A propos de la Bastille

« Caminante no hay camino, se hace camino al andar ». Voilà un vers d’Antonio Machado que j’utilise souvent. Il s’oppose aux chemins battus, au prêt-à-porter, aux formules toutes faites et surtout à la relation fatalisme - euphorie jouant alternativement avec l’appréciation que l’on s’impose d’une situation donnée. Pas de chemin dit Machado, le chemin se construit en marchant. C’est un processus, un voyage d’Ulysse qui rencontrera forcément la sauvagerie des Lestrigones, la peur de Polyphème, l’appel pervers des Sirènes ou la tentation d’un oubli jouisseur proposé par Circée. Pour le grand nombre, martelé par des « propositions », les unes plus farfelues que les autres, et qui cherchent à « fixer », à immobiliser le citoyen - spectateur d’un péplum anachronique made in Cinecittà, l’alternative n’est autre qu’un chemin à construire, un projet. La démocratie, disait Cornélius Castoriadis durant ses cours sur la particularité grecque, est un processus libérateur et tragique à la fois. Il espère l’épanouissement citoyen mais conçoit aussi les risques qui lui sont liés, les explicite et les combat. Il est tout sauf de la peur. Or, signe de mépris de l’âme citoyenne, l’actuel président - candidat ne conçoit sa réélection que comme un bouclier face à des dangers en devenir, son fond de commerce est la peur. Peur de l’autre, du futur, des autres candidats, peur de la répétition de l’Histoire qui, de son point de vue, n’est que malheur et désolation démultipliée par les dangers d’aujourd’hui. Et il propose, en guise de navigation en des eaux troubles des mesures. Il se prend pour Zeus, qui, du haut de son Olympe, envoie des rêves de navigation au pilote des Argonautes afin que ces derniers restent toujours ses prisonniers.
Hier, à la Bastille j’ai de nouveau écouté le poème d’Antonio Machado dans la bouche de Mélenchon. En vrai mais aussi en ce qu’il contient comme message. Il n’a pas fallu plus de vingt minutes pour qu’un projet soit décliné, pour qu’un voyage soit proposé à destination d’une nouvelle République. Pascal disait « je m’excuse, j’ai pas eu le temps d’écrire cette lettre plus courte ». Les choses claires, cohérentes, comportant des choix réels n’ont nul besoin d’une logorrhée interminable. Ils n’ont pas besoin d’artifices et de longues justifications. Elles sont l’évidence même pour citer Paul Eluard.
Liberté, égalité, fraternité. Ces trois mots paraissent effacés par le temps, la modernité et son cynisme ; leur si longue présence a fini par les réduire en ornement désuet de nos écoles. Elles sont pourtant un projet en soit, toujours à recommencer.
Pour contrer la toute puissance de Zeus, son père autoritaire, Athéna donna aux Argonautes un pilote qui leur apprit comment naviguer en utilisant les étoiles. La citoyenneté n’a nul besoin de sauveur suprême, de César ou des dieux, elle a besoin de projets libérateurs.
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