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A propos des Philosophes (et de la philo)...

À Athènes, faire de la politique était considéré comme une tâche si épuisante que les professionnels de travaux lourds y étaient exemptés. Les peintres pouvaient participer aux affaires de la Cité mais pas les sculpteurs. Les paysans ne pouvaient pas, les bergers oui. Penser, loin du tumulte de la gestion quotidienne, n’était pas faire de la politique. Philosophes - pour toujours - et représentants du peuple - le temps de leur mandat -, devaient vivre au sein d’un environnement de loisirs - physiques et intellectuels - et loin de tout effort (de toute peine). Administrer, c’était répondre à la question « comment ». Penser c’était répondre à la question « pourquoi ». 

 Les philosophes étaient par définition dans un vacuum temporel qui faisait abstraction du quotidien et de l’action politique au jour le jour. Pour le penseur athénien, ces règles étaient la garantie d’un travail théorique anticipateur, une garantie d’émancipation du pathos qu’engendre le politique. 

Pendant deux mille ans, cette dualité a fonctionné, tant bien que mal : il y eut en effet quelques philosophes « pauvres », et un tout petit nombre d’engagés à l’action politique partisane, mais en général, un penseur a continué à être un anachorète. Jouant avec mots et concepts, il est, par définition créatrice, au delà du bien et du mal. Pour être au centre de la Cité, il doit se situer hors les murs de celle-ci. Comme dit Platon : Un même homme peut être trompeur et sincère à la fois. Ulysse et Achille ne sont ni différents ni contraires, mais semblables.

Avec Marx, arrive la rupture : le philosophe décale la philosophie et s’attaque à la praxis. Le recul tend à disparaître, le philosophe moderne inscrit sa pansée au sein de l’action. L’utopie devient pragmatique, le philosophe témoigne non plus sur les fondamentaux, mais sur le quotidien, il est sur la brèche. La révolution des moyens d’information, la télévision, exige du philosophe une réponse à tout mais jamais plus sur le tout. Ainsi, qu’ils soient de « droite » ou de « gauche », les philosophes contemporains sont, à quelques exceptions près, les enfants de Marx et du structuralisme, même -et surtout- s’ils s’en défendent.

À ce titre ils participent au pathos de l’arène politique avec -comme conséquence- que leur avis en vaut tout autre. Surtout, on est endroit de leur exiger des comptes, quand ils se perdent, non pas dans une pensée toujours fertile, mais au sein de leurs passions citoyennes.

Les philosophes et autres intellectuels français qui, fuyant les déclarations du passé et toute autocritique, s’engouffrent désormais dans la spirale politique devraient faire leur aggiornamento et se rendre compte qu’ils ont appuyé des politiques qui ont eu un résultat à l’opposé de leurs aspirations. Ils doivent se l’avouer, ils ont très peu utilisé leur intellect et leur savoir et beaucoup plus leurs passions -comme tout le monde-. Ils ont surtout offensé par leur hubris, leurs propos démesurés, leur propre statut et leur rôle supposé au sein de la société. 

À quoi aspiraient les zélateurs de l’intervention en Iraq ? À la chute d’un dictateur sanguinaire. Le voilà remplacé par des dizaines de rois Ubu, encore plus fous, encore plus incontrôlables. Croyaient-ils à un paradigme qui sèmerait l’esprit démocratique chez les voisins ? L’Iran est désormais plus puissant que jamais, les roitelets et cheikhs arabiques n’ont jamais été contestés, les Talibans et Al Quaida se réapproprient des territoires en Afghanistan, les adeptes de la « grande Russie » règnent en maîtres, les colonies aux territoires occupés se multiplient… Entre temps, les citoyens ne sont plus que des consommateurs de sons et d’images, perdus et sans boussole, s’appauvrissant intellectuellement plus vite qu’économiquement.

À force de faire de la « géopolitique idéologique » nos philosophes ont oublié les fondamentaux, dont la place de l’anticipation dans la Cité, l’offense, la culpabilité, l’éthique et la morale - en tant que telles et non pas comme support d’une croisade par définition subjective -, la distorsion entre buts et moyens ne sont pas les moindres. Ils oublient tout cela, nos élites penseuses, repartant vers des nouvelles croisades (souvent pleinement justifiées) au Darfour et ailleurs. Ils deviennent des oiseaux migrateurs du questionnement sélectif. Il aura suffi d’une phrase emphatique de Sarkozy sur le bourbier tchétchène pour que l’un d’eux -monomaniaque-, clame son ralliement. Ont-ils conscience qu’ils sont, comme la ménagère, en overdose des sitcom du réel diffusé en non stop, manipulés ?

On serait en droit d’exiger de nos philosophes d’oublier un peu le train-train quotidien, de proposer un saut qualitatif à cette vie terre-à-terre submergée d’horreurs, à donner un avis sur le monde devenu encore plus entropique sous leurs applaudissements militants.

On a le droit d’espérer à un peu plus de concepts et un peu moins d’adjectifs qualificatifs dont ils abusent.

On a le droit d’espérer de leur part des analyses cohérentes, complexes, visionnaires sur les sujets primordiaux qu’ils touchent notre pays et le monde -le olos- et non pas des commentaires bornés et militants qui ne font que cultiver les instincts les plus partisans et simplistes de notre société attirée par le prêt à porter.

En un mot qu’ils assument, ou alors, qu’ils changent de métier.


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12 réactions à cet article    


  • zelectron zelectron 17 février 2010 11:17

    « le philosophe moderne inscrit sa pansée au sein de l’action » d’où le célèbre je panse donc j’essuie


    • Gabriel Gabriel 17 février 2010 15:07

      Une technicienne de surface, philosophe intermittente émigrée du Portugal a eu cette profonde pensée qui traversa les continents, » Je penche donc j’échui ! » 


    • Senatus populusque (Courouve) Senatus populusque 17 février 2010 16:28

      L’auteur de l’article devrait apprendre le français, et cesser de prétendre donner des leçons aux philosophes.

      Encore un qui pète plus haut que son cul.


    • Fergus Fergus 18 février 2010 09:31

      Pas d’accord avec vous, Populus, je trouve au contraire cet article plutôt lucide et finalement assez mesuré en regard des dérives de quelques « philosophes » rongés par l’aigreur et la haine des autres tel Glücksmann, embrumés par une pensée contradictoire et de plus en plus confuse tel Finkelkraut, ou définitivement fascinés par les micros et les caméras tel BHL. 


    • zelectron zelectron 20 février 2010 13:55

      @plébeïen qui se prend pour un sénateur : parlez autant de langues que Michel et après on verra.
      Entre le trait d’humour et la critique acariâtre il y a un monde !


    • vaderetro 17 février 2010 12:13

      à zelectron : :- ))


      • voxagora voxagora 17 février 2010 14:09

        « .. faire de la politique .. une tâche si épuisante ..
        que les professionnels des travaux lourds en étaient exemptés .. »

        Quand on voit la composition des Assemblées en France
        les choses n’ont pas beaucoup changé.
        La formule « en étaient exemptés » suggère qu’on leur faisait une fleur,
        il vaudrait mieux dire que la tâche était « réservée » aux non-manuels,
        et qu’ils n’entendaient pas la partager.

        Et cela a si peu changé aujourd’hui qu’Internet, cet extraordinaire outil
        qui démontre que le dernier sur l’échelle sociale peut avoir un avis,
        et un avis qui se tient aussi bien que celui de beaucoup d’élites,
        Internet, donc, est diabolisé et en passe d’être « exempté » !


        • ddacoudre ddacoudre 17 février 2010 17:09

          bonjour koustou

          rien a rajouter sinon ce lien.

          http://www.agoravox.fr/ecrire/?exec=articles&id_article=70059


          • Markoff 17 février 2010 18:11

            La philosophie n’est pas une profession. 

            Il y a encore quelques vrais philosophes qui « pansent » le monde, mais ceux-là, on ne les entend pas sur les ondes ou dans Libé...

            Aujourd’hui, n’importe qui peut se prétendre philosophe, par exemple, AgoraVox en recèle plein de nouveaux chaque jour.
            Il suffit d’être un « intellectuel », c’est à dire savoir lire et écrire.... Encore que, pour ce qui est de savoir écrire, beaucoup ont encore énormément de progrès à faire....

            Et puis, c’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa g....  !


            • Fergus Fergus 18 février 2010 09:32

              Pour sourire, rappelons-nous cette définition de Frédéric Dard : « La philosophie, c’est l’art de se compliquer la vie en cherchant à se convaincre de sa simplicité. »


              • Daniel Roux Daniel Roux 21 février 2010 11:34

                L’auteur semble confondre l’expression littéraire et la philosophie..

                et BHL et consort avec des philosophes.

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