À quand une véritable politique internationale française ?
Depuis un certain temps, on entend parler un peu partout du nombrilisme de la France ; elle ne serait pas ouverte sur le monde, elle n’arriverait pas à s’adapter. La crise des banlieues et celle du CPE ont rappelé à ce pays, enfermé dans des questionnements internes, que nous sommes bien intégrés dans cette fameuse mondialisation. La France doit réussir à s’y affirmer pour le bien de tous.
En France, la politique aborde les problèmes comme si l’Empire français avait laissé place à un trou noir historique. Comme si, à la manière du nuage de Tchernobyl qui s’est arrêté aux frontières françaises, la colonisation et son héritage n’avaient pas passé les frontières temporelles de la décolonisation. Pourtant, près de cinquante ans après la Guerre d’Algérie, que ce soit au niveau national (crise des banlieues, question du rôle positif de la France outre-mer) ou au niveau international (affaiblissement de la puissance française, notamment en Afrique), cette période récente mais occultée de la mémoire collective française se rappelle à nous.
En effet, la crise d’octobre-novembre 2005 a démasqué un gouvernement, qui, dépassé par les événements, a souhaité donner l’impression d’être politiquement et idéologiquement prêt à répondre aux attentes des Français (on voit par ailleurs la réponse actuelle avec la crise du CPE). Mais dans les faits, il a pourtant fui ses responsabilités à travers un discours sécuritaire qui lui a permis d’éviter de mettre sur la table les vraies questions. Ce gouvernement, qui se dit moderne et en adéquation avec les interrogations mondiales, fait pourtant preuve d’un absentéisme sur la scène idéologique internationale qui mérite d’être dénoncé.
Il ne s’agit pas de nier l’existence ni la qualité des actions entreprises par la coopération française ou encore par les ONG françaises. C’est la question de la place du débat, de la prise de conscience, de la ligne directrice à mettre en place, qui doit être remise au centre des préoccupations des Français. Pour quelles raisons ?
Parce que, dans un premier temps, la révolte des banlieues est la conséquence d’un manque de considération pour les anciens pays colonisés de l’ex-Empire français. En effet, beaucoup de raisons ont été avancées pour comprendre les émeutes. On peut penser que les problèmes issus des inégalités sociales sont à la base de cette révolte. Alors comment expliquer cette injustice dans un pays qui pourtant exalte le principe d’égalité, mais n’arrive pas à le traduire dans les faits pour les enfants de la République ? Car même si notre système social n’est pas parfait, il offre des instruments égalitaires qui ont fonctionné dans le passé.
Le cocktail explosif est donc l’injustice sociale couplée à l’injustice économique. Mais de cette équation découlent les problèmes d’intégration. Il est devenu tabou dans notre pays, à travers un idéal unitaire, respectable car il s’agit de l’objectif à atteindre, de remettre en cause une réalité que certains pays ont acceptée : le multi-culturalisme. Dans cette situation d’inégalités et d’injustices, il faut, afin de combattre le phénomène, savoir reconnaître l’existence d’une communauté plus touchée que les autres. Pour la simple raison qu’il y a un élément déclencheur qui a isolé cette communauté par rapport au reste de la population. Que cette reconnaissance, si elle est suivie d’une réelle réponse politique (et tout l’enjeu est là), jouera un rôle positif dans l’unification du pays puisque cette population se sentira de nouveau intégrée et partie active de la majorité, c’est-à-dire acteur et non plus uniquement victime. De plus, une réponse efficace et rapide pourra permettre d’éviter la surenchère entre les différentes communautés (ici est le principal risque de cette politique). Mais on a bien vu que c’est principalement l’inaction politique qui pousse les individus à se retrancher vers le communautarisme. Dans le cas des banlieues, la question de la place des immigrés dans notre société est un enjeu considérable. Il répond à l’attente d’une population qui veut exister sur le plan national. Et pour cette existence, il paraît justifié que l’Etat français reconnaisse à sa juste valeur l’histoire des populations issues de l’immigration. On peut donc penser que l’ancêtre du Français n’est plus uniquement le Gaulois. Nous avons eu dans le passé des envies de conquêtes et d’empires, acceptons-en les conséquences, et enrichissons notre patrimoine national de l’histoire héritée des pays que nous avons colonisés. Celles du Mali, du Sénégal, de l’Algérie et les autres ne sont plus dissociables de l’évolution de la société. Elle font donc partie intégrante de l’histoire collective française, pour l’unique raison qu’une partie, aussi légitime que les autres, des Français en sont issus. Être Français signifie-t-il qu’il faut oublier cette histoire, ou au contraire l’intégrer à la nôtre pour, en plus, nous enrichir et respecter la totalité de notre peuple ? Un geste fort pourrait être de mettre en place dans les programmes scolaires une partie sur l’histoire africaine dès le collège, où la construction identitaire des jeunes issus de l’immigration est mise à mal. Comment un enfant peut-il se sentir totalement français, quand l’État cherche à étouffer son héritage culturel, historique, familial ? C’est une partie de leur identité qu’on essaie d’effacer. Les "Français" qui sont si fiers de leur histoire, de leurs traditions, sont-ils prêts à sacrifier cet héritage lorsqu’ils s’installent dans un autre pays ? Alors, pourquoi l’exigeons-nous ?
Dans un second temps, il paraît nécessaire que la France ait de nouveau une politique internationale ambitieuse. Parce que l’héritage politique de la France est internationaliste, parce que la France et les Français tiennent à cette idée que notre modèle démocratique et républicain est différent, qu’il est une source d’inspiration pour le monde entier. Cette dernière idée est peut-être révolue, mais elle constitue un point de départ généreux et altruiste pour une réflexion sur la place et le rôle de la France dans ce monde en pleine évolution et en manque de repères.
De cette analyse peut venir le mal être français. Comme l’a dit le président de la Commission, José Manuel Barroso, devant le Parlement français : « Je me demande si le pays de Molière ne cèderait pas à la tentation du malade imaginaire ». En effet, la France ne semble pas malade ; certes elle vit des temps difficiles, la mutation de la société est plus longue et douloureuse que dans d’autres pays. Il faut donc peut-être reconnaître à la droite l’idée que la France a un besoin de se moderniser, elle vit, réagit, veut être maîtresse de son destin. Pour combler ce besoin de politique, il apparaît primordial de sortir du rapport de force politicien que sacralise la Ve République. C’est-à-dire de sortir de cet étouffement du débat politique et philosophique par une élection présidentielle qui pousse nos politiques au carriérisme et à un électoralisme de plus en plus inquiétant, pour la simple raison qu’il laisse une place importante au populisme, à la démagogie et qu’il est souvent synonyme d’inaction politique, comme le montrent les événements actuels.
Et il est coutumier de penser qu’une élection présidentielle se joue sur la politique intérieure, idée par ailleurs consacrée par l’élection de 2002. Il apparaît nécessaire de tout faire pour modifier cet aspect de la politique française, qui, face à une politique nationale ultra-rationaliste, ne semble plus satisfaire la population. On peut donc penser à mettre un peu de philosophie dans notre politique, pour la simple raison que l’absence de modèle proposé aux Français est une explication du mal-être actuel. Les Français ont besoin de rêver, de se battre pour des idées, d’avoir un objectif à atteindre. Il apparaît donc que pour répondre à ces derniers points, ainsi qu’à la fracture de notre nation, la mise en place d’une politique étrangère ambitieuse pourrait redonner espoir à notre pays, voire rassembler cette nation en plein processus de division qui, finalement, fera le jeu des extrémistes et des conservateurs. Pour illustrer cette idée, on peut citer l’exemple de la dernière véritable sortie française sur la scène internationale, qui, à travers son opposition à la guerre en Irak, a ravivé dans une grande majorité cette fierté d’appartenir à un pays capable d’opposer sa vision du monde à la première puissance mondiale. Malheureusement, cette tentative chiraquienne semble bien pour le moment être plus un baroud d’honneur qu’un véritable retour de notre pays au premier plan des relations internationales. Dès lors, comment répondre à cette attente ?
La France a longtemps appuyé sa force internationale sur son poids politique en Afrique (continent dévalué, en raison de l’afro-pessimisme que dégagent les médias ). Mais la politique qu’elle pratique actuellement n’est plus en adéquation avec les attentes de la population africaine. D’où le rejet actuel. Ce constat semble correspondre en partie à l’affaiblissement de la puissance internationale française. Il devient donc nécessaire d’adapter cette politique à l’évolution émancipatrice du continent africain, en montrant une réelle volonté politique d’aider les pays africains à être maîtres de leur propre destin. Alors, peut-être, la France pourra-t-elle s’appuyer sur l’attachement affectif qui lie notre pays à une partie du continent. En effet, les pays du Sud sont dans une phase de recherche de justice, et d’égalité (situation en Amérique du Sud et en Afrique) face à une mondialisation de plus en plus basée sur la jungle économique, où les premiers à souffrir de ce modèle sont les pays et les populations les plus pauvres. Dès lors, peut-être que si la France a l’optimisme de croire que les valeurs de justice et d’égalité sont des valeurs universelles, si elle appuie sa politique sur la démocratie, sur l’égalité, la justice, le partage, la solidarité, l’entraide, alors, elle sera le porte-voix en Occident des oubliés de la mondialisation. Et l’idée d’un autre modèle de développement durable basé sur l’humanisme, l’équité, la connaissance ou encore la culture sera peut-être envisageable. De l’utopie ? Peut-être, mais vu la conjoncture actuelle, pourquoi ne pas essayer ? C’est toujours mieux que la résignation.
C’est donc une nécessité que de mettre au centre du débat les questions internationales, afin de permettre aux oubliés de notre république de prendre la part qui leur est due dans la société et d’offrir une politique internationale généreuse, ambitieuse et respectueuse, afin d’offrir dans un premier temps à la France et peut-être ensuite au reste monde (si celui-ci le veut) un véritable modèle politique, économique et social, qui tende vers l’émancipation, et non plus l’exploitation.
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