A propos du bannissement du mot « vin » dans tous les livres édités en Iran
Il n’y a qu’à faire un petit tour dans les bars et restaurants des 4e, 5e, 11e autres arrondissements parisiens, réputés pour leur activité nocturne, pour voir toutes ces jeunes d’origine Iranienne, nées en France ou qui ont choisi d’y refaire leur vie, vouer une grande estime pour le vin et le champagne.
« Le temps de vin et des roses » Omar El Khayyam
La décision de bannir le mot « vin » dans tous les livres édités en Iran est spectaculaire. Mais elle est non moins banale dans un pays tenu d’une main de fer par les mollahs. Le couperet est tombé quelques jours après L’entrée en vigueur de l'accord historique sur le nucléaire iranien et la levée - qui en a résulté- des sanctions économiques contre la république islamique par l’Union européenne, les Etats-Unis et l’Onu. L’interdiction, qui fera sourire aussi bien les buveurs que les non buveurs d’alcool, concerne également les noms de chefs d’Etat et d’animaux étrangers. On pense entre autres au « cochon », « porc » et certains chefs d’Etat du Moyen-Orient que Téhéran ne tient pas en odeur de sainteté… Voici pour le côté scène. Pour le côté coulisse, le bannissement d’une boisson « satanique » même d’écriture et dont l’Iran fut un grand producteur et consommateur avant la révolution islamique qui a renversé le Shah Pahlavi en 1979 est une sorte de « feuille de vigne » par laquelle le Guide suprême Khamenei, qui a décrété ces interdits inédits, veut occulter les nombreuses concessions faites par Téhéran à l’Occident pour qu’il lève son embargo sur l’entrée en vigueur de l’accord nucléaire. Une façon pour Khamenei de dire aux faucons de la république islamique et aux jeunes excités par l’idée que leur pays va bientôt reprendre sa place dans le concert des nations avec tout cela suppose en termes de produits de consommation étrangers : « J’ai fait des concessions au Grand Satan, c’était nécessaire… mais cela ne signifie pas pour autant que j’ai bradé la révolution islamique. L’Iran restera une forteresse intenable face l’invasion culturelle occidentale qui cherche à détruire son identité islamique ». Autrement dit : que ceux qui croient que le temps de la dolce vita et de l’oisiveté est arrivé économisent leur joie. Sinon c’est l’échafaud. On est « livre » mort de rire… « Lorsque de nouveaux livres nous sont soumis, les fonctionnaires du ministère vérifient page par page qu’ils ne nécessitent pas de modifications rédactionnelles au regard des principes de la révolution islamique afin de faire face efficacement à l'assaut culturel occidental et de censurer toute insulte faite aux prophètes » notamment expliqué Mohammad Selgi, le chef des questions d’édition au ministère de la Culture et de l'Orientation islamique.
Livre mort, livre halal
Mais pourquoi avoir seulement décrété l’interdiction du vin (rouge, et autres blancs mousseux ça s’entend) et pas toutes les autres drogues comme la bière, le whisky, la vodka, la marijuana, la cocaïne, l’héroïne, etc. ? Réponse : tout simplement parce que malgré 39 ans de régime islamique, le vin demeure dans la mémoire collective des Iraniens, surtout les jeunes femmes, synonyme de liberté et de romantisme. Donc la boisson de tous les dangers qui dort dans le conscient collectif du peuple et qu’une seule ligne y faisant allusion dans un roman ou poème est susceptible de réveiller… Il faut savoir que l’ancienne Perse a été la terre de nombreux poètes romantiques qui ont chanté le vin dont le plus connu est Omar El Khayam. C’est resté gravé dans le marbre cérébral. Ainsi, le vin est-il « l’élément important d'un rendez-vous amoureux pour une majorité de femmes » constate le quotidien Le Parisien . C’est vrai aussi en Iran. Il n’y a qu’à faire un petit tour dans les bars et restaurants des 4e, 5e, 11e autres arrondissements parisiens, réputés pour leur activité nocturne, pour voir toutes ces jeunes d’origine Iranienne, nées en France ou qui ont choisi d’y refaire leur vie, vouer une grande estime pour le vin et le champagne. Cette réalité les durs du régime à Téhéran ne le savent que trop bien ; ils savent que les milliers de conteneurs de marchandises occidentales qui vont s’abattre prochainement sur leur pays peuvent receler des petites bouteilles de vins déguisées, par exemple, en jus de raisin ou grenadine, à la manière de ces 48 000 canettes de bières habillées en Pepsi que les douanes saoudiennes ont interceptées en novembre 2015. Et lorsque les jeunes femmes iraniennes recommenceront à boire du vin importé légalement ou illégalement ou encore fabriqué localement en cachette ce sera la fin de la révolution islamique. Les intellectuels iraniens sont férus de la culture grecque (hellénistique) qui a fécondé la leur (achéménide) au courant du IVe siècle avant J.-C.. « la conquête de l’empire achéménide par Alexandre le Grand débouche sur le mariage inattendu des cultures grecque et perse. Il se solde par le fractionnement de l'Orient entre différents royaumes mi-grecs mi-orientaux, autrement dit hellénistiques. » Les hauts dignitaires du régime au pouvoir, du moins, ont certainement lu Les Bacchantes, l’excellente tragédie où Euripide a mis en scène des femmes qui en se mettant à boire du vin ont sonné le glas d’une société grecque conservatrice. Vite à boire !
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