A la Bastille ! Itinéraire d’une fille rentrée au bercail
Il est 3h45, je n'ai pas dormi, l'excitation. J'attends un peu puis je réveille Clément. On doit partir à 4h30, pas après, pour être à l'heure au rendez-vous à Montauban. Nous sommes le 18 mars. Aujourd'hui Clément a 32 ans, et on lui prépare une fête d'anniversaire toute spéciale. Aujourd'hui, on reprend la Bastille. Et on a presque 800km à faire pour ça.
J'ai 33 ans, je suis instit. Nous avons deux jeunes enfants. La révolution, je suis tombée dedans quand j'étais p'tite. Une vraie tête de pioche. A l'école, j'ai eu le coup de foudre pour la grande révolution, celle de 1789. Je rêvais de participer à son achèvement, d'y inclure femmes et enfants. A la fac, je ne me retrouvais pas dans les propositions du PS, ou de l'extrême gauche, j'avais envie de rassemblement. Alors par conviction, pour aider des petits bouts à devenir des citoyens libres et heureux, je suis devenue « professeur des écoles ». C'est un métier difficile où on brise votre enthousiasme rapidement. Les réformes subies toutes un peu plus à rebours de l'intérêt des enfants vous transforment en machine à remplir des papiers. Et quoiqu'il arrive c'est de votre lourde et exclusive faute, car quelque part vous êtes certainement imparfait ou plus souvent imparfaite. Nous étions des citadins, mais avec l'arrivée de la dernière, nous avons eu un grand ras le bol de la ville et du modèle de société consumériste qu'on nous proposait. Alors on s'est installé à Foix, il y a un an. Depuis je suis en congé parental, et je m'informe par internet. C'est comme ça qu'une étincelle a remis le feu à mon gauchisme latent.
Un dimanche de janvier, je tombe sur un article du Courrier international : La Grèce est plongée dans une telle misère par la Troïka, que les mères ne réussissent plus à nourrir leurs enfants et les abandonnent. Des récits poignants, des vies d'enfants brisées. Je suis bouleversée. Comment des banquiers peuvent-il condamner des enfants, tout un peuple, à la misère et au malheur pour se remplir les poches ? C'est ça que les hommes politiques à la botte de la finance veulent imposer à mon pays, à mes enfants ? La misère, le désespoir, la guerre comme dans les années 30 ? C'est décidé, je prends les armes. Mes armes, l'information constructive, la diffusion de connaissances difficiles d'accès qu'il faut aller chercher sur la toile. Le programme du Front de Gauche est le seul qui propose autre chose que l'austérité, s'indigne de ce non-choix que dénoncent également les économistes atterrés, atterrés de constater que la classe politique n'a pas tiré les leçons de l'Histoire, de la crise terrible de 1929 et du conflit mondial qui a suivi. Et pourquoi ? Pour protéger les intérêts de sa propre « famille » dont les membres sont trop souvent grands financiers. Je suis plutôt écolo, abonnée à médiapart dont je dissèque les articles économiques, qui m'ont permis de comprendre quelque chose à cette science obscure. Au premier abord, tel qu'on le présente dans la presse, Mélenchon m'irrite les oreilles. Je suis pourtant très sensible à la démarche de rassemblement du Front de Gauche, et je l'observe de loin, puis de plus en plus près, à mesure qu'EELV se lie au PS-tueur-d'espoirs-de-gauche, aux conseillers économiques tous membres de conseils d'administrations de multinationales. Mon compagnon et moi, nous lisons le programme, nous visionnons sur internet les vidéos de Généreux, celles de Mélenchon.
Et là, c'est le coup de foudre intellectuel, pour le programme, le mouvement et le candidat.Pendant tout ce temps, nous n'étions pas les seuls à vouloir plus d'humanité et moins de cynisme capitaliste ! Elle est donc là la Gauche digne de ce nom, qui nous rend nos couleurs, notre fierté, notre futur. Le programme du Front de Gauche est une formidable synthèse, intelligente et constructive des problématiques centrales de notre époque. La jungle financière, l'épuisement de nos ressources, la nécessité de repenser le monde en dehors du paradigme de la croissance infinie qui n'existe pas dans un monde fini, la nécessité de revenir à l'essentiel de l'humanité, de vivre plutôt que de se remplir. Le FdG propose la relance économique, ce qui bénéficiera d'abord aux personnes les plus fragiles, et donc d'abord aux femmes. Il s'engage à remettre l'humain au centre des préoccupations politiques, et pas le fric. Les femmes, les hommes, les enfants d'abord. Égoïstement, c'est de ça que j'ai envie, d'un monde heureux et paisible pour mes enfants. Et puis j'ai envie aussi de cette VIème république qui nous débarrasse de la culture des privilèges et pots-de-vin. L'achèvement de 1789, l'avènement de la démocratie. J'ai envie de cette assemblée constituante où tout le monde pourra être appelé à mettre la main à la pâte. Et c'est un homme de valeur et aguerri qui défend ce programme aux présidentielles. Après les premières images soigneusement choisies et diffusées par les médias, où on le voit s'emporter, nous avons découvert un homme politique qui a toujours été fidèle à ses convictions, qui a eu le courage de quitter le confort du PS. Quelqu'un qui fait appel à l'intelligence des gens, et de notre langue, qui parle autant avec sa tête qu'avec son coeur. Un homme qui a une brillante vision d'ensemble de notre contexte géopolitique et économique. Un orateur exceptionnel qui fait honneur à notre Histoire, à notre rhétorique, à notre identité française.
C'est pour ça que ce matin du 18 mars, nous partons à 4h30 du matin rejoindre Elise et Julien à Montauban, pour ensuite monter à Paris tous les quatre. J'ai contacté Elise sur facebook, elle cherchait un co-voiturage pour la reprise de la Bastille. Nous allons fêter ensemble l'anniversaire de la Commune, pour donner à voir au monde politique sclérosé, pétri de certitudes confortables, et aux Français résignés, que la Gauche n'est pas morte avec la politique libérale du PS. Elle est bien vivante au contraire. Nous allons crier à la face du monde notre volonté de faire advenir la VIème république. En attendant, la route est longue et pluvieuse. Brumeuse même. Nous échangeons nos expériences. Elise travaillait dans la publicité, elle a tout plaqué pour descendre dans le sud. Maintenant elle aide des enfants handicapés à s'intégrer en classe. Julien est vigneron bio. Il a appris en 2006 à utiliser des plantes pour remplace les produits chimiques, pesticides ou engrais. Depuis l'Europe a interdit cet enseignement. Sur le trajet nous écoutons le magnifique discours du meeting de Clermont, celui où Mélenchon développe l'idée de planification écologique. Cette idée novatrice et nécessaire, repenser nos activités industrielles dans un souci de développement raisonnable et le plus respectueux de l'environnement possible.
Sur le coup de midi, on arrive à Paris, et campagnards que nous sommes, on a une envie de retourner à nos champs et nos montagnes, le plus vite possible. Un océan de béton, et juste avant la Cité, des bidonvilles jouxtent l'autoroute. Des maisons de taules, et de toiles, des tentes, des cartons gris poussière que nos chaînes nationales de télé installées à quelques kilomètres ne filment jamais, ne donnent jamais à voir. C'est plus sympa les bidonvilles brésiliens, plus colorés, plus exotiques, plus loin. On laisse la voiture à la gare de Lyon, et on se précipite dans le métro. Nous sommes à l'heure, mais j'ai rendez-vous. J'ai rendez-vous avec toutes les copines et les copains du net, ceux qui comme moi, diffusent les infos du Front de gauche. Déjà dans le métro, l'ambiance est festive ! Un groupe de militants de Perpignan chantent à tue-tête. On sort à Nation, et là c'est le choc, la foule innombrable, une foule rouge, mélangée et joyeuse malgré la pluie éparse. On cherche le Canon, le rendez-vous des cybers militants. Je retrouve mes copines et on fait quelques photos historiques. La manifestation va être immense ! On essaie de se trouver une place dans un cortège, mais, féminisme, écologie, les cortèges régionaux, l'éducation, il faudrait se couper en quatre. Je fais quelques photos. En attendant le départ de la marche, je tente de rejoindre le carré de tête et ma copine Catherine, journaliste accréditée comme deux cents autres par l'Usine, le QG de campagne. Mais la remontée s'avère impossible, il y a beaucoup trop de monde, on ne peut plus circuler ! Je photographie ce que je peux, les slogans, les gens, des familles, des jeunes, des vieux, très joyeux, ou pour certains en colère. Il y a des délégations de travailleurs en lutte qui en ont gros sur le coeur. Finalement, on choisit de rester près du char musical. On marche sous les drapeaux rouges en dansant, en chantant, en criant Résistance ! On ne lâche rien ! On est tellement heureux d'être là. Alors le chanteur Ridan annonce au micro : « On l'a fait, vous êtes, nous sommes, plus de 100 000 ! » J'explose de joie. Autour de moi, les gens pleurent en riant. Une camarade près du carré de tête me racontera plus tard, qu'en entendant ce nombre, une femme s'est évanouie près d'elle. C'est une telle espérance pour tous ! C'est tellement beau ! Nous sommes la Gauche ! C'est un grand vent de liberté qui se lève.
A la fin du concert ambulant, on aperçoit le Génie de la Bastille, nous approchons. On débouche sur la place presque pleine déjà, alors que nous sommes au début de la marche et que vingt autres cortèges arrivent derrière nous. Sur l'estrade, Didier Porte lit un texte aux petits oignons à son habitude. Je ne le vois pas mais je l'entends très bien. Sous un ciel de plomb, Ridan reprend le concert, nous sommes très serrés. Tout le monde est là, des papis sans âge la larme à l'œil, des ados enthousiastes, pas de curieux, seulement des convaincus aux visages radieux. On attend Jean-Luc, notre tribun comme disent les journaleux en galvaudant ce mot qui leur est étranger. Car c'est un symbole du peuple le tribun, et le peuple la plupart crachent dessus. Pour moi l'humaniste, la latiniste, il n'y a pas de charge plus honorable que celle du Tribun de la plèbe. Sous la République romaine, le tribun de la plèbe défend les intérêts du peuple, avec son verbe, il se met au service des petites gens. Mélenchon est un véritable tribun, mot qu'on a trainé dans la boue en l'attribuant au leader du Front National, dans un grand mépris du peuple, et qui retrouve là toute sa splendeur. Et le discours de notre tribun résonne enfin : « Oui, ça se voit, ça se sent, ça se sait, le printemps est là dans trois jours et chaque matin qui se lève, la lumière étend son domaine et la nuit se replie. » C'est un discours bref qui va à l'essentiel, à cette VIème république : « Et nous commencerons par où il nous faut commencer. En convoquant cette constituante, nous commencerons par la première de toutes les égalités qu’il est indispensable de constituer : la parité ! Cette constituante devra être strictement égalitaire et ainsi commencera la marche de l’égalité . L’égalité par quoi tout commence en France, nous conduira à proclamer la fin des privilèges du capital, l’établissement de la citoyenneté en entreprise, corrigeant ce qui n’a pas été achevé, car comme l’a dit Jean Jaurès, la grande révolution a rendu les Français rois de la cité mais serfs dans leur entreprise ! »
Le discours est bref, car nous l'apprendrons plus tard, les véhicules de secours ne peuvent plus circuler sur la place de la Bastille rouge de monde, ni dans les avenues qui débouchent sur la place. Il faut faire vite pour que la place puisse se vider et se remplir à nouveau. Le discours sera diffusé une deuxième fois sur l'écran géant devant l'opéra. Le discours fini, nous aimerions bien profiter de la fête qui s'annonce, mais la route est longue avant de retrouver nos pénates. On se perd plusieurs fois avant de retrouver le parking. Dans le hall, devant les ascenseurs, nous tombons nez à nez avec Montebourg, sa compagne et leur fille. Il est déconfit. Une militante lui fait remarquer qu'elle a voté pour lui aux primaires. Tandis qu'il disparaît aspiré par le sol, les drapeaux rouges, les poings levés lui disent au revoir. Après une route interminable, nous regagnons la maison près de vingt-quatre heures après notre départ. On est épuisé mais pleins d'énergie positive, et heureux d'avoir assisté à un événement qui fera date dans l'Histoire de notre pays. On y était, le jour où le peuple s'est levé pour dire : « Non ! », et reprendre son avenir en main.
Carmina Rougevif
Blog du FdG Ariège : http://www.fdg-ariege.fr/2012/03/la-bastille.html
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