À la fortune du pot
La pollution sonore des deux-roues sera-t-elle en France indéfiniment impunie ?
Qui n’a jamais rêvé de réduire en bouillie, par la magie de son seul regard vengeur, le sombre crétin chevauchant un scooter dont l’échappement trafiqué vient de lui hacher les tympans comme cent mille tronçonneuses ? Qui encore, constatant la ruine de son sommeil, ne s’est pas rêvé en inquisiteur fou, mettant à la question le même odieux trublion, à l’aide d’un pal fait du pot de son engin débridé, encore rougi par la combustion ?
Si dans notre cher vieux pays tous les deux-roues équipés d’échappements débridés s’astreignaient à ne rouler et à ne pétarader, comme la loi les y oblige, qu’en dehors des voies publiques, les campagnes françaises seraient sillonnées de pistes motocyclables spéciales et privées, bordées de hauts murs anti-bruit.
Faute, Dieu merci, de telles infrastructures, des centaines de milliers de citoyens, le plus souvent de modestes salariés aspirant à un repos légitime, sont torturés quotidiennement et qui plus est nuitamment par d’insupportables vrilles sonores. Celles-ci, manifestement, ne hantent pas les rues calmes du 7e arrondissement de Paris, où jouissent d’un paisible sommeil des ministres qui pourraient - peut-être - mettre un terme à une situation typique de la nation des Shadocks, où le législateur a voulu que les dispositifs d’échappement libre soient tout à la fois interdits d’usage sur la chaussée, et sans le moindre frein largement autorisés à la vente.
Sous l’empire implacable de l’offre et de la demande, ces appareils infernaux trouvent bien entendu leurs acquéreurs. Et dans l’apathie générale, les gens se lamentent de tant de nuisances, sans que rien ne change.
Or l’appétence de nos (plutôt) juvéniles consommateurs pour ce genre de mécanique n’est pas près de faiblir. Il n’est que de voir les multiples sites internet et autres blogs décrivant par le menu toutes les opérations nécessaires au débridage, les trucs, les astuces, et qui n’oublient jamais, ô ignobles Tartuffes ! de rappeler gravement, en fin d’article, les nobles dispositions de la loi.
La maréchaussée, sans doute aux prises avec de plus méchants délits, ne semble quant à elle guère soucieuse de verbaliser les surbruyants contrevenants, qui goguenards, peuvent bien à leur aise sous le nez des pandores dodeliner du casque, attestant ainsi de leur profond respect du Code de la route.
Faudra-t-il qu’advienne le geste bien affreux d’un riverain hors de lui, qui dessoudera, à défaut de son pot tapageur, un de ces tonitruants conducteurs, pour comprendre que cette musique-là n’adoucit pas les mœurs ? Le syndicat des équipementiers motocyclistes, assis sur son juteux tas d’or, parviendra-t-il encore longtemps à rendre ridicule le législateur en écoulant sans vergogne son stock de pollution sonore et mortifère ?
Ou bien alors, mettant en balance la paix publique et les lois du commerce, un amendement intelligent ramènera-t-il le calme, en interdisant à jamais l’usage et la vente des kits d’échappement libre ? Notre constance nationale à tolérer indéfiniment les situations absurdes invite à un pessimisme raisonnable...
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