
A 09H40 un agent de la préfecture sonne la fin des hostilités : "ça y est c’est fini, revenez demain matin". Tous les tickets ont été distribués. Eberlués, des centaines d’étrangers, qui n’ont pu rentrer, quittent doucement le parvis de Bobigny
http://www.labanlieuesexprime.org/article.php3?id_article=696
Pour voir la France, l’Hebdo s’installe en banlieue. A Bondy plus précisément, où il a ouvert un micro bureau dans lequel se relaient ses journalistes. L’expérience va durer le temps qu’il faudra pour comprendre et raconter les maux français, les pieds dans les cités plutôt que le derrière dans les cafés du quartier latin.
Je suis retourné ce matin à la préfecture de Bobigny. Je vous avais raconté hier cette foule résignée qui fait la queue, chaque jour - absolument chaque jour ouvrable, tout au long de l’année - dès les petites heures de l’aube, pour accéder aux guichets de la Direction des étrangers. Ce matin, je suis arrivé plus tard, vers 9h, pour voir comment cela se passe à l’intérieur.
Cela valait la peine. Il y a d’abord ce joli panneau lumineux qui déroule en boucle le message suivant : "
Au premier flash de mon appareil, un policier m’avise et fait savoir qu’il est interdit de prendre des photos de la préfecture sans autorisation. D’accord. Mais j’ose parler avec les gens ? Oui.
Les premiers que je rencontre sont Cherif et Khadijda, avec leur petit bébé dans une poussette. Il est Français, elle étrangère, ils sont mariés depuis un an et il faut renouveler la carte de séjour annuelle de Khadijda. Pas de chance, ils habitent à Aubervilliers. Cherif est venu une première fois, trop tard pour entrer. Hier il est parti de chez lui à une heure du matin, à pied, pour faire la queue dès 3 heures. Il est arrivé au guichet mais on lui a dit que la présence de sa femme était nécessaire. Alors ce matin, il est de nouveau parti à 1 heure, toujours à pied, tandis que sa femme le rejoignait en transports publics à 8 heures.
Tout ça pour remplir un formulaire et obtenir un rendez-vous : le 24 février, il faudra revenir.
http://www.bladi.net/forum/57046-histoires-ordinaires-file-prefecture-bobigny/
L’Hebdo (Bondy) -
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