A mon fils
Il n’y a pas un jour, depuis que tu es né, où je n’ai pensé à toi et à ta maman qui t’aime très fort.
Quand tu seras grand, peut-être découvriras-tu ce message, alors tu sauras quel homme j’étais, quel papa j’étais, qui était ta vraie maman, toi qu’une méduse administrative envisage, pour ton bien, de confier dans les jours qui viennent à une famille d’accueil qui t’élèvera, mon dieu, à notre place.
Je suis né en 1964 dans une douce région où poussent les ceps et où les escargots sont réputés, je suis monté à Paris en 1992 pour travailler et j’ai rencontré ta maman à 1996 dans un restaurant, au pied des buttes Chaumont. Ta maman, elle, est née en 1970 aux pays des cigognes et c’est une femme tout simplement exceptionnelle.
Nous allions te concevoir, car c’est l’un des sens de la vie, vois-tu, quand soudain en 2001 un drame est arrivé.
Pendant 7 longues années, alors que la Justice prenait son temps pour juger un homme indigne, ta maman est tombée gravement malade et les médecins m’ont expliqué que ce n’était pas en l’enfermant entre 4 murs et dans un parc qu’elle pouvait être sauvée, mais en la laissant libre au coeur de la cité, afin qu’elle ne se conforte pas dans la maladie. Alors à ces médecins j’ai dit : "D’accord, j’accepte de m’occuper d’elle, du mieux que je le pourrai". Ainsi, chaque jour, jusqu’à aujourd’hui, j’ai veillé sur elle comme à la prunelle de mes deux yeux, oubliant ma propre vie, sans aucun regret, car je n’avais qu’une idée en tête, qu’un seul objectif, mettre toute mon énergie, toute mon intelligence, tout ce que je suis, même mes défauts, dans le combat titanesque que j’ai livré afin que la femme que j’aime, ta maman, survive et vive. J’ai donc fait ce choix, la vie de ta maman contre tout le reste, le travail, l’argent, les honneurs, les amis, la famille. J’ai arc-bouté mon corps et mon esprit et ta maman est restée en vie. Cela n’a pas été facile, tu imagines, je connais bien les Urgences de Paris, j’ai rencontré beaucoup de pompiers, des policiers, des tas d’intervenants dont certains me disaient de l’abandonner car pour eux j’étais en train de perdre ma vie auprès d’elle. Bien sûr, je ne les ai pas écouté, ni les médecins de l’âme qui me demandaient ce que je faisais de la souffrance que nous partagions elle et moi, si je m’y complaisais, ni d’autres du même acabit qui me traitaient, sans mâcher leurs mots, de masochiste.
Tu t’en apercevras mon fils, il n’est pas facile de se faire comprendre sur cette planète, même si tu es parfaitement intelligible, tu y rencontreras beaucoup de personnes qui, forts de leurs diplômes, de leurs connaissances, même de leurs expériences, t’expliqueront ce qui est le mieux pour toi, comme s’ils détenaient la vérité absolue alors qu’en fait ils ne savent pas grand chose, en tout cas, rien avec le coeur.
Tu es né en 2008, en Ile-de-France, dans une jolie et calme ville, propice au rétablissement de ta maman. Notre appartement n’est pas très grand toutefois il donne sur un jardin rempli d’oiseaux et d’agréables sons. Souviens-toi, tu y as passé exactement 1 mois et demi et tu aimais regarder à l’abri derrière la fenêtre la vie en plume voletant de branches en branches, jusqu’à ce jour où ta maman qui t’aime très fort s’est réveillée auprès de moi sans tout à fait me reconnaître et en se fâchant. Depuis quelques jours, j’avais bien compris qu’elle n’allait pas bien, car tandis que je te donnais chaque nuit le biberon, dans son sommeil elle faisait des bonds dans notre lit ou pleurait tout bas comme une petite fille, implorant sa maman.
J’avais écrit à son médecin pour l’avertir de se qui se passait, que notre petite famille avait besoin d’aide pour éviter le naufrage face à l’ouragan qui pointait à l’horizon, cette même aide que ce médecin m’avait proposé quelques mois auparavant. Ce dernier ne m’a jamais répondu, pourtant, cela fait des années qu’il suivait médicalement ta maman.
Le 13 juin 2008 je me suis enfuis précipitamment de la maison avec toi enveloppé chaudement dans une couverture et j’ai poussé une autre porte pour demander secours, afin que tu n’entendes plus les cris de ta pauvre maman après moi, cris qui n’étaient pas de sa faute. Alors des gens sont venus nous chercher et tu as été placé dans un endroit où vivent ensemble d’autres bébés et des personnes attentionnées qui s’occupent bien de toi, tu es si beau, si étonnant, si particulier, mon petit garçon, notre enfant, machallah.
Ta maman a été aussitôt hospitalisée, pendant longtemps, et puis le 28 novembre 2008 elle est revenue à la maison et m’a demandé de partir car pour elle "je t’avais donné à d’autres personnes pour qu’ils t’élèvent", alors qu’en vérité, c’était afin qu’ils prennent soin de toi le temps que ta maman soit bien soignée et que je crée la société informatique destinée à nous faire vivre.
Je me suis donc retrouvé dans la rue, sur le bitume, avec seulement les vêtements que je portais, j’étais devenu ce que les gens appellent un sdf, un "samedi dimanche et fêtes", un "sous directeur financier" comme aimaient à plaisanter, à leur sujet, les personnes extraordinaires que j’ai rencontré pendant 3 mois, Rémy, Momo, Maurice, Bachir, et tant d’autres.
Un soir, récemment, une dame importante et bien habillée est venue me voir dans le centre d’hébergement où j’étais et dont elle a la charge. Elle m’a accusé d’avoir gâché ses vacances, d’être un assisté, d’être "une petite nature" pour avoir oser porter plainte après avoir été agressé sauvagement un matin à mon réveil, elle m’a accusé d’avoir entraîné les autres à faire pareil, elle m’a accusé de ne pas avoir su rester à ma place, c’est à dire à celle du sdf que je suis, c’est à dire à celui d’un rien du tout, puis, en levant sentencieusement le doigt elle m’a dit "Cette année on a fait trop de social et voilà où ça nous mène, pour nous remercier ! "
Après, alors qu’elle avait donné l’ordre un jour auparavant de faire partir discrètement l’agresseur, elle a appelé la Police Municipale afin que celle-ci "m’explique" que je devais "prendre mes petites affaires" et quitter les lieux immédiatement : "C’est bien clair, est-ce que je suis bien claire ? Et puis arrêtez de me regarder comme ça parce que... ?", parce que quoi, je ne sais pas, mais j’ai encore en tête les mots de la policière et ses yeux collés contre les miens comme si elle voulait ... m’impressionner je pense.
Je me souviens d’une sorte de cave, où j’étais entouré par des gens mécontents, nerveux et à l’air pas commode, je me souviens de m’être penché pour prendre dans l’un des sacs où le concierge avait jeté mes affaires, ton doudou, tu sais celui qui fait de la musique, et puis plus rien, je me suis réveillé dans une sorte de camion où j’ai juste entendu au moment où la porte se refermait la voix de la dame bien habillée qui a dit fort pour que tout le monde l’entende : "Il avait dans sa main un jouet pour son bébé, il l’a toujours ? Ha oui il l’a, je le vois, c’est bien."
Cette femme voulait paraître gentille aux yeux de toutes et tous, surtout à celles et ceux qui devaient regarder par leurs fenêtres, mais tu sais quoi mon enfant, ce n’était pas de la gentillesse, c’était juste de la communication, de la poudre aux yeux, de la désinformation, un leurre, d’aucun diront que c’était de la politique, qui sait ?
A l’hôpital, les pompiers ont dit à l’accueil qu’ils m’avaient trouvé dans la rue alors qu’en fait se sont eux qui m’ont déplacé de la cave du centre d’hébergement jusqu’à leur gros camion rouge, alors le médecin interne a tout de suite fait son diagnostic par l’observation rapide de mes 4 gros sacs affreux : "Ici c’est un hôpital et nous ne gérons non pas l’urgence sociale, mais médicale". Quelqu’un s’est alors souvenu de moi pour m’avoir fait passer un scanner 5 jours auparavant, alors le médecin a daigné m’ausculter, sommairement, puis il m’a fait remettre par une infirmière un comprimé Dafalgan et un calmant que je n’ai pas avalé car je me suis dit : " La dame importante a fait partir discrètement un individu dangereux, quant au concierge, lui il a dit au fauve lâché dans la rue et livré à lui même que des plaintes ont été déposées à son encontre, donc, puisque je me retrouve à la rue, si jamais je prends ce cachet et que je le croise je ne verrai plus jamais ceux que j’aime."
Je me suis endormi frigorifié et vermoulu, comme si j’étais passé sous un rouleau compresseur, vers 3h00 du matin dans le hall de l’immeuble où j’habitais 3 mois auparavant, lorsqu’à 6h00 du matin une gentille femme, les larmes aux yeux, m’a réveillé doucement en me tendant un billet de 100 euros et en me soufflant : "Mon dieu Monsieur L, que puis-je faire d’autre ?
Je l’ai rassurée de mon plus beau sourire, refusant poliment le billet et je lui ai répondu : "Tout va bien Madame D, j’ai un peu de sous, voyez, je n’avais juste pas prévu que je serais expulsé du centre d’hébergement où j’étais pour avoir porté plainte contre un agresseur, comme tout citoyen l’aurait fait dans un pays de droits."
Dans 15 jours, avec la femme de ma vie, ta chère maman mon garçon, que j’ai retrouvée depuis lors et qui va bien mieux, nous allons passer devant le Tribunal de cette ville pour essayer de ne pas perdre l’appartement que nous occupons, et dans 18 jours, nous allons nous retrouver devant un autre Tribunal afin de ne pas te perdre toi, notre amour, notre petit gars, si beau, si particulier, si enchanteur, machalla.
ps : n’oublie jamais, il n’y a rien au dessus de l’Amour.
Ton papa qui t’aime très fort.
P.L
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