À MM. les archéologues au sujet de la thèse de Bibracte au mont Beuvray. À M. le (nouveau) Ministre de la Culture
Malgré le nombre conséquent de mes articles Agoravox où je dénonce l'erreur de la localisation de Bibracte au mont Beuvray, malgré une majorité de votes positifs des commentateurs qui me soutiennent et qui, je l'espère, vont continuer à me soutenir pour ce dernier combat, malgré le sérieux argumenté de mes propos et le temps que je passe pour essayer de convaincre, les archéologues sont toujours persuadés que la puissante capitale éduenne des Gaules se trouvait dans un Morvan montagneux entouré de forêts de hêtres. Voici ce que me répond Pierre Nouvel, un des plus connus de la profession :
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23 janv. 2018 09:22
À moi
Cher monsieur,
Je suis archéologue et je regarde avec curiosité vos productions
littéraires depuis plus de vingt ans. Puisque l'archéologie ne peut se
produire que sur le terrain, je ne saurai utiliser les textes pour
remplacer cette matière suffisamment abondante. Si on voulait utiliser
un parallèle, ce serait comme si l'on voulait décrire la mécanique
céleste en considérant l’œuvre d’Ératosthène comme la source unique de
nos connaissances.
La discussion sur l'importance, la nature et la datation des découvertes
faites à Bibracte (ou à Corent) ne peut donc prendre place sur la toile,
mais uniquement face au vestiges, devant nos chantiers de fouille.
Signé : Pierre Nouvel
La situation est on ne peut plus claire et Pierre Nouvel le dit avec une naïveté qui me déconcerte. Pour les archéologues de la nouvelle archéologie née sur le mont Beuvray, à l'époque mitterrandienne, les témoignages des auteurs antiques, de Strabon, de César et d'autres, tout cela ne compte pas. Quant au ministère de la Culture et à ses responsables à différents niveaux, c'est la défense corporative. Les ministres successifs, Trautman, Tasca, Philippetti, bien qu'alertées par un certain nombre de députés, se sont contentées de répondre à leurs questions écrites par de superbes réponses "langue de bois". Nous sommes à la limite de la forfaiture.
Bien sûr, la profession pourra toujours invoquer les mauvaises traductions du siècle dernier, rejettant ainsi la responsabilité sur une Université défaillante, encore aujourd'hui défaillante car ne cherchant pas à corriger ses graves erreurs de traduction.
Monsieur le Ministre de la Culture, exprimez-vous !
Monsieur le Ministre de l'Éducation Nationale, exprimez-vous !
Relisez le texte de César et les traductions discutables qui ont toujours cours (ci-après en italiques, suivies de mes corrections).
I. César poursuit les Helvètes (DBG I, 16-23).
Les Helvètes venaient de Genève. Après avoir franchi la Saône, ils avaient remonté son cours puis s'en étaient éloignés en s'engageant, de toute évidence, dans le couloir de la Dheune. César qui les poursuivait, ne pouvant plus compter sur le blé de ses bateaux, attendait que la cité éduenne lui amène une première livraison de blé soi-disant promise, une livraison qui n'arrivait pas. La réaction de César ne pouvait être, en toute logique, que de convoquer le conseil éduen pour qu'il s'explique, mais où ? Le texte dit : "in castris". Le professeur Constans traduit par : dans les camps (de César). Certainement pas ! C'est dans leur capitale de Bibracte que les Éduens tenaient conseil. Le mont Beuvray étant beaucoup trop loin, tout s'explique, en revanche, en mettant Bibracte à Mont-Saint-Vincent. Voyez mon croquis.
Traduction du professeur Constans en italiques : César convoque les chefs éduens qui étaient en grand nombre dans son camp (DBG I, 16 ). Non, je répète ! Le mot "castra" ne peut désigner que la place forte de Mont-Saint-Vincent, véritable Bibracte. Oui ! Les "principaux" des Éduens y sont en grand nombre. César congédie pomptement l'assemblée. Je corrige : César congédie le conseil (consilium dans le texte). Cela signifie qu'il s'est rendu dans la place forte de Mont-Saint-Vincent (Bibracte) pour y exposer ses griefs devant le conseil éduen convoqué à sa demande... conseil qu'il congédie pour ensuite s'entretenir en privé avec le Vergobret Liscus... Liscus lui dit alors que ce sont ces mêmes personnages qui instruisent l'ennemi de nos plans et de ce qui se passe dans l'armée. Je corrige : Liscus lui dit que ce sont certains de ces "principaux", non magistrats, simples partculiers mais ayant une influence sur le peuple, qui le détourne pour empêcher la livraison promise. Ce sont par ceux-là que les ennemis (les Helvètes) sont informés de ce qui est décidé dans les conseils qui se tiennent dans la place forte (de Mont-Saint-Vincent/Bibracte). Il s'agit là d'une phrase très importante qui nous renseigne, en outre, sur le fonctionnement de la cité éduenne et sur les rivalités possibles qui existaient entre les magistrats élus (dont le Vergobret) et la noblesse (Dumnorix).
L'affaire étant réglée, le blé livré, César reprend sa poursuite derrière les Helvètes qui se dirigent vers l'Arroux dans l'intention logique de reprendre le mont Beuvray - Gorgobina - aux Germains qui tiennent la position... plusieurs jours de marche se passent... Nouvelle attente d'une livraison de blé qui, manifestement, n'arrive pas. En toute logique, César décide de retouner à Bibracte/Mont-Saint-Vincent pour faire pression sur le conseil éduen, et cela avec toutes ses légions, c'est clair.
Traduction Constans : Bibracte (est) de beaucoup la plus grande et la plus riche ville des Éduens ... laissant les Helvètes, César se dirige vers Bibracte... Les Helvètes font demi-tour et le suivent. Je retraduis : César se dirige vers Bibracte, l'oppidum le plus important et le plus riche (en blé) des Éduens. Les Helvètes font également demi-tour pour le suivre - itinere converso - . Revenant sur leurs pas, tout ce monde-là se dirigeait vers Bibracte, le Mont-Saint-Vincent.
II.Bataille de Sanvignes.(DBG I, 24-25)
César ramène ses troupes sur une colline voisine... Il range en bataille, à mi-hauteur sur trois rangs, ses quatre légions de vétérans. Je retraduis : César installe ses troupes sur une "proximus collis". Il s'agit du versant allongé du mont Maillot qui descend de la colline de Sanvignes. Il qualifie cette colline de "mons" . C'est là qu'il ne faut pas tomber dans le piège des mots. La "collis" de César est le long versant de la ligne de crête du mont Maillot. Le "mons" de César est la colline de Sanvignes. Sur le versant précité, César installe ses légions de vétérans en lignes de bataille, à mi-pente du versant, media colle. Il installe deux légions de jeunes recrues sur la colline de Sanvignes, mons. Cette "proximus collis", pente du mont Maillot, c'est la même "proximus collis" qu'il désignait ainsi, à l'aller, lorsqu'il poursuivait les Helvètes, preuve irréfutable que César ne se dirigieait plus vers le mont Beuvray mais qu'il revenait sur ses pas en direction de Bibracte/Mont-Saint-Vincent. Suit la bataille remportée par César contre les Helvètes, telle que je l'ai expliquée par ailleurs, autre preuve irréfutable.
III. La bataille d'Admagetobriga (DBG I, 31).
Arioviste, depuis qu'il a remporté une victoire sur les amées gauloises - la victoire d'Admagetobriga - se conduit en tyran orgueuilleux. Non ! Cette bataille, qu'évoque également Cicéron, ne s'est pas déroulée en Alsace, mais au pied du mont Beuvray, à Mesvres, la Magobrigum des chartes. Ces troupes gauloises vaincues étaient éduennes, renforcées par celles de leurs clients. Cette armée que César qualifie de gauloise voulait reprendre le mont Beuvray, véritable Gorgobina, aux Germains d'Arioviste qui y avaient été appelés par les Arvernes (DBG I, 31).
Ensuite, tout s'explique : l'installation de milliers de Boïens vaincus à Gorgobina/mont Beuvray pour surveiller la région au profit de César, les très nombreuses amphores pour les ravitailler qu'on y a mises au jour, les traces de travail du fer, les remparts et les maisons construites pauvrement dans l'urgence... puis la tentative de Vercingétorix pour reprendre la position (DBG VII, 9).
Bibracte dans les textes de Strabon.
Le malentendu des deux "Dubis", Doubs et Dheune, confirme mon interprétation. Voyez mon deuxième croquis.
Μεταξὺ μὲν οὖν τοῦ Δούβιος καὶ τοῦ Ἄραρος οἰκεῖ τὸ τῶν Αἰδούων ἔθνος, πόλιν ἔχον Καβυλλῖνον ἐπὶ τῷ Ἄραρι καὶ φρούριον Βίβρακτα. (Strabon, géographie, II, IV , 3, 2).
Ma traduction : Entre le "Doubios" (la Dheune) et l'Arar (la Saône) habite le peuple des Éduens. Leur appartiennent la citadelle/place forte de Bibracte (φρούριον) et la ville/cité (πόλιν ἔχον) de Cabyllynum/Chalon, sur la Saône.
Je dis bien : entre la Dheune et la Saône, et non "entre le Doubs et la Saône", ce qui faisait dire aux traducteurs que Strabon écrit n'importe quoi. En revanche, ma traduction par Dheune confirme la localisation de Bibracte à Mont-Saint-Vincent et non à un mont Beuvray qui se trouve au-delà.
Il n'y a aucun doute ; Strabon utilise bien le mot grec "Doubios" pour désigner la Dheune ; les écrits médiévaux permettent d'ailleurs de retrouver l'évolution logique du mot : de Doubios en Dubios en Dubos en Dubina en Duina, puis en Dheune.
Il apparaît même que le géographe historien grec utilise indistinctement les mots Δοῦβις, Δούβιος, Δοῦβιν pour désigner soit le dit Doubs, soit la Dheune... comme si le Doubs et la Dheune n'étaient qu'un seul et même fleuve.
Dans les traductions classiques, c'est le mot Dubis par lequel César désigne le Doubs mais si l'on se reporte au document d'origine, il faut tenir compte d'un "alduas" qu'on a supprimé. César voulait bien désigner le Doubs, mais l'un des deux, l'autre qu'il n'a jamais nommé étant la Dheune.
Erreurs de traduction, égarement des archéologues, silence du Ministre, tout cela ne fait pas sérieux.
Pourquoi j'en appelle au Ministre.
Parce que le temps se fait court. Et que cela ne m'intéresse pas de déblaterrer, à mon âge, dans une émission télévisée. Mais il faut que les choses soient dites. Certains archéologues en sont venus à se persuader que seule l'archéologie pouvait vraiment nous renseigner sur l'histoire antique, allant même jusqu'à prétendre qu'il fallait se passer, notamment, des écrits de César, tragique erreur. Pour moi, la recherche doit s'appuyer sur trois piliers. Premièrement, sur une bonne traduction des textes, deuxièmement, sur un raisonnement logique, notamment militaire, et troisièmement, sur une vérification et exploitation archéologique.
Il faut le dire, une bonne fois pour toutes, on s'est complètement fourvoyé en faisant démarrer notre Histoire au mont Beuvray. On s'est ainsi privé d'une extraodinaire et véritable histoire et de la bonne interprétation d'un patrimoine fabuleux. Quelle tristesse de voir nos plus belles églises romanes désertées par le tourisme international ! Quelle tristesse de constater l'incapacité de nos contemporains à les expliquer.
Je bénis l'autorité militaire qui m'a exilé dans la ville chalonnaise. J'ai parcouru toute la région pour essayer de la comprendre. Membre de la Société d'Histoire et d'Archéologie de la ville, c'est tout naturellement que j'ai acheté, avec mon épouse, le château en ruines de Taisey, puis la tour. Pincipalement parce qu'ils se trouvaient sur le point haut.
Pour moi, c'était clair et ce l'est toujours. La tour de Taisey ne peut être que l'illustre vestige d'une colonisation ancienne qui, venant du Proche-Orient, est remontée par le couloir Rhône/Saône jusqu'à la cuvette fertile de Chalon-sur-Saône. Mais personne n'a voulu comprendre mon raisonnement militaire.
Emile Mourey, le 1er Novembre 2018 ; dans cinq jours, j'aurai 86 ans.
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