À quelle déontologie obéit donc cette première page de « Nice-Matin » du 1er août 2009 ?
La première page d’un journal est sa vitrine. Y sont sélectionnées en principe les informations susceptibles de déclencher la pulsion d’achat du client, dans le même temps où la rédaction révèle la hiérarchie qu’elle établit entre elles.
L’information indifférente
Que dire sans céder à l’affliction ? Est ici concentré ce qu’on peut faire de mieux dans deux variétés d’informations : l’information indifférente et l’information donnée.
L’information indifférente est celle qui ne gêne aucun intérêt ; c’est la raison pour laquelle elle envahit les colonnes de journaux et les antennes. La circulation routière saisonnière en fait partie, tout comme l’ouverture d’un café ou encore la rencontre avec le bon M. Arthus-Bertrand qui fait de si belles images de la terre vue du ciel. La mésaventure de croisiéristes malades en relève également : quoi de plus normal que les autorités sanitaires fassent leur travail et évitent les risques de contagion ? Ce serait le contraire qui serait surprenant. Mais accorder tant d’importance à l’anecdote, c’est une façon d’ entretenir l’inquiétude sur cette maladie au nom changeant, appelée d’abord « porcine » puis « mexicaine », dont, à tant répéter qu’on les redoute, les pires ravages finiront bien par arriver.
Le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée
L’information donnée est celle qui est livrée volontairement par l’émetteur et qui, passant au crible de ses intérêts, n’est pas fiable. Elle met ici en scène le couple présidentiel en tenue de vacances peu protocolaire dans une photo qui remplit le quart de la page. Seulement elle est donnée ici tout en faisant croire qu’elle a été extorquée pour lui conférer une plus grande fiabilité : c’est le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée. Le couple ne pose pas ; au contraire, il paraît être pris de loin au téléobjectif à son insu voire contre son gré : le président est en caleçon, l’épouse en maillot enveloppée d’une serviette de bain.
En réalité, on imagine bien que cette photo n’aurait pu être prise si le service de sécurité qui protège légitimement le couple présidentiel n’avait laissé le photographe prendre le cliché, comme l’a souhaité sans doute le président. Et comme si la photo n’était pas assez explicite, la rédaction a éprouvé le besoin d’enfoncer le clou par le titre - « Les Sarkozy dans le bain » - et par la légende - « Le couple présidentiel est arrivé hier en milieu de journée au Cap Nègre dans le Var. Un séjour sous le signe du farniente. » Encore heureux qu’ils ne travaillent pas pendant les vacances !
La servilité d’un journal envers le pouvoir
Le jeu de mots du titre tente sans doute par l’humour – sans y réussir - de racheter la servilité du journal envers le pouvoir que révèlent à la fois le leurre complaisamment employé de connivence avec le président et la place démesurée accordée à ce qui dans l’activité présidentielle ne présente aucune importance pour le lecteur. Qu’a-t-on besoin de voir le président en caleçon pendant ses vacances à « la une » d’un journal ? Sa vie privée le regarde lui seul.
Quant au billet de Bouvard, la charité commande de n’en rien dire, tant il dégouline de courtisanerie. On peut seulement s’étonner que le sieur soit payé pour pondre pareille niaiserie !
Les récents « États généraux présidentiels de la presse écrite » ont fait de « la déontologie » le sésame d’un crédit perdu qui pourrait être retrouvé auprès des lecteurs. Estimant même que la rédaction de ce code traînait en longueur, Bruno Frappat, ancien du Monde et de La Croix , a réuni autour de lui un comité d’experts pour formuler une sorte de « décalogue » déontologique.
Mais quelle déontologie pourrait donc enfreindre cette première page de Nice Matin ? En existe-t-il même une qui puisse empêcher qu’une rédaction s’avilisse ainsi ? Les événements que ce journal « a choisi » de rapporter sont apparemment fidèles à la réalité. Cela signifie donc qu’on peut très bien livrer une représentation fidèle de la réalité en respectant une déontologie, et néanmoins désorienter méthodiquement ses lecteurs. Paul Villach
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