A quand un « Davos des salariés » ?

Deux événements très récents ont marqué symboliquement une sorte de réveil du syndicalisme au niveau international.
1) La grève massive des salariés roumains de l’usine Dacia de Renault (qui fabrique la Logan) sur la question des salaires. La grève a duré une vingtaine de jours et s’est conclue par un compromis sur une augmentation des salaires, inférieure aux revendications initiales, mais tout de même significative.
Ces salariés (syndiqués à 80 %) sont pourtant loin d’être les moins bien lotis en Roumanie, mais, comme le résume Luminita Deaconescu, une des leaders du syndicat (unique) SAD de Dacia : « Pourquoi une multinationale qui fait grâce à nous d’énormes profits ne nous accorderait-elle pas des salaires un peu plus décents ? » (Nouvel Obs, 3-9 avril 2008). Cette grève vient bousculer l’image d’Epinal de pays émergents à la main-d’œuvre bon marché et docile.
2) La marche (20 000 personnes environ) organisée par la Confédération européenne des syndicats (CES) à Ljubljana (Slovénie), le 5 avril dernier. Les revendications et les messages étaient nombreux : augmentation des salaires réels et du pouvoir d’achat pour stimuler la demande et favoriser des emplois plus nombreux et de meilleure qualité ; salaires minimaux décents afin de lutter contre la pauvreté ; égalité des salaires pour les hommes et les femmes ; négociations collectives plus solides, y compris au plan européen, afin de mettre un terme au dumping social ; salaires équitables pour le secteur public, les travailleurs intérimaires et mobiles ; éventail plus large de possibilités pour l’apprentissage tout au long de la vie ; limitation des revenus des grands patrons.
Cette manifestation s’est tenue (volontairement) au même moment et tout près de la réunion des ministres européens des Finances qui, de concert avec la Banque centrale européenne, ont appelé à la modération salariale...
Ce réveil syndical est plutôt une bonne nouvelle. Le syndicalisme traduit et permet la participation et l’implication collectives et individuelles des salariés dans la vie de l’entreprise. Il incarne une forme de citoyenneté économique. En ce sens, il est clairement à encourager.
On peut certes être critique sur certaines pratiques ou réalités syndicales, mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : des syndicats modernes, forts et représentatifs, au même titre que des patronats modernes, forts et représentatifs sont les conditions d’un bon dialogue social et d’un bon fonctionnement de l’économie[1]. Et les nouvelles régulations du capitalisme (qui ne sont plus celles des Trente Glorieuses) passeront forcément par un mouvement syndical massif, offensif et international.
Cette dynamique internationale pourrait, par exemple, être symbolisée par un « Davos des salariés », organisé et porté par des syndicats de tous les continents...
L’idée peut paraître saugrenue, mais pourquoi pas ? Chaque année, se réunissent à Davos les décideurs économiques (essentiellement dirigeants d’entreprises, la voix des syndicats y est faible) et politiques pour échanger et partager une vision du monde. Ce rassemblement, ses échanges et sa vision sont tout à fait légitimes. Comme seraient aussi tout à fait légitimes un rassemblement, des échanges et une vision proposés par les salariés du monde entier...
Aujourd’hui, la dynamique en politique économique est essentiellement impulsée par les patrons, en France comme ailleurs. Les salariés, via les syndicats, subissent souvent et se retrouvent en général en position de résistance ou de défense. Pourtant, la vision des salariés est tout aussi utile et indispensable à la bonne marche de l’économie que celle du patronat !
Il serait ainsi intéressant que, chaque année, les représentants des salariés du monde entier se réunissent (en conviant également les responsables politiques) pour échanger, « réseauter », construire et partager une vision commune, qui viendrait contrebalancer ou plutôt équilibrer celle de Davos, d’une manière différente et complémentaire à celle des Forums sociaux mondiaux.
En 2006, a été créée la Confédération syndicale internationale (CSI, née de la fusion de plusieurs confédérations internationales) qui regroupe plus de 300 organisations syndicales dans plus de 150 pays et représentant 170 millions de salariés. La CSI, qui organise le 7 octobre 2008 une journée mondiale pour un "travail décent" (au sein de l’OIT), ne pourrait-elle pas porter une telle initiative ?
[1] Le développement d’un « syndicalisme de masse » devrait à ce titre être un chantier socio-économique prioritaire du gouvernement... Rappelons qu’en France 8 % seulement des salariés sont syndiqués : 5 % dans le privé, 15 % dans le public. C’est très peu, surtout comparé à la moyenne européenne de 40 % et aux 80 à 90 % des pays scandinaves, même si bien sûr les conditions et le contexte sont différents et spécifiques.
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