A la recherche de la Démocratie
A LA RECHERCHE DE LA DÉMOCRATIE PERDUE
Au niveau de l'Union européenne comme au niveau national, nous vivons dans des sociétés démocratiques : avec liberté d'opinion, d'expression, de circulation... C'est évident, toutes ces libertés sont relatives et sous contrainte légale, financière… Mais bien des personnes au monde seraient heureuses de vivre dans des conditions identiques, qui ne le peuvent pas.
Pour le mode de gouvernement, la démocratie, « le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple », ne correspond pas à la réalité. Nous vivons dans l’illusionnisme démocratique.
Pas totalement. La baisse du taux de participation des citoyens aux élections dans toutes les démocraties occidentales montre que les citoyens, en nombre croissant, prennent conscience de cette illusion. Ils se désintéressent, de plus en plus, non de la chose publique mais des élections.
Les citoyens n'ont pas confiance dans les institutions, ni dans les partis politiques. Ils contestent leur légitimité. Tous les sondages en témoignent. Les politiques n'ont pas lésiné pour convaincre les citoyens que leur rôle était fictif. Votez aux élections, aux référendums et, quel que soit le résultat, nous ferons notre politique, la seule politique possible.
Au niveau de l'Union européenne, les peuples sont parfois consultés par référendum, la pratique est particulièrement éclairante. Ils ont le choix de voter « oui » ou « non »... à condition de voter « oui ». S'ils approuvent le projet « européen », tout va bien, on ne leur demande jamais de revoter. S'ils le refusent, deux solutions : dans le meilleur des cas, ils doivent revoter pour l'approuver ou bien on se passe de leur consentement et leur erreur de jugement est corrigée en faisant entériner la bonne solution par les élus.
De préférence en Congrès pour rendre ce détournement plus solennel ?
Les Pays-Bas, pays démocratique, a institué le référendum d'initiative populaire. Que les Néerlandais ont, récemment, utilisé pour invalider le traité entre l'Union européenne et l'Ukraine signé par les 28 États de l'Union et entré en vigueur depuis le 1er janvier !
Bizarrerie démocratique : organiser un référendum, qui plus est consultatif, sur un texte déjà entré en vigueur. Que vont faire les gouvernements néerlandais et les autres ? Ce référendum n'est que consultatif. Le gouvernement néerlandais peut passer outre… avec un additif interprétatif qui ne sera pas soumis à approbation ?
Le gouvernement Renzi a résolu la question, de façon plus astucieuse, lors d'un référendum sur les plate-formes pétrolières. Il a demandé à ses partisans de ne pas participer au référendum et, ainsi, le quorum n'étant pas atteint, les résultats du référendum qui lui étaient défavorables, n'ont pas été validés !
Après le vote des Néerlandais, une fois de plus, les « compétents » de l'Union dissertent contre l’organisation de référendums sur les question européennes : trop complexes pour être soumises au « petit » peuple qui paie des impôts pour que ses représentants fassent convenablement le travail à sa place.
Il est vrai que depuis 1992, « ceux qui savent » ne sont pas très satisfaits des référendums organisés dans différents pays de l'Union car « il est horriblement difficile de gagner un référendum sur la question européenne » se plaint Bruxelles ! Souvenirs douloureux de référendums négatifs : Danemark, Suède, Irlande, France, Pays-Bas, Grèce… (1)
Bien entendu, ce n'est pas que la politique de l'Union soit mauvaise puisque les gouvernements des 28 États, en responsables, l'ont approuvée. Tout simplement les peuples ne comprennent pas les subtilités de cette politique.
Quel a été le débat le plus démocratique en France de ces 30 dernières années, si ce n'est celui qui a porté sur le « projet de constitution européenne », discuté dans des milliers de réunions pour ou contre et finalement rejeté par les citoyens français ?
Dans aucune élection locale, nationale ou européenne, les programmes des candidats n'ont été aussi profondément décortiqués. Ce qui serait d'ailleurs une tâche inutile, étant donnée la facilité avec laquelle les représentants se libèrent de ce programme, une fois élus.
Comme cela a été inutile pour le projet de Constitution européenne finalement adopté malgré le résultat du référendum !
Les citoyens ne sont pas compétents pour donner leur avis sur un traité, sur des lois... Mais alors, comment ces citoyens peuvent-ils être compétents pour juger, à la fois, du programme des candidats (au niveau municipal, départemental, régional, législatif, présidentiel, européen) et de leur fiabilité ?
Le tirage au sort des représentants ne serait-il pas une meilleure solution ?
Tout le monde est conscient du désenchantement des citoyens pour le fonctionnement de la démocratie. Tout le monde cherche un remède.
Certains, doutant de leur capacité à séduire les électeurs, proposent de rendre le vote obligatoire… Remplacer le droit par l'obligation n'entraînera pas une amélioration de la démocratie. Peut-être, si la loi est respectée, y aura-t-il une diminution des abstentions. Pour que les électeurs participent activement et efficacement à la démocratie, c'est plutôt le comportement des politiques, élus et partis, qu'il faut changer.
Un autre remède à la mode, à droite comme à gauche, semble être les « primaires » pour l'élection présidentielle. Le succès populaire, la forte participation ont beaucoup étonné lors de la primaire de gauche pour la dernière élection présidentielle. Cette primaire a sélectionné le candidat Hollande et mis en dernière position le candidats Valls.
Finalement, François Hollande a été élu pour faire la politique Manuel Valls !! La synthèse !
Depuis 3 mois, les politiques amusent avec la dizaine de candidats et le non-encore candidat à la primaire de droite. Avec les primaires, ou non, ouvertes ou semi-ouvertes… à gauche. Et les sondages et commentaires quotidiens dignes d'un champ de courses mais qui n'éclairent guère sur les choix politiques des postulants.
Est-on tellement satisfait de la précédente primaire qu'on veuille récidiver ? Pour ne pas se laisser prendre, certains proposent de faire des primaires sur un projet et non sur une personne. Une primaire à double détente ? Car l'élection présidentielle désigne non un programme mais une personne. Qui appliquera ou non un programme. Lequel ? Celui qui aura été adopté ou le sien ?
Le régime présidentiel français, élection directe, article 49-3, droit de dissolution, fait du président un monarque républicain sans contre-pouvoir.
C'est là un défaut fondamental.
Le souci démocratique est un point essentiel qui anime les discussions et les pratiques des « Nuits debout » sur la place de la République, pourtant nées après une importante manifestation contre la loi « travail ». Ceux que certains qualifient de « conservateurs » parce qu'ils défendent les acquis sociaux, accordent une aussi grande importance à la question de la démocratie bien loin des spéculations sur les écuries de droite ou de gauche en vue de la présidentielle.
Ils cherchent à renouveler la démocratie, en théorie et en pratique. En pratique, c'est évident, il suffit de passer quelques minutes sur la place de la République à Paris, à une commission, il y a de multiples commissions, ou à une assemblée générale, il y en a une chaque jour, pour voir la volonté de faire respecter la démocratie. Qui rend difficile la prise de décisions. Ce que les opposants mettent en relief et moquent. Comme l'absence de porte-parole officiel du mouvement…
Les médias cherchent qui est derrière « Nuits debout ». Certes il n'y a pas plus de « génération spontanée » place de la République qu'ailleurs et on peut donner des noms ou des événements qui ont facilité le démarrage. Mais s'il faut chercher une inspiration à ce qui se passe, elle est peut-être du coté d'un certain anarchisme (2).
Allant de paire avec la démocratie, la non-violence que la triste aventure d'un récent académicien, ancien-maoïste, a permis de contester dans une bonne partie de la presse.
Cet incident est absolument regrettable et en contradiction avec la volonté de la majorité des participants aux « Nuits debout ». Mais l'ancien maoïste aurait pu se souvenir que, en 68 et après, il n'aurait pas bénéficié d'une protection de la commission « accueil et sérénité », que les opposants n'étaient pas gentiment exfiltrés mais expulsés plus ou moins violemment, notamment par les maoïstes. C'est la constatation que le philosophe aurait pu retenir de cette malheureuse aventure. Il aurait pu se souvenir, par exemple, qu'en 1974,lors de l'opération « Moisson pour le Tiers monde », quelques militants ont évité à François Mitterrand, d'être maltraité par des groupuscules maoïstes (wikipedia). En répondant « fachos » à ceux qui le traitaient de « fascistes », il a montré avec quelle facilité il pouvait se mettre à leur niveau. L'affrontement l'intéressait plus que la compréhension. Le militant a fait taire le philosophe.
Cette volonté de « non-violence », peut-être difficile à faire partager par tous, est cependant une des différences fondamentales avec un certain passé. Et les « casseurs », si casseurs il y a, il n'y en a pas toujours, ne sont pas dans l'esprit du mouvement mais en marge.
La non-violence n'est pas née avec les « Nuits debout ». Mais elle se retrouve actuellement dans de nombreuses manifestations de désobéissance civile, à visage découvert : faucheurs de chaises, rassemblement à Montreuil, lors de la « Cop21 », avec HK chantant « sans haine, sans armes et sans violence », blocage à Paris d'agence de la Société générale très présente dans le nouveau scandale de Panama, à Pau contre le sommet sur les forages pétroliers en haute mer, manifestation tournant en dérision la Fédération Bancaire Française qui organisait une matinée « Ethique ou Conduct : pour une culture de la responsabilité », conclue par Frédéric Oudéa, DG de la Société générale, bien connue des Panama Papers (3)
Des idées sont aussi avancées qui, bien entendu, ne sont pas toutes nouvelles mais qui montrent bien le désir de faire participer le plus grand nombre aux décisions politiques : non cumul des mandats de différents niveaux mais aussi non cumul dans le temps (certains élus, de droite ou de gauche sont députés ou sénateurs depuis pus de 20 ans !), revendication d'une nouvelle constitution rédigée par des « constituants » tirés au sort…
Utopie, utopie, bien sûr. Utopie qui a été mise en pratique récemment en Islande, pays qui a refusé de payer la crise de 2008 à la place des banques, qui a rédigé une nouvelle constitution (10 % de la population a participé en envoyant des propositions, sans participation de politiciens professionnels), qui vient de pousser à la démission un Premier ministre compromis dans les Panama Papers…
Utopie reprise pour présenter un candidat tiré au sort dans une circonscription législative alsacienne pour mai 2017 !
Utopique certainement, un mouvement qui veut changer le monde. Mais qu'est-ce qui fait avancer les sociétés si ce n'est des revendications considérées comme utopiques… Utopique mais pas conservateur, un mouvement qui défend les acquis sociaux, débat de la réduction du temps de travail, des réfugiés, du chômage, du réchauffement climatique…
Utopie pour un mouvement est très minoritaire. Ceux qui participent aux « Nuits debout » le savent tout autant que les journalistes ou les politiques qui surveillent étroitement, le constatent et le proclament. Et touchent du bois pour conjurer le sort. Car nul ne sait ce qui sortira de ce mouvement qui perdure, qui se propage doucement, qui n'a été, pour le moment, déconsidéré ni par les « casseurs », ni par les politiques qui les considèrent avec une certaine appréhension. Éviter l'étincelle...
A manipuler avec précaution ! Éviter ce qui pourrait faire se joindre les étudiants et les jeunes travailleurs, les facultés et les entreprises… Ne pas jeter de l'huile sur le feu, plutôt faire quelques concessions...
Quel que soit l'avenir du mouvement, avec les « Nuits debout », la place de la République à Paris sans oublier les attentats, sans oublier les luttes revendicatives et la défenses des acquis sociaux, est devenue le point de rencontre, le point de parole de personnes qui ne se connaissaient pas. Et qui dialoguent. Et qui essaient de regarder l'avenir. Non seulement l'avenir de ceux qui sont sur la place mais aussi de ceux qui n'y sont pas. Parce qu’ils n'en connaissent rien. Parce que ce la place de la République n'est pas leur monde. Mais chaque jour, sur la place des personnes différentes, limite et richesse, viennent exposer ce quelles ne peuvent plus supporter, ce qu’elles veulent changer, ce qu'elles espèrent.
Et s'il n'en sort rien de plus que ces dialogues ébauchés, il faut espérer que s'il y a sur la place un futur académicien, il s'en souviendra le moment venu. Ce serait déjà un changement.
La place de la République n'a pas été privatisée par « Nuits debout », ses commissions qui commencent tôt dans l'après midi, son assemblée générale, ses curieux qui viennent de la l'Île de France, des régions ou des étrangers de passage, curieux de voir ce qui se passe. La place appartient à tous et aussi à ceux qui viennent prendre le soleil sur les bancs, faire de la planche à roulette ou profiter des jeux mis en place par la mairie de Paris...
Elle est devenue une agora « multifonctions ».
1 – Les conséquences délétères du « non » néerlandais. Jean Quatremer 10 avril 2016
2 - Il s’agit principalement d’une tendance qui nourrit soupçon et doute sur la domination, sur l’autorité, et sur la hiérarchie. Elle recherche les structures de hiérarchie et de domination dans la vie humaine sur un spectre allant, disons, des familles patriarcales jusqu’aux systèmes impériaux, et elle se demande si ces systèmes sont légitimes. Elle présuppose [aussi] que la charge de la preuve [de cette légitimité] repose sur tous ceux qui sont dans une position de pouvoir et d’autorité. La légitimité de leur autorité n’est pas automatique. Ils doivent en rendre raison, donner une justification. Et s’ils ne peuvent justifier cette autorité, ce pouvoir et ce contrôle, ce qui est habituellement le cas, alors l’autorité doit être démantelée et remplacée par quelque chose de plus libre et de plus juste.
http://www.noam-chomsky.fr/lanarchisme-auquel-je-crois/
3 - Nous appelons à participer à cette action de désobéissance civile dans l’esprit de l’action non-violente, assumée et menée à visage découvert, en respectant les personnes et les biens tout en affichant notre détermination à faire changer cette situation d’injustice. Sur place, nous ne dégraderons rien, nous ferons uniquement usage de méthodes et techniques non-violentes, et nous ne participerons pas à la surenchère. Nous sommes attaché·e·s à garantir la sécurité des individus présents sur les lieux de nos actions. Appel à participation aux actions de désobéissance civile.
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