A propos des fausses nouvelles
De tout temps l’homme veut croire. Il n’est pas naïvement crédule. Croire c’est avant tout une victoire illusoire de la certitude, sur le doute et les angoisses métaphysiques qui le taraudent. En ce sens, un babouin n’aurait jamais échangé une banane contre la promesse d’un paradis où celles-ci tomberaient du ciel en abondance. La structuration sociale de l’homo sapiens s’est faite autour de cette volonté de croire, ou les sanctions - bien réelles - pour ceux qui refusent le dogme, c’est à dire la croyance institutionnelle. Ainsi, il a fallu un millénaire pour que des individus osent penser que le Christ ne marchait pas sur l’eau, qu’il ne fallait pas énerver Poséidon sous peine de connaître le sort d’Ulysse, que Sarah n’enfanta pas à un âge canonique, que Thor pouvait vous assommer de son seul regard ou que Dieu ouvrit un passage sur la mer afin que le peuple juif échappe aux armées du Pharaon. Personne ne contesta ces fake news et ce pendant des siècles. Pire. On égorgea, on brûla, on tortura sur des faits beaucoup plus contestables que le lobbying de l’industrie pharmaceutique, tels que le sexe des anges, la nature du saint esprit ou la capacité du diable de posséder un corps humain, féminin de préférence. Il en découle un premier constat. Ce n’est pas l’histoire en soit qui est contestée, aussi incroyable soit-elle, mais celui qui la raconte. Tant que le clerc n’est pas contesté, celle-ci fait son chemin, se structure et devient vérité incontestable, dogme. Mais si le clerc lui-même cesse d’être crédible, le dogme devient mythe et la vérité légende –de nos jours superproduction cinématographique ou jeu vidéo -. Un dogme est une vérité institutionnelle englobant le tout. C’est sa force, mais aussi sa faiblesse. L’église catholique ou le parti communiste soviétique en savent quelque chose. Un rien, acquis cependant après maints sacrifices, une théorie comme celle qui démontre que la terre tourne autour du soleil (et pas le contraire) et le doute s’installe. Mais le doute lui même n’est passible qu’à deux conditions : que les porte parole de la vérité institutionnelle soient contestés (souvent de l’intérieur même de l’institution) et que celui qui les conteste fasse partie d’une nouvelle révélation globale. On ne remplace pas le tout par le vide, on ne change pas la vérité en étant soit même en déclin. La même affirmation amène au supplice Hypatie d’Alexandrie, et à une respectable retraite Galilée. Dans le premier cas, une nouvelle religion conquérante et totalitaire se charge d’en finir de la philosophie grecque, dans le deuxième cas, cette même religion, bureaucratisée mais prise doute essaye de sauver les meubles, en retardant, par un compromis, l’annonciation de la science dominatrice.
Pour faire l’histoire courte, le drame de nos clercs contemporains consiste au fait qu’ils sont issus d’un olos basé sur le doute. Cet état oxymore que l’on nomme rationalité, esprit critique est d’autant plus sensible aux dérives olistiques de ses clercs que ces derniers oublient d’où ils sont issus et n’agissent que par affirmations. Ainsi, il a fallu des siècles pour contester les églises, mais à peine quelques décennies pour balayer la fiabilité des potentats communistes et quelques années pour mettre en cause les apôtres du néolibéralisme. Dès le Ve siècle avant JC Eschyle écrivait « quand bien même nous avons raison, laissons la possibilité que nous avons tort ». Les hommes politiques et les journalistes des plateaux télé, oublient qu’ils sont (aussi) les descendants malmenés d’Hypatie et de Galilée. Ils raisonnent en termes de certitudes inébranlables - et contraignantes pour tous -, se transformant en apôtres d’une religion qui occulte son nom et qu’ils considèrent infaillible, malgré tous les signes et les signaux de son état décadent. Le doute pourrait les sauver mais ils en manquent cruellement. Inaudibles, ils s’offensent de ne pas être crus, ouvrant par ce fait même la voie à toutes les réalités alternatives, depuis le libelle et la rumeur (concepts déjà oubliés) jusqu’à la possibilité d’un monde mouvant basé sur le libre arbitre, l’esprit critique et la raison. Ils sont pourtant issus d’une philosophie qui explique qu’à regarder de près une pomme n’est pas ronde. L’esprit critique et la science ont enfanté un monde complexe qui ne se suffit plus aux aphorismes ni à la simplification et encore moins à la condescendance. Ils sont périmés mais ils ne le savent pas encore.
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